Citations sur mètre
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“J'ai passé ma vie à me défendre de l'envie d'y mettre fin.”

Franz Kafka (1883–1924) écrivain pragois de langue allemande (1883-1924)

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“On ne me considérait pas assez asiatique, alors on a embauché une conseillère en asiaticité. Parce que je faisais un si gros gâchis d'être asiatique. Elle me suivait : « Margaret! Utilisez des baguettes! Et une fois le repas terminé, vous pouvez les mettre dans les cheveux. Là vous portez des chaussures, ce que nous ne faisons pas dans la maison. Alors je vais vous laisser ce boulier juste ici… »”

Margaret Cho (1968) actrice américaine

Because I wasn't Asian enough - they decided to hire an Asian Consultant. Because I was fucking it up as an Asian. She would follow me around: "Margaret! Use chopsticks! And when you are done eating, you can put them in your hair. Now you're wearing shoes which is something we don't do in the house. Now I'm just going to leave this abacus right here..."
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I'm the One that I Want

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“Tout aboutit chez Mme de Lambert à ce conseil suprême : « se donner ses heures, se mettre à part, pratiquer la retraite de l’âme, savoir être en soi. » — Être en soi, c’est jouir de ce que l’on est et de ce que l’on a : il faut des repos pour le bonheur; il suffit de si peu de chose pour troubler notre quiétude : le moindre mal qui puisse nous arriver des ébranlements trop répétés ou des excitations trop vives, c’est de faire échapper ce qu’on tient en attendant ce qu’on désire. — Être en soi, c’est s’appuyer sur sa raison, temporiser avec ses sentiments, haine ou amour, pour arriver à les maîtriser, ne point composer avec ce qui est du train de la volupté, musique, poésie, jeux, spectacles et plaisirs violents, travailler à se craindre et à se respecter, renouveler incessamment ses ressources d’entretien moral et de résistance : « Nous sommes toujours aussi forts contre nous-mêmes et contre les autres que nous voulons l’être. » — Être en soi, c’est n’attendre de la vie que ce qu’elle peut donner […]. « Ma fille, répète sans cesse Mme de Lambert, hors de soi point de bonheur durable… Ne nous croyons assurée contre les disgrâces que lorsque nous sentirons nos plaisirs naître du fond de notre âme… Tout âge est à charge à qui ne porte pas au dedans de soi ce qui peut rendre la vie heureuse… La plupart des hommes ne savent pas vivre dans leur propre société… Le monde n’est qu’une troupe de fugitifs d’eux-mêmes. »”

Octave Gréard (1828–1904) pédagogue et universitaire français

L'Éducation des femmes par les femmes, 1885, Madame Lambert

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“Nous allons lui mettre dix et demi, c'est ce que nous méritons tous.”

Gaston Bachelard (1884–1962) philosophe français

Philosopher ou l'art de clouer le bec aux femmes, 2006

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“Quiconque prie sans être exaucé doit se mettre au jeûne.”

Le secret des peuples sans cancer, 1994

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“Deux étapes fondamentales sont donc nécessaires. Premièrement, identifier les États géopolitiquement dynamiques qui ont le potentiel de créer un basculement important en terme de distribution internationale du pouvoir, et de décrypter les objectifs poursuivis par leurs élites politiques, et les conséquences éventuelles. Deuxièmement, mettre en œuvre des politiques US pour les compenser, coopter, et/ou contrôler.”

Zbigniew Brzezinski (1928–2017) politologue américain

Two basic steps are thus required: first to identify the geostrategically dynamic Eurasian states that have the power to cause a potentially important shift in the international distribution of power and to decipher the central external goals of their respective political elites and the likely consequences of their seeking to attain them; [...] second to formulate specific U.S. policies to offset, co-opt, and/or control the above
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Le Grand Echiquier - 1997

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“Il ne faut pas confondre s'amuser et déconner. S'amuser, c'est éviter de se prendre au sérieux. Déconner, c'est mettre en péril ce qui est sérieux…”

Laurent Fignon (1960–2010) coureur cycliste et commentateur sportif français

Nous étions jeunes et insouciants, 2009

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“Je sais un arc-en-ciel qui n'annonce rien de bon. Quand le vent se ramasse dans un coin de la terre comme une toupie et que vos cils battent tandis que vous sentez un bras imaginaire passé autour de votre taille, essayez de vous mettre à courir.”

André Breton (1896–1966) poète et écrivain français

L'Année des chapeaux rouges partie I Pour mieux sauter, André Breton, Littérature Nouvelle Série, 3, Mai 1922, 9
L'Année des chapeaux rouges, 1922

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“Un aveu. Je fais autre chose encore, autre chose que visualiser la scène, autre chose que convoquer un souvenir, je me dis  : à quoi Thomas a-t-il pensé, quand ça a été le dernier moment  ? après avoir passé la corde autour de son cou  ? avant de renverser la chaise  ? et d'abord, combien de temps cela a-t-il duré  ? une poignée de secondes  ? puisqu'il ne servait à rien de perdre du temps, la décision avait été prise, il fallait la mettre à exécution, une minute  ? mais c'est interminable, une minute, dans ces circonstances, et alors comment l'a-t-il remplie  ? avec quelles pensées  ? et j'en reviens à ma question. A-t-il fermé les yeux et revu des épisodes de son passé, de la tendre enfance, par exemple son corps étendu en croix dans l'herbe fraîche, tourné vers le bleu du ciel, la sensation de chaleur sur sa joue et sur ses bras  ? de son adolescence  ? une chevauchée à moto, la résistance de l'air contre son torse  ? a-t-il été rattrapé par des détails auxquels il ne s'attendait pas  ? des choses qu'il croyait avoir oubliées  ? ou bien a-t-il fait défiler des visages ou des lieux, comme s'il s'agissait de les emporter avec lui  ? (À la fin, je suis convaincu qu'en tout cas, il n'a pas envisagé de renoncer, que sa détermination n'a pas fléchi, qu'aucun regret, s'il y en a eu, n'est venu contrarier sa volonté.) Je traque cette ultime image formée dans son esprit, surgie de sa mémoire, non pas pour escompter y avoir figuré mais pour croire qu'en la découvrant, je renouerais avec notre intimité, je serais à nouveau ce que nul autre n'a été pour lui.”

Philippe Besson (1967) écrivain français

« Arrête avec tes mensonges »

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“Un jour, avec des yeux vitreux, ma mère me dit: « Lorsque tu seras dans ton lit, que tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne, cache-toi dans ta couverture, ne tourne pas en dérision ce qu'ils font: ils ont soif insatiable de l'infini, comme toi, comme moi, comme le reste des humains, à la figure pâle et longue. Même, je te permets de te mettre devant la fenêtre pour contempler ce spectacle, qui est assez sublime » Depuis ce temps, je respecte le voeu de la morte. Moi, comme les chiens, j'éprouve le besoin de l'infini… Je ne puis, je ne puis contenter ce besoin! Je suis fils de l'homme et de la femme, d'après ce qu'on m'a dit. Ça m'étonne… je croyais être davantage! Au reste, que m'importe d'où je viens? Moi, si cela avait pu dépendre de ma volonté, j'aurais voulu être plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempêtes, et du tigre, à la cruauté reconnue: je ne serais pas si méchant. Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tête des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rôde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des tempêtes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intérieur des cheminées : il ne faut pas que les yeux soient témoins de la laideur que l'Etre suprême, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi.”

Comte de Lautréamont (1846–1870) écrivain français

Maldoror = Les Chants de Maldoror, together with a translation of Lautréamont's Poésies

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“qu’il n’y a que les gens malheureux, pour mettre la souffrance des humbles de plain-pied avec la leur… Il y a toujours de l’insolence et de la distance dans la bonté des heureux !…”

Octave Mirbeau (1848–1917) romancier, essayiste et dramaturge, journaliste et critique d'art français

Le journal d'une femme de chambre

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“Notre Père qui êtes au ciel, pria-t-il. Permettez-nous de nous élever! Permettez-nous d’accéder à la surface, rendez-nous superficiels! Donnez-nous un millimètre de profondeur, permettez-nous enfin d’être simples comme bonjour! Rendez-nous le goût du rose et du bleu, du tendre et du charmant, apprenez-nous à nous servir d’un chien, d’une forêt, d’un coucher de soleil, du chant des oiseaux! Libérez-nous du mal, libérez-nous des abstractions, rendez-nous nos esprits! Ô Vous grand Willie (son interlocuteur, un producteur de cinéma américain qu’il prend ironiquement pour Dieu, N. B.) qui êtes au ciel, apprenez-nous le ruisseau, et le sommeil dans l’herbe, rendez-nous l’herbe, le brin d’herbe entre les dents et la touffe d’herbe sous la nuque! Comment fait-on ça, comment fait-on ça? Prenez nos plus hautes institutions et faites-nous vivre au lieu de ça en Corse, dans une chanson de Tino Rossi! Que notre vie ait toute l’élévation de sa voix, toute la variété de ses rimes! Sauvez-nous du blanc et du noir, réconciliez-nous avec le gris, avec l’impur, gardez la pureté pour Vous et apprenez-nous à nous contenter du reste! Ô vous qui pouvez tout, donnez-nous la midinette et les moyens de s’en servir! Rendez-nous le secret du coït simple comme bonjour où l’on ne risque pas de se casser les jambes à force de s’entortiller! Rendez-nous les clairs de lune, la valse, permettez-nous de mettre genou à terre devant une femme sans ricaner! Ô Vous, formidable et colossal, ô Vous, absolument inouï! sauvez-nous du ricanement et de l’analyse, sauvez-nous des élites, faites régner sur nous un rêve de jeune fille! Ô Vous! absolument invraisemblable par plusieurs côtés, rendez-nous la sérénade et l’échelle de corde, le sonnet et la feuille sèche entre les pages d’un livre, mettez Roméo et Juliette au Kremlin (l’histoire se passe dans les années 1950, N. B.)! Ô Vous qui avez créé les abîmes et le Kilimandjaro, rendez-nous enfin l’usage du superficiel! Sauvez-nous du hara-kiri de l’introspection! Libérez-nous des traités hautement sérieux et du narcissisme, prenez l’homme et dénouez-le! Il s’est entortillé en un noeud tellement inextricable que, de tous les côtés, on veut le couper sous prétexte de le libérer! Permettez-nous de croire à la virginité et aux petites valeurs humaines, qu’elles reviennent à nous avec leur pain et leur sel, libérez-nous de nos scaphandres, laissez-nous seulement quelques douces bulles d’air et donnez-nous la simplicité nécessaire pour embrasser une femme sur les lèvres seulement! Prenez le génie et rendez-nos le talent! Ô Vous qui connaissez si bien l’histoire, n’en faites plus! Laissez-nous petits et aimables! Arrêtez tout et vérifiez soigneusement nos mesures : nous sommes sortis de nos dimensions! Nous sommes devenus trop grands pour notre petitesse! Pour vous y retrouver, c’est bien simple : écoutez nos cris quand nous faisons l’amour, rappelez-vous ainsi qui nous sommes, réglez-vous là-dessus! Avant de créer de nouveaux Staline et toute la ribambelle de géniaux pères des peuples, écoutez longuement le choeur des hommes et des femmes qui font l’amour : retenez-vous. Laissez-les continuer. Ne les dérangez sous aucun prétexte. Gardez le génie pour Vous : Vous en avez singulièrement besoin, c’est un homme qui vous le dit. Je sais bien que ça manque d’idéal : gardez l’idéal et l’absolu pour vous, ô Vous, qui n’avez jamais fréquenté les petites femmes! Sauvez-nous des partouzes idéologiques, rendez-nous le couple! Permettez-nous de ne pas être tous heureux ensemble et en même temps et d’être heureux quand même! Ô Vous, pour qui l’amour n’est que le petit besoin des hommes, laissez-nous à notre petit besoin! Laissez-nous par couples, empêchez les grappes! Rendez-nous le goût des duos! Soutenez les barcarolles contre les hymnes, les sérénades contre les choeurs, épargnez, au coeur des grandes symphonies, le petit son de la flûte! Soutenez-le, rendez-le perceptible!”

Les Clowns lyriques

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“Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous décidez un beau jour à en parler de moins en moins, avec effort quand il faut s’y mettre. On en a bien marre de s’écouter toujours cau-ser… On abrège… On renonce… Ça dure depuis trente ans qu’on cause… On ne tient plus à avoir raison. L’envie vous lâche de garder même la petite place qu’on s’était réservée parmi les plaisirs… On se dégoûte… Il suffit désormais de bouffer un peu, de se faire un peu de chaleur et de dormir le plus qu’on peut sur
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le chemin de rien du tout. Il faudrait pour reprendre de l’intérêt trouver de nouvelles grimaces à exécuter devant les autres… Mais on n’a plus la force de changer son répertoire. On bre-douille. On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester là avec eux les copains, mais la mort est là aussi elle, puante, à côté de vous, tout le temps à présent et moins mysté-rieuse qu’une belote. Vous demeurent seulement précieux les menus chagrins, celui de n’avoir pas trouvé le temps pendant qu’il vivait encore d’aller voir le vieil oncle à Bois-Colombes, dont la petite chanson s’est éteinte à jamais un soir de février. C’est tout ce qu’on a conservé de la vie. Ce petit regret bien atroce, le reste on l’a plus ou moins bien vomi au cours de la route, avec bien des efforts et de la peine. On n’est plus qu’un vieux réverbère à souvenirs au coin d’une rue où il ne passe déjà presque plus personne.”

Journey to the End of the Night

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“[…] Dans cette question des limites de fait ou de droit du sentiment patriotique, il convient de rappeler tout d’abord qu’il y a patrie et patrie : il y a celle de la terre et celle du Ciel; la seconde est prototype et mesure de la première, elle lui donne son sens et sa légitimité. C’est ainsi que dans l’enseignement évangélique l’amour de Dieu prime, et peut par conséquent contredire, l’amour des proches parents, sans qu’il y ait là aucune offense à la charité; la créature doit d’ailleurs être aimée « en Dieu », c’est à dire que l’amour ne lui appartient jamais en entier. Le Christ ne s’est soucié que de la Patrie céleste, qui « n’est pas de ce monde »; c’est suffisant, non pour renier le fait naturel d’une patrie terrestre, mais pour s’abstenir de tout culte abusif – et avant tout illogique – du pays d’origine. Si le Christ a désavoué les attachements temporels, il n’en a pas moins admis les droits de la nature, dans le domaine qui est le leur, droits éminemment relatifs qu’il ne s’agit pas d’ériger en idoles; c’est ce que saint Augustin a magistralement traité, sous un certain rapport tout au moins, dans Civitas Dei. Le patriotisme normal est à la fois déterminé et limité par les valeurs éternelles; « il ne s’enfle point » et ne pervertit pas l’esprit; il n’est pas, comme le chauvinisme, l’oubli officiel de l’humilité et de la charité en même temps que l’anesthésie de toute une partie de l’intelligence; restant dans ses limites, il est capable de susciter les plus belles vertus, sans être un parasite de la religion.
Il faut se garder des interprétations abusives du passé historique; l’œuvre de Jeanne d’Arc n’a rien à voir avec le nationalisme moderne, d’autant que la sainte à suivi l’impulsion, non point d’un nationalisme naturel – ce qui eût été légitime – mais celle d’une volonté céleste, qui voyait loin. La France fut pendant des siècles le pivot du Catholicisme; une France anglaise eût signifié en fin de compte une Europe protestante et la fin de l’Eglise catholique; c’est ce que voulurent prévenir les « voix ». L’absence de toute passion, chez Jeanne, ses paroles sereines à l’égard des Anglais, corroborent pleinement ce que nous venons de dire et devrait suffire pour mettre la sainte à l’abri de toute imposture rétrospective (1). […]
1 – De même, l’étendard de Jeanne fut tout autre chose qu’un drapeau révolutionnaire unissant, dans un même culte profane, croyants et incroyants.
["Usurpations du sentiment religieux", Études Traditionnelles, décembre 1965. ]”

The Transfiguration of Man
Variante: [... ] Dans cette question des limites de fait ou de droit du sentiment patriotique, il convient de rappeler tout d’abord qu’il y a patrie et patrie : il y a celle de la terre et celle du Ciel; la seconde est prototype et mesure de la première, elle lui donne son sens et sa légitimité. C’est ainsi que dans l’enseignement évangélique l’amour de Dieu prime, et peut par conséquent contredire, l’amour des proches parents, sans qu’il y ait là aucune offense à la charité; la créature doit d’ailleurs être aimée « en Dieu », c’est à dire que l’amour ne lui appartient jamais en entier. Le Christ ne s’est soucié que de la Patrie céleste, qui « n’est pas de ce monde »; c’est suffisant, non pour renier le fait naturel d’une patrie terrestre, mais pour s’abstenir de tout culte abusif – et avant tout illogique – du pays d’origine. Si le Christ a désavoué les attachements temporels, il n’en a pas moins admis les droits de la nature, dans le domaine qui est le leur, droits éminemment relatifs qu’il ne s’agit pas d’ériger en idoles; c’est ce que saint Augustin a magistralement traité, sous un certain rapport tout au moins, dans Civitas Dei. Le patriotisme normal est à la fois déterminé et limité par les valeurs éternelles; « il ne s’enfle point » et ne pervertit pas l’esprit; il n’est pas, comme le chauvinisme, l’oubli officiel de l’humilité et de la charité en même temps que l’anesthésie de toute une partie de l’intelligence; restant dans ses limites, il est capable de susciter les plus belles vertus, sans être un parasite de la religion.
Il faut se garder des interprétations abusives du passé historique; l’œuvre de Jeanne d’Arc n’a rien à voir avec le nationalisme moderne, d’autant que la sainte à suivi l’impulsion, non point d’un nationalisme naturel – ce qui eût été légitime – mais celle d’une volonté céleste, qui voyait loin. La France fut pendant des siècles le pivot du Catholicisme; une France anglaise eût signifié en fin de compte une Europe protestante et la fin de l’Eglise catholique; c’est ce que voulurent prévenir les « voix ». L’absence de toute passion, chez Jeanne, ses paroles sereines à l’égard des Anglais, corroborent pleinement ce que nous venons de dire et devrait suffire pour mettre la sainte à l’abri de toute imposture rétrospective (1). [... ]

1 – De même, l’étendard de Jeanne fut tout autre chose qu’un drapeau révolutionnaire unissant, dans un même culte profane, croyants et incroyants.

"Usurpations du sentiment religieux", Études Traditionnelles, décembre 1965.

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“Augmentez la dose de sports pour chacun, développez l'esprit d'équipe, de compétition, et le besoin de penser est éliminé, non? Organiser, organisez, super-organisez des super-super-sports. Multipliez les bandes dessinées, les films; l'esprit a de moins en moins d'appétits. L'impatience, les autos-trades sillonnées de foules qui sont ici, là, partout, nulle part. Les réfugiés du volant. Les villes se transforment en auberges routières; les hommes se déplacent comme des nomades suivant les phases de la lune, couchant ce soir dans la chambre où tu dormais à midi et moi la veille. (1re partie)

On vit dans l'immédiat. Seul compte le boulot et après le travail l'embarras du choix en fait de distractions. Pourquoi apprendre quoi que ce soit sinon à presser les boutons, brancher des commutateurs, serrer des vis et des écrous?

Nous n'avons pas besoin qu'on nous laisse tranquilles. Nous avons besoin d'être sérieusement tracassés de temps à autre. Il y a combien de temps que tu n'as pas été tracassée sérieusement? Pour une raison importante je veux dire, une raison valable?

- Tu dois bien comprendre que notre civilisation est si vaste que nous ne pouvons nous permettre d'inquiéter ou de déranger nos minorités. Pose-toi la question toi-même. Que recherchons-nous, par-dessus tout, dans ce pays? Les gens veulent être heureux, d'accord? Ne l'as-tu pas entendu répéter toute la vie? Je veux être heureux, déclare chacun. Eh bien, sont-ils heureux? Ne veillons-nous pas à ce qu'ils soient toujours en mouvement, toujours distraits? Nous ne vivons que pour ça, c'est bien ton avis? Pour le plaisir, pour l'excitation. Et tu dois admettre que notre civilisation fournit l'un et l'autre à satiété.

Si le gouvernement est inefficace, tyrannique, vous écrase d'impôts, peu importe tant que les gens n'en savent rien. La paix, Montag. Instituer des concours dont les prix supposent la mémoire des paroles de chansons à la mode, des noms de capitales d'État ou du nombre de quintaux de maïs récoltés dans l'Iowa l'année précédente. Gavez les hommes de données inoffensives, incombustibles, qu'ils se sentent bourrés de "faits" à éclater, renseignés sur tout. Ensuite, ils s'imagineront qu'ils pensent, ils auront le sentiment du mouvement, tout en piétinant. Et ils seront heureux, parce que les connaissances de ce genre sont immuables. Ne les engagez pas sur des terrains glissants comme la philosophie ou la sociologie à quoi confronter leur expérience. C'est la source de tous les tourments. Tout homme capable de démonter un écran mural de télévision et de le remonter et, de nos jours ils le sont à peu près tous, est bien plus heureux que celui qui essais de mesurer, d'étalonner, de mettre en équations l'univers ce qui ne peut se faire sans que l'homme prenne conscience de son infériorité et de sa solitude.

Nous sommes les joyeux drilles, les boute-en-train, toi, moi et les autres. Nous faisons front contre la marée de ceux qui veulent plonger le monde dans la désolation en suscitant le conflit entre la théorie et la pensée. Nous avons les doigts accrochés au parapet. Tenons bon. Ne laissons pas le torrent de la mélancolie et de la triste philosophie noyer notre monde. Nous comptons sur toi. Je ne crois pas que tu te rendes compte de ton importance, de notre importance pour protéger l'optimisme de notre monde actuel.”

Fahrenheit 451

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“Peindre d'abord une cage
Avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger…
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s’il Ie faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n’ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.”

Paroles
Variante: Peindre d'abord une cage/ Avec une porte ouverte/ peindre ensuite/ quelque chose de joli/ quelque chose de simple/ quelque chose de beau/ quelque chose d'utile/ pour l'oiseau/ placer ensuite la toile contre un arbre/ dans un jardin/ dans un bois/ ou dans une forêt/ se cacher derrière l'arbre/ sans rien dire/ sans bouger.../ Parfois l'oiseau arrive vite/ mais il peut aussi bien mettre de longues années/ avant de se décider/ Ne pas se décourager
attendre/ attendre s’il Ie faut pendant des années/ la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau/ n’ayant aucun rapport/ avec la réussite du tableau/ Quand l'oiseau arrive/ s'il arrive/ observer le plus profond silence/ attendre que l'oiseau entre dans la cage/ et quand il est entré/ fermer doucement la porte avec le pinceau/ puis/ effacer un à un tous les barreaux/ en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau/ Faire ensuite le portrait de l'arbre/ en choisissant la plus belle de ses branches/ pour l'oiseau/ peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent/ la poussière du soleil/ et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été/ et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter/ Si l'oiseau ne chante pas/ c'est mauvais signe/ signe que le tableau est mauvais/ mais s'il chante c'est bon signe/ signe que vous pouvez signer/ Alors vous arrachez tout doucement/ une des plumes de l'oiseau/ et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

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“L'éducation devrait commencer par enseigner la valeur de la non-violence, qui, du reste, est liée à des tas de domaines : au fait d'être végétarien, de respecter le monde, à l'idée que cette terre, on ne nous l'a pas donnée, qu'elle appartient à tout un chacun et qu'on ne peut impunément se mettre à couper et à creuser n'importe où. Le problème, c'est que, d'après moi, tout le système est fait de telle sorte que l'homme, sans même s'en rendre compte, commence dès son plus jeune âge à se fondre dans une mentalité qui lui interdit de penser autrement. On aboutit à une situation dans laquelle on n'a même plus besoin de dictature, désormais, car il y a la dictature de l'école, de la télévision, de ce qu'on nous enseigne. Si on éteint la télévision, on devient un homme libre.
La liberté. Elle n'existe plus. Je ne cesse de le répéter : nous n'avons jamais été aussi peu libres, malgré cette énorme liberté apparente d'acheter, de baiser, de choisir entre différentes sortes de dentifrices, entre quarante mille voitures, entre tous ces téléphones portables qui font aussi des photos. Il n'y a plus la liberté d'être soi-même. Car tout est déjà prévu, tout est déjà mis sur des rails, et il n'est pas facile d'en sortir, car cela crée des conflits. Combien de gens sont rejetés par le système, sont marginalisés parce qu'ils ne rentrent pas dans le monde? Ah, s'ils faisaient autre chose, au contraire! Mais il n'y a rien d'autre à faire, il n'y a que cette poussée vers le marché. (p. 458)”

La fine è il mio inizio

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“On rencontre quelqu’un, en personne ou par écrit. La première étape consiste à constater l’existence de l’autre : il peut arriver que ce soit un moment d’émerveillement. À cet instant, on est Robinson et Vendredi sur la plage de l’île, on se contemple, stupéfait, ravi qu’il y ait dans cet univers un autre aussi autre et aussi proche à la fois. On existe d’autant plus fort que l’autre le constate et on éprouve un déferlement d’enthousiasme pour cet individu providentiel qui vous donne la réplique. On attribue à ce dernier un nom fabuleux : ami, amour, camarade, hôte, collègue, selon. C’est une idylle. L’alternance entre l’identité et l’altérité (« C’est tout comme moi ! C’est le contraire de moi ! ») plonge dans l’hébétude, le ravissement d’enfant. On est tellement enivré qu’on ne voit pas venir le danger. Et soudain, l’autre est là, devant la porte. Dessaoulé d’un coup, on ne sait comment lui dire qu’on ne l’y a pas invité. Ce n’est pas qu’on ne l’aime plus, c’est qu’on aime qu’il soit un autre, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas soi. Or l’autre se rapproche comme s’il voulait vous assimiler ou s’assimiler à vous. On sait qu’il va falloir mettre les points sur les i. Il y a diverses manières de procéder, explicites ou implicites. Dans tous les cas, c’est un passage épineux. Plus des deux tiers des relations le ratent. S’installent alors l’inimitié, le malentendu, le silence, parfois la haine. Une mauvaise foi préside à ces échecs qui allègue que si l’amitié avait été sincère, le problème ne se serait pas posé. Ce n’est pas vrai. Il est inévitable que cette crise surgisse. Même si on adore l’autre pour de bon, on n’est pas prêt à l’avoir chez soi.”

Amélie Nothomb (1967) écrivaine belge, d'expression française

Une Forme de Vie

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“A qui écris-tu?
-A toi. En fait, je ne t'écris pas vraiment, j'écris ce que j'ai envie de faire avec toi…
Il y avait des feuilles partout. Autour d'elle, à ses pieds, sur le lit. J'en ai pris une au hasard:
"… Pique-niquer, faire la sieste au bord d'une rivière, manger des pêches, des crevettes, des croissants, du riz gluant, nager, danser, m'acheter des chaussures, de la lingerie, du parfum, lire le journal, lécher les vitrines, prendre le métro, surveiller l'heure, te pousser quand tu prends toute la place, étendre le linge, aller à l'Opéra, faire des barbecues, râler parce que tu as oublié le charbon, me laver les dents en même temps que toi, t'acheter des caleçons, tondre la pelouse, lire le journal par-dessus ton épaule, t'empêcher de manger trop de cacahuètes, visiter les caves de la Loire, et celles de la Hunter Valley, faire l'idiote, jacasser, cueillir des mûres, cuisiner, jardiner, te réveiller encore parce que tu ronfles, aller au zoo, aux puces, à Paris, à Londres, te chanter des chansons, arrêter de fumer, te demander de me couper les ongles, acheter de la vaisselle, des bêtises, des choses qui ne servent à rien, manger des glaces, regarder les gens, te battre aux échecs, écouter du jazz, du reggae, danser le mambo et le cha-cha-cha, m'ennuyer, faire des caprices, bouder, rire, t'entortiller autour de mon petit doigt, chercher une maison avec vue sur les vaches, remplir d'indécents Caddie, repeindre un plafond, coudre des rideaux, rester des heures à table à discuter avec des gens intéressants, te tenir par la barbichette, te couper les cheveux, enlever les mauvaises herbes, laver la voiture, voir la mer, t'appeler encore, te dire des mots crus, apprendre à tricoter, te tricoter une écharpe, défaire cette horreur, recueillir des chats, des chiens, des perroquets, des éléphants, louer des bicyclettes, ne pas s'en servir, rester dans un hamac, boire des margaritas à l'ombre, tricher, apprendre à me servir d'un fer à repasser, jeter le fer à repasser par la fenêtre, chanter sous la pluie, fuire les touristes, m'enivrer, te dire toute la vérité, me souvenir que toute vérité n'est pas bonne à dire, t'écouter, te donner la main, récupérer mon fer à repasser, écouter les paroles des chansons, mettre le réveil, oublier nos valises, m'arrêter de courir, descendre les poubelles, te demander si tu m'aimes toujours, discuter avec la voisine, te raconter mon enfance, faire des mouillettes, des étiquettes pour les pots de confiture…"
Et ça continuais comme ça pendant des pages et des pages…”

Anna Gavalda (1970) écrivaine française

Someone I Loved

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“On atteint [l'équanimité] lorsqu'on est capable d'accueillir le bon comme le moins bon avec la même acceptation, la même écoute. En fait, ce n'est même pas le bon et le moins bon, puisqu'il y a accueil de ce qui est sans jugement. Outre que cela nous permet d'explorer de nouvelle associations en cuisine, de libérer notre créativité et de découvrir de nouveaux plats, l'équanimité est un stade de sagesse qui permet de vivre vraiment mieux! Vous connaissez peut-être déjà cette histoire de l'homme et de son cheval, […].
L'homme, donc, possède un cheval… lequel un jour se sauve. Les voisins viennent et plaignent notre homme qui répond avec bonhomie : "De la malchance? Je ne sais pas." Quelques jours plus tard, le cheval revient accompagné d'une horde d'équidés sauvages. Les voisins se précipitent : "Quelle chance!" À quoi le vieil homme rétorque : "De la chance? Je ne sais pas." Le fils de l'homme tente de dompter et de monter ces chevaux. Il se casse la jambe. Les voisins arrivent et y vont de leurs commentaires sur la malchance qui survient, à quoi l'homme répond : "De la malchance? Je ne sais pas." Le lendemain, des affiches placardées sur les murs annoncent la guerre et l'appel de tous les jeunes gens sous les drapeaux. Le fils ayant la jambe cassée est bien sûr exempté…
Bref, gardons-nous de juger les événements comme bons ou mauvais. Les choses ne sont ni bien ni mal, elles ont des conséquences. Ce n'est pas "mal" de mettre des meringues à 230°C dans le four, elles seront brûlées. C'est tout. (p.33-34)”

Un zeste de conscience dans la cuisine

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“je lui tendis les trois pommes vertes que je venais de voler dans le verger. Elle les accepta et m'annonça, comme en passant :

— Janek a mangé pour moi toute sa collection de timbres-poste.

C'est ainsi que mon martyre commença. Au cours des jours qui suivirent, je mangeai pour Valentine plusieurs poignées de vers de terre, un grand nombre de papillons, un kilo de cerises avec les noyaux, une souris, et, pour finir, je peux dire qu'à neuf ans, c'est-à-dire bien plus jeune que Casanova, je pris place parmi les plus grands amants de tous les temps, en accomplissant une prouesse amoureuse que personne, à ma connaissance, n'est jamais venu égaler. Je mangeai pour ma bien-aimée un soulier en caoutchouc.

Ici, je dois ouvrir une parenthèse.

Je sais bien que, lorsqu'il s'agit de leurs exploits amoureux, les hommes ne sont que trop portés à la vantardise. A les entendre, leurs prouesses viriles ne connaissent pas de limite, et ils ne vous font grâce d'aucun détail.

Je ne demande donc à personne de me croire lorsque j'affirme que, pour ma bien-aimée, je consommai encore un éventail japonais, dix mètres de fil de coton, un kilo de noyaux de cerises — Valentine me mâchait, pour ainsi dire, la besogne, en mangeant la chair et en me tendant les noyaux — et trois poissons rouges, que nous étions allés pêcher dans l'aquarium de son professeur de musique.

Dieu sait ce que les femmes m'ont fait avaler dans ma vie, mais je n'ai jamais connu une nature aussi insatiable. C'était une Messaline doublée d'une Théodora de Byzance. Après cette expérience, on peut dire que je connaissais tout de l'amour. Mon éducation était faite. Je n'ai fait, depuis, que continuer sur ma lancée.

Mon adorable Messaline n'avait que huit ans, mais son exigence physique dépassait tout ce qu'il me fut donné de connaître au cours de mon existence. Elle courait devant moi, dans la cour, me désignait du doigt tantôt un tas de feuilles, tantôt du sable, ou un vieux bouchon, et je m'exécutais sans murmurer. Encore bougrement heureux d'avoir pu être utile. A un moment, elle s'était mise à cueillir un bouquet de marguerites, que je voyais grandir dans sa main avec appréhension — mais je mangeai les marguerites aussi, sous son oeil attentif — elle savait déjà que les hommes essayent toujours de tricher, dans ces jeux-là — où je cherchais en vain une lueur d'admiration. Sans une marque d'estime ou de gratitude, elle repartit en sautillant, pour revenir, au bout d'un moment, avec quelques escargots qu'elle me tendit dans le creux de la main. Je mangeai humblement les escargots, coquille et tout.

A cette époque, on n'apprenait encore rien aux enfants sur le mystère des sexes et j'étais convaincu que c'était ainsi qu'on faisait l'amour. J'avais probablement raison. Le plus triste était que je n'arrivais pas à l'impressionner. J'avais à peine fini les escargots qu'elle m'annonçait négligemment :

— Josek a mangé dix araignées pour moi et il s'est arrêté seulement parce que maman nous a appelés pour le thé.

Je frémis. Pendant que j'avais le dos tourné, elle me trompait avec mon meilleur ami. Mais j'avalai cela aussi. Je commençais à avoir l'habitude.
(La promesse de l'aube, ch. XI)”

Promise at Dawn

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