Citations sur barbare

Une collection de citations sur le thème de barbare, tout, pluie, bien-être.

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“L'allié italien nous a gênés presque partout. C'est ce qui nous a empêchés, en Afrique du Nord, par exemple, de faire une politique révolutionnaire […] Seuls, nous aurions pu émanciper les pays musulmans dominés par la France. Cela aurait eu un retentissement énorme en Égypte et dans le Proche-Orient asservis par les Anglais. D'avoir notre sort lié à celui des Italiens, cela rendait une telle politique impossible. Tout l'Islam vibrait à l'annonce de nos victoires. Les Égyptiens, les Irakiens et le Proche-Orient tout entier étaient prêts à se soulever. Que pouvions-nous faire pour les aider, pour les pousser même, comme c'eût été notre intérêt et notre devoir. La présence à nos côtés des Italiens nous paralysait, et elle créait un malaise chez nos amis de l'Islam, car ils voyaient en nous des complices, volontaires ou non, de leurs oppresseurs […] Le souvenir des barbares représailles exercées contre les Senoussis y est toujours vivant. Et d'autre part la ridicule prétention du Duce d'être considéré comme le « Glaive de l'Islam » entretient encore le long ricanement qu'elle suscita avant la guerre. Ce titre qui convient à Mahomet et à un grand conquérant comme Omar, Mussolini se l'était fait donner par quelques pauvres bougres, qu'il avait payés ou terrorisés. Il y avait une grande politique à faire à l'égard de l'Islam. C'est raté - comme tant d'autres choses que nous avons ratées par fidélité à l'alliance italienne! Les Italiens, sur ce théâtre d'opérations, nous ont donc empêchés de jouer l'une de nos meilleures cartes: qui consistait à émanciper tous les protégés français et à soulever les pays opprimés par les Britanniques. Cette politique aurait suscité l'enthousiasme dans tout l'Islam. C'est en effet une particularité du monde musulman que ce qui touche les uns, en bien ou en mal, y est ressenti par tous les autres, des rives de l'Atlantique à celles du Pacifique.”

Adolf Hitler (1889–1945) homme d'État allemand né en Autriche

Politique étrangère

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“Les Français recommencent l'œuvre des Romains, mais en des conditions que la marche de l'histoire a rendues bien différentes. Si ce n'est dans l'Europe occidentale et en Maurétanie, où il atteignait l'Océan, le monde romain était entouré de tous les côtés par des régions inconnues, peuplées d'ennemis; la pression extérieure se faisait sentir constamment sur les frontières, et le moindre relachement des forces dans l'organisme intérieur permettait à l'étau de rapprocher ses branches : il finit par se fermer complètement lors de la rupture d'équilibre politique produite par la migration des Barbares. Aujourd'hui le monde civilisé, que l'on peut, à défaut d'autre nom collectif, appeler le monde européen, n'est point environné par des populations barbares; au contraire, il les entoure d'une zone incessamment agrandie, il les pénètre, les transforme, leur apporte une industrie nouvelle et de nouvelles mœurs. […] Maintenant une ère nouvelle a commencé, grâce à l'annexion graduelle du monde barbare au domaine européen, et la postérité pourra reconnaître sans peine la part de travail accomplie depuis 1850 par les colonisateurs français, espagnols, italiens. Elle est déjà fort considérable : d'année en année on voit changer l'aspect de l'Algérie par la naissance des villes, l'accroissement des cultures, l'extension du réseau des routes et des voies ferrées.”

Élisée Reclus (1830–1905) géographe, écrivain et anarchiste français

Nouvelle géographie universelle: la terre et les hommes, 1881

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“Citoyens, la sensibilité qui sacrifie l'innocence au crime est une sensibilité cruelle; la clémence qui compose avec la tyrannie est barbare.”

