Citations sur pourquoi
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“Mais les signes de ce qui m'attendait réellement, je les ai tous négligés. Je travaille mon diplôme sur le surréalisme à la bibliothèque de Rouen, je sors, je traverse le square Verdrel, il fait doux, les cygnes du bassin ont reparu, et d'un seul coup j'ai conscience que je suis en train de vivre peut-être mes dernières semaines de fille seule, libre d'aller où je veux, de ne pas manger ce midi, de travailler dans ma chambre sans être dérangée. Je vais perdre définitivement la solitude. Peut-on s'isoler facilement dans un petit meublé, à deux. Et il voudra manger ses deux repas par jour. Toutes sortes d'images me traversent. Une vie pas drôle finalement. Mais je refoule, j'ai honte, ce sont des idées de fille unique, égocentrique, soucieuse de sa petite personne, mal élevée au fond. Un jour, il a du travail, il est fatigué, si on mangeait dans la chambre au lieu d'aller au restau. Six heures du soir cours Victor-Hugo, des femmes se précipitent aux Docks, en face du Montaigne, prennent ci et ça sans hésitation, comme si elles avaient dans la tête toute la programmation du repas de ce soir, de demain peut-être, pour quatre personnes ou plus aux goûts différents. Comment font-elles? […] Je n'y arriverai jamais. Je n'en veux pas de cette vie rythmée par les achats, la cuisine. Pourquoi n'est-il pas venu avec moi au supermarché. J'ai fini par acheter des quiches lorraines, du fromage, des poires. Il était en train d'écouter de la musique. Il a tout déballé avec un plaisir de gamin. Les poires étaient blettes au coeur, "tu t'es fait entuber". Je le hais. Je ne me marierai pas. Le lendemain, nous sommes retournés au restau universitaire, j'ai oublié. Toutes les craintes, les pressentiments, je les ai étouffés. Sublimés. D'accord, quand on vivra ensemble, je n'aurai plus autant de liberté, de loisirs, il y aura des courses, de la cuisine, du ménage, un peu. Et alors, tu renâcles petit cheval tu n'es pas courageuse, des tas de filles réussissent à tout "concilier", sourire aux lèvres, n'en font pas un drame comme toi. Au contraire, elles existent vraiment. Je me persuade qu'en me mariant je serai libérée de ce moi qui tourne en rond, se pose des questions, un moi inutile. Que j'atteindrai l'équilibre. L'homme, l'épaule solide, anti-métaphysique, dissipateur d'idées tourmentantes, qu'elle se marie donc ça la calmera, tes boutons même disparaîtront, je ris forcément, obscurément j'y crois. Mariage, "accomplissement", je marche. Quelquefois je songe qu'il est égoïste et qu'il ne s'intéresse guère à ce que je fais, moi je lis ses livres de sociologie, jamais il n'ouvre les miens, Breton ou Aragon. Alors la sagesse des femmes vient à mon secours : "Tous les hommes sont égoïstes." Mais aussi les principes moraux : "Accepter l'autre dans son altérité", tous les langages peuvent se rejoindre quand on veut.”

Annie Ernaux (1940) écrivaine française

A Frozen Woman

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“Pourquoi a t'on inventé l'enfer alors qu'il existe l'insomnie?”

Amélie Nothomb (1967) écrivaine belge, d'expression française

Le crime du comte Neville

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“Augmentez la dose de sports pour chacun, développez l'esprit d'équipe, de compétition, et le besoin de penser est éliminé, non? Organiser, organisez, super-organisez des super-super-sports. Multipliez les bandes dessinées, les films; l'esprit a de moins en moins d'appétits. L'impatience, les autos-trades sillonnées de foules qui sont ici, là, partout, nulle part. Les réfugiés du volant. Les villes se transforment en auberges routières; les hommes se déplacent comme des nomades suivant les phases de la lune, couchant ce soir dans la chambre où tu dormais à midi et moi la veille. (1re partie)

On vit dans l'immédiat. Seul