Yasmina Khadra citations
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Yasmina Khadra est le nom de plume de l'écrivain algérien Mohammed Moulessehoul , né le 10 janvier 1955 à Kenadsa dans la wilaya de Bechar dans le Sahara algérien. Ce pseudonyme est composé des deux prénoms de son épouse.

✵ 10. janvier 1955
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Yasmina Khadra Citations

“Qui rêve trop oublie de vivre.”

The Attack
L’Attentat, 2005

“Dans le ciel, où tant de romances s’étaient diluées jadis, un croissant de lune se mouche dans un nuage. Par-dessus le muret de la résidence, on peut voir les lumières de Jérusalem, avec ses minarets et le clocher de ses églises qu’écartèle désormais ce rempart sacrilège, misérable et laid, né de l’inconsistance des hommes et de leurs indécrottables vacheries. Et pourtant, malgré l’affront que lui fait le Mur de toutes les discordes, Jérusalem la défigurée ne se laisse pas abattre. Elle est toujours là, blottie entre la clémence de ses plaines et la rigueur du désert de Judée, puisant sa survivance aux sources de ses vocations éternelles auxquelles ni les rois de naguère ni les charlatans d’aujourd’hui n’auront accédé. Bien que cruellement excédée par les abus des uns et le martyre des autres, elle continue de garder la foi – ce soir plus que jamais. On dirait qu’elle se recueille au milieu de ses cierges, qu’elle recouvre toute la portée de ses prophéties maintenant que les hommes se préparent à dormir. Le silence se veut un havre de paix. La brise crisse dans les feuillages, chargée d’encens et de senteurs cosmiques. Il suffirait de prêter l’oreille pour percevoir le pouls des dieux, de tendre la main pour cueillir leur miséricorde, d’une présence d’esprit pour faire corps avec eux.
J’ai beaucoup aimé Jérusalem, adolescent. J’éprouvais le même frisson aussi bien devant le Dôme du Rocher qu’au pied du mur des Lamentations et je ne pouvais demeurer insensible à la quiétude émanant de la basilique du Saint-Sépulcre. Je passais d’un quartier à l’autre comme d’une fable ashkénaze à un conte bédouin, avec un bonheur égal, et je n’avais pas besoin d’être un objecteur de conscience pour retirer ma confiance aux théories des armes et aux prêches virulents. Je n’avais qu’à lever les yeux sur les façades alentour pour m’opposer à tout ce qui pouvait égratigner leur immuable majesté. Aujourd’hui encore, partagée entre un orgasme d’odalisque et sa retenue de sainte, Jérusalem a soif d’ivresse et de soupirants et vit très mal le chahut de ses rejetons, espérant contre vents et marées qu’une éclaircie délivre les mentalités de leur obscur tourment. Tour à tour Olympe et ghetto, égérie et concubine, temple et arène, elle souffre de ne pouvoir inspirer les poètes sans que les passions dégénèrent et, la mort dans l’âme, s’écaille au gré des humeurs comme s’émiettent ses prières dans le blasphème des canons…”

L’Attentat, 2005

“Les enfants sont la survivance de leurs parents, ce sont leur petit bout d’éternité… Ils [mes parents] seront inconsolables lorsqu’ils apprendront ma mort. Je mesure pleinement l’immense douleur que je vais leur creuser, mais ce ne sera qu’une peine parmi tant d’autres à leur palmarès. Avec le temps, ils finiront bien par faire leur deuil et par me pardonner. Le sacrifice n’incombe pas qu’aux autres. Si nous acceptons que les enfants des autres meurent pour les nôtres, nous devons accepter que nos enfants meurent pour ceux des autres, sinon, ce ne serait pas loyal. Et c’est là que tu n’arrives pas à suivre ammou [qui veut dire oncle en arabe]. Sihem est femme avant d’être la tienne. Elle est morte pour les autres… Pourquoi elle?… Pourquoi pas elle? Pourquoi veux-tu que Sihem reste en dehors de l’histoire de son peuple? Qu’avait-elle de plus ou de moins par rapport aux femmes qui s’étaient sacrifiées avant? C’est le prix à gagner pour être libre… Elle l’était. Sihem était libre. Elle disposait de tout. Je ne la privais de rien. La liberté n’est pas un passeport que l’on délivre à la préfecture, ammou. Partir où l’on veut n’est pas la liberté. Manger à sa faim n’est pas la réussite. La liberté est une conviction profonde; elle est mère de toutes les certitudes. Or, Sihem n’était pas tellement sûre d’être digne de sa chance. […] Sihem était plus proche de son peuple que de l’idée que tu te faisais d’elle. 'Elle était peut-être heureuse, mais pas suffisamment pour te ressembler'.”