Maximilien de Robespierre (1758–1794) homme politique français

Discours, Discours sur l'appel au peuple dans le jugement de Louis XVI, [28, décembre, 1792]

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“Grandgrousier
Le temps n'est plus d'ainsi conquestez les royaulmes avecques dommaige de son prochain frere christian, ceste imitation des anciens Hercules, Alexandres, Hannibalz, Scipions, Cesars et aultres telz est contraire à la profession de l'evangile, par lequel nous est commandé, guarder, saulver, regir et administrer chascun ses pays et terres non hostilement envahir les autres. Et ce que les Sarrazins et Barbares jadis appelloient prouesses, maintenant nous appellons briguanderies, et mechansetez.”

François Rabelais (1494–1553) auteur français du 16e siècle

fr
Le temps n'est plus de conquérir les royaumes en détruisant son prochain, son frère chrétien, cette imitation des anciens Hercule, Alexandre, Hannibal, Scipion, César et semblables : agir comme tel est contraire à l'enseignement de l'évangile par lequel nous est commandé par, garder, sauver, régir et administrer chacun ses pays et terres, non envahir les autres avec hostilité. Ce que les Sarrasins et les Barbares appelèrent jadis prouesses, maintenant nous l'appelons pillages et malfaisance.
Œuvre, Gargantua

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“Je défais le lit et je m’allonge sur le matelas nu, supposant qu’un malaise va s’emparer de moi à sentir le fantôme d’un autre homme subsister dans ses odeurs et les débris de sa vie. Mais je ne ressens rien de pareil : la chambre me paraît toujours aussi connue. Le bras sur la figure, je m’aperçois que je glisse dans le sommeil. Il se peut que le monde tel qu’il est ne soit pas une illusion, ni le mauvais rêve d’une nuit. Il se peut que l’éveil qui nous y projette soit inéluctable, que nous ne puissions ni l’oublier ni nous en dispenser. Mais j’ai toujours autant de mal à croire que la fin est proche. Si les barbares faisaient irruption maintenant, je mourrais dans mon lit, j’en suis sûr, aussi stupide et ignorant qu’un bébé. Il serait encore plus approprié qu’on me surprenne en bas, dans le cellier, une cuiller à la main, la bouche pleine de confiture de figues fauchée dans le dernier bocal de l’étagère : on pourrait alors couper et jeter sur le tas de têtes amoncelées sur la place une tête qui porterait encore une expression coupable, peinée, étonnée de cette irruption de l’Histoire dans le temps immobile de l’oasis. A chacun la fin qui lui convient le mieux. Certains se feront prendre dans des abris creusés sous leur cave, serrant leur trésor contre leur sein, fermant les yeux de toutes leurs forces. D’autres mourront sur la route, aux prises avec les premières neiges de l’hiver. De rares individus mourront peut-être en combattant, armés de fourches. Après moi, les barbares se torcheront avec les archives de la ville. Jusqu’à la fin, nous n’aurons rien appris. Il semble y avoir chez nous tous, au fond de nous, quelque chose de l’ordre du granit, qui résiste à l’enseignement. Bien que la panique déferle dans les rues, personne ne croit vraiment que le monde de certitudes tranquilles qui nous a accueillis à notre naissance est sur le point de disparaître. Personne ne peut accepter qu’une armée impériale ait été anéantie par des hommes armés d’arcs, de flèches et de vieux fusils rouillés, qui vivent dans des tentes, ne se lavent jamais et ne savent ni lire ni écrire. Et qui suis-je pour ricaner d’illusions qui aident à vivre? Est-il meilleure façon de passer ces jours ultimes que de rêver d’un sauveur, l’épée brandie, qui disperserait les armées ennemies, nous pardonnerait les erreurs commises par d’autres en notre nom et nous accorderait une seconde chance de bâtir notre paradis terrestre? Couché sur le matelas nu, je m’applique à animer une représentation de moi-même en nageur, nageant infatigablement, à longues brasses égales, dans le fluide du temps – un fluide plus inerte que l’eau, dépourvu de remous, s’insinuant partout, sans couleur, sans odeur, sec comme du papier.”

J. M. Coetzee (1940) romancier et professeur en littérature sud-africain

En attendant les barbares , Angleterre 1980, Afrique du Sud 1981

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“Les génies mêmes des lieux consacrés par la poésie frémissaient autour d’elle et l’entouraient de visions changeantes. La poudreuse plaine de Thèbes, l’Argolide assoiffée, les myrtes brûlés de Trézène, les saints oliviers de Colone, le Cydnus triomphal, et la pâle campagne de Dunsinane et la caverne de Prospero, et la forêt des Ardennes, les pays arrosés de sang, travaillés par la douleur, transfigurés par un rêve ou éclairés par un sourire inextinguible, apparaissaient, fuyaient, s’évanouissaient derrière sa tête. Et d’autres pays reculés, les régions des brumes, les landes septentrionales, et, par delà les océans, les continents immenses où elle avait passé comme une force inouïe au milieu des multitudes étonnées, porteuse de la parole et de la flamme, s’évanouissaient derrière sa tête; et aussi les multitudes avec les montagnes, avec les fleuves, avec les golfes, avec les cités impures, les races vieilles et engourdies, les peuples forts aspirant à l’empire de la terre, les nations neuves qui arrachent à la nature ses énergies les plus secrètes pour les asservir au travail tout-puissant dans les édifices de fer et de cristal, les colonies abâtardies qui fermentent et se corrompent sur un sol vierge, toutes les foules barbares vers qui elle était venue comme la messagère, du génie latin, toutes les masses ignares à qui elle avait parlé la langue sublime de Dante, tous les troupeaux humains d’où était montée vers elle, sur un flot d’anxiétés et d’espérances confuses, l’aspiration à la Beauté.”

Romans, Le Feu, 1900

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“A considérer les choses d'une manière générale, il est évident, par l'histoire, que les Arabes andalousiens durent avoir une certaine influence sur la civilisation du midi de la France. Ils eurent, comme tout le monde sait, sous leur domination la Septimanie […]; et c'est, selon toute apparence, à leur séjour de plus d'un demi-siècle dans cette contrée, qu'il faut attribuer l'introduction dans le Midi de diverses industries, de certains procédés d'agriculture, de certaines machines d'un usage universel, comme, par exemple, de celle qui sert à tirer l'eau des puits, pour l'irrigation des jardins et des champs, qui toutes sont d'invention arabe. C'est à la même époque et à la même cause qu'il faut rapporter l'habitude, longtemps et même encore aujourd'hui populaire dans le midi de la France, d'attribuer aux Sarrasins tout ouvrage qui offrait quelque chose de merveilleux, de grandiose, et supposait une puissance d'industrie supérieure à celle du pays, comme les châteaux fortifiés, les remparts et les tours des villes, et autres grands monuments d'architecture; comme aussi les armes, les ouvrages de ciselure et d'orfèvrerie, les étoffes précieuses par le travail ou la matière. Toutes ces choses étaient qualifiées d'œuvre arabine, d'œuvre sarrasinesque, d'œuvre de gent sarrasine. Enfin, ce fut aussi par suite de la domination andalousienne dans la Septimanie que s'introduisit, dans le latin barbare du pays, devenu déjà ou prêt à devenir le roman, une certaine quantité de mots arabes qui devait s'accroître encore par la suite.”

Claude Fauriel (1772–1844) historien, linguiste, critique et érudit français

Histoire de la poésie provençale

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“Ravenne devait lui plaire, petite ville mystérieuse qui cachait dans ses rues étroites et fraîches les reliques d'un empire barbare.”

André Maurois (1885–1967) romancier essayiste et historien de la littérature français

Don Juan ou la vie de Byron, 1952

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“En d'autre termes, selon une terminologie qui rappelle celle de l'époque brutale des anciens empires, les trois grands impératifs de la géostratégie impériale sont d'empêcher les collusions et maintenir les vassaux dans une relation de dépendance en matière de sécurité, de faire en sorte que les tributaires restent dociles et protégés, et d'empêcher l'alliance des barbares.”

Zbigniew Brzezinski (1928–2017) politologue américain

Tu put it in a terminology that harkens back to the more brutal age of ancient empires, the three grand imperatives of imperial geostrategy are to prevent collusion and maintain security dependance among the vassels, to keep tributaries pliant and protected, and to keep the barbarians from coming together.
en
Le Grand Echiquier - 1997

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“Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie.”

Claude Lévi-Strauss (1908–2009) anthropologue et ethnologue français

, 1952

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“Pour Childe Harold, Rome était le plus parfait des terrains de méditation. Le monde ne pouvait contenir de plus belle réserve de thèmes byroniens. Grandeur et décadence, ruine et beauté, des lieux communs sublimes s'élevaient à chaque carrefour… Méditation sur la tombe de Cecilia Metella. Qui était-elle, cette grande dame qui dormait dans une forteresse? Avait-elle été chaste et belle? De celles qui aiment leur seigneur, ou de celles qui aiment le seigneur des autres? Etait-elle morte jeune, un dernier rayon rose sur ses joues enfantines, ou très vieille, avec de longues tresses gris argent? Il avait pour la mort tant de goût sensuel qu'il s'attendrissait sur cette morte inconnue… Rêverie sur le Palatin. Les oiseaux de nuit s'y répondaient parmi les pierres couvertes de lierre qui avaient formé le palais des empereurs… Eternelle morale de toute histoire humaine. La Liberté engendre la Gloire, puis la Gloire la Richesse, la Tyrannie qui ramène les Barbares, et le cycle recommence… Rhétorique? Oui, sans doute. Mais il faut des rhéteurs… Au Colisée, par un soir de clair de lune où les étoiles tremblaient sous les arcs frangés de fleurs sauvages, dans ce cercle magique hanté par les grands morts, contre ceux qui l'avaient fait souffrir, contre « sa Clytemnestre morale », contre les insulteurs de son exil, il évoqua sa déesse favorite, Némésis, et le temps vengeur.”

André Maurois (1885–1967) romancier essayiste et historien de la littérature français

Don Juan ou la vie de Byron, 1952

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“On ne peut pas dire que le petit bourgeois n'a rien lu. Il a tout lu, tout dévoré au contraire.
Seulement son cerveau fonctionne à la manière de certains appareils digestifs de type élémentaire.
Il filtre. Et le filtre ne laisse passer que ce qui peut alimenter la couenne de la bonne conscience bourgeoise.
Les Vietnamiens, avant l'arrivée des Français dans leur pays, étaient gens de culture vieille, exquise et raffinée. Ce rappel indispose la Banque d'Indochine. Faites fonctionner l'oublioir!
Ces Malgaches, que l'on torture aujourd'hui, étaient, il y a moins d'un siècle, des poètes, des artistes, des administrateurs? Chut! Bouche cousue! Et le silence se fait profond comme un coffre-fort! Heureusement qu'il reste les nègres. Ah! les nègres! parlons-en des nègres!
Eh bien, oui, parlons-en.
Des empires soudanais? Des bronzes du Bénin? De la sculpture Shongo? Je veux bien; ça nous changera de tant de sensationnels navets qui adornent tant de capitales européennes. De la musique africaine. Pourquoi pas?
Et de ce qu'ont dit, de ce qu'ont vu les premiers explorateurs… Pas de ceux qui mangent aux râteliers des Compagnies! Mais des d'Elbée, des Marchais, des Pigafetta! Et puis de Frobénius! Hein, vous savez qui c'est, Frobénius? Et nous lisons ensemble :
« Civilisés jusqu'à la moelle des os! L'idée du nègre barbare est une invention européenne. »
Le petit bourgeois ne veut plus rien entendre. D'un battement d'oreilles, il chasse l'idée.
L'idée, la mouche importune.”

Aimé Césaire (1913–2008) poète et homme politique français

Discourse on Colonialism

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“Les deux femmes, vêtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sœur, elles jetèrent dessus des fleurs et de l’eau bénite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans l’appartement sa lueur rougeâtre et terne comme le regard d’un cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumèrent deux petites bougies qui étaient sur la table de nuit, s’agenouillèrent et me dirent de prier comme elles.

Je priai, oh! bien fort, le plus qu’il m’était possible! mais rien… Lélia ne remuait pas!
Je fus longtemps ainsi agenouillé, la tête sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses; il me semblait qu’en pensant, en pleurant, en me déchirant l’âme avec des prières et des vœux, j’obtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indécises et dont on ne distinguait rien si ce n’est, à une place, une forme ronde qui devait être La tête, et plus bas une autre qui semblait être les pieds. Je croyais, moi, pauvre naïf enfant, je croyais que la prière pouvait rendre la vie à un cadavre, tant j’avais de foi et de candeur!

Oh! on ne sait ce qu’a d’amer et de sombre une nuit ainsi passée à prier sur un cadavre, à pleurer, à vouloir faire renaître le néant! On ne sait tout ce qu’il y a de hideux et d’horrible dans une nuit de larmes et de sanglots, à la lueur de deux cierges mortuaires, entouré de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vénales, aux grotesques psalmodies! On ne sait enfin tout ce que cette scène de désespoir et de deuil vous remplit le cœur : enfant, de tristesse et d’amertume; jeune homme, de scepticisme; vieillard, de désespoir!

Le jour arriva.
Mais quand le jour commença à paraître, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient à mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissèrent seul. Je courus après elles, et me traînant à leurs pieds, m’attachant à leurs vêtements :
— Ma sœur! leur dis-je, eh bien, ma sœur! oui, Lélia! où est-elle?
Elles me regardèrent étonnées.
— Ma sœur! vous m’avez dit de prier, j’ai prié pour qu’elle revienne, vous m’avez trompé!
— Mais c’était pour son âme!
Son âme? Qu’est-ce que cela signifiait? On m’avait souvent parlé de Dieu, jamais de l’âme.
Dieu, je comprenais cela au moins, car si l’on m’eût demandé ce qu’il était, eh bien, j’aurais pris La linotte de Lélia, et, lui brisant la tête entre mes mains, j’aurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu! » Mais l’âme? l’âme? qu’est-ce cela?
J’eus la hardiesse de le leur demander, mais elles s’en allèrent sans me répondre.

Son âme! eh bien, elles m’ont trompé, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, c’était Lélia, Lélia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent; c’était Lelia, ma belle petite sœur aux grands yeux bleus, Lélia qui m’embrassait le soir après sa poupée, après son mouton chéri, après sa linotte. Pauvre sœur! c’était toi que je demandais à grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me répondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as prié non pour elle, mais tu as prié pour son âme! quelque chose d’inconnu, de vague comme un mot d’une langue étrangère; tu as prié pour un souffle, pour un mot, pour le néant, pour son âme enfin! »

Son âme, son âme, je la méprise, son âme, je la regrette, je n’y pense plus. Qu’est-ce que ça me fait à moi, son âme? savez-vous ce que c’est que son âme? Mais c’est son corps que je veux! c’est son regard, sa vie, c’est elle enfin! et vous ne m’avez rien rendu de tout cela.
Ces femmes m’ont trompé, eh bien, je les ai maudites.

Cette malédiction est retombée sur moi, philosophe imbécile qui ne sais pas comprendre un mot sans L’épeler, croire à une âme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au Prométhée d’Eschyle, je brave les coups et que je méprise trop pour blasphémer.”

Gustave Flaubert (1821–1880) romancier et auteur dramatique français

La dernière heure : Conte philosophique inachevé

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