L’Attentat, 2005

“J’ai connu quelqu’un, il y a longtemps. C’était un garçon ordinaire, sauf qu’il m’a tapé dans l’œil dès que je l’ai vu. Il était gentil, et tendre. J’ignore comment il a fait, mais au bout d’un flirt il a réussi à être le centre de l’univers pour moi. J’avais le coup de foudre toutes les fois qu’il me souriait, si bien que lorsqu’il me faisait la gueule quelquefois il me fallait allumer toutes les lampes en plein jour pour voir clair autour de moi. 'Je l’ai aimé comme c’est rarement possible'. Par moments, au comble du bonheur, je me posais cette question terrible : et s’il me quittait? Tout de suite, je voyais mon âme se séparer de mon corps. Sans lui, j’étais finie. Pourtant, un soir, sans préavis, il a jeté ses affaires dans une valise et il est sorti de ma vie. Des années durant, j’ai eu l’impression d’être une enveloppe oubliée après une mue. Une enveloppe transparente suspendue dans le vide. Puis, d’autres années ont passé, et je me suis aperçue que j’étais encore là, que mon âme ne m’a jamais faussé compagnie, et d’un coup, j’ai recouvré mes esprits… […] Ce que je veux dire est simple, Amine. On a beau s’attendre au pire, il nous surprendra toujours. 'Et si, par malheur, il nous arrive d’atteindre le fond, il dépendra de nous, et de nous seuls, d’y rester ou de remonter à la surface.' Entre le chaud et le froid, il n’y a qu’un pas. Il s’agit de savoir où mettre les pieds. C’est très facile de déraper. Une précipitation, et on pique du nez dans le fossé. Mais est-ce la fin du monde? Je ne le pense pas. Pour reprendre le dessus, il suffit juste de se faire une raison.”

L’Attentat, 2005

“Il avance qu’il y a des signes qui ne trompent pas.”

L’Attentat, 2005

“Comment t’as fait pour t’en sortir? lui demande Einstein éberlué.
— J’sais pas. Là-bas, on se pose pas ce genre de question. On est là, et c’est tout. Tu t’y habitues. Tu crois que le plus dur est passé, mais t’es jamais au bout de tes surprises. C’est comme si tu marchais dans la vallée des ténèbres. Plus tu avances, plus tu t’enfonces. Et plus tu relèves, et plus tu te dis c’est pas possible, j’suis mort, c’sont d’autres diables qui prennent possession de mon corps. Je vous jure que c’est la vérité. Tu te dis je me connais, je connais mes limites, j’peux pas avoir parcouru tout ce chemin et rester vivant. C’est dingue. C’est ainsi que j’ai appris qu’un homme est capable d’aller au-delà de la mort et de revenir. Ça m’est arrivé. Vous savez ce qu’est le mitard? Eh bien, ça n’a rien à voir avec ce que l’on imagine, car il dépasse l’imagination. Toucher le fond, ça a du sens, au mitard. Quelqu’un qui a pas échoué au mitard peut pas savoir ce que c’est, toucher le fond. T’es au bas de l’échelle, et tu es absorbé par le sol comme une rinçure. Tu disparais de la surface de la Terre. T’es tellement mal que tu cesses de souffrir. Les minutes deviennent des jours, et les jours des éternités. Tu te mets à voir des choses incroyables, et le mur, dans le noir total, a soudain des oreilles et des yeux. C’est au mitard que j’ai senti la présence du Seigneur. Il était si près que je percevais son souffle sur mon visage. Il avait de la peine pour moi…”

L’Olympe des Infortunes, 2010

“[S]oudain, au tréfonds des abysses, une lueur infinitésimale… Elle frétille, approche, se silhouette lentement; c’est un enfant… qui court; sa foulée fantastique fait reculer les pénombres et les opacités… Cours, lui crie la voix de son père, cours… Une aurore boréale se lève sur les vergers en fête; les branches se mettent aussitôt à bourgeonner, à fleurir, à ployer sous leurs fruits. L’enfant longe les herbes folles et fonce sur le Mur qui s’effondre telle une cloison en carton, élargissant l’horizon et exorcisant les champs qui s’étalent sur les plaines à perte de vue… Cours… Et il court, l’enfant, parmi ses éclats de rires, les bras déployés comme les ailes des oiseaux. La maison du patriarche se relève de ses ruines; ses pierres s’époussettent, se remettent en place dans une chorégraphie magique, les murs se redressent, les poutres au plafond se recouvrent de tuiles; la maison de grand-père est debout dans le soleil, plus belle que jamais. L’enfant court plus vite que les peines, plus vite que le sort, plus vite que le temps… Et rêve, lui lance l’artiste, rêve que tu es beau, heureux et immortel… Comme délivré de ses angoisses, l’enfant file sur l’arête des collines en battant des bras, la frimousse radieuse, les prunelles en liesse, et s’élance vers le ciel, emporté par la voix de son père : On peut tout te prendre; tes biens, tes plus belles années, l’ensemble de tes joies, et l’ensemble de tes mérites, jusqu’à ta dernière chemise – il te restera toujours tes rêves pour réinventer le monde que l’on t’a confisqué.”

L’Attentat, 2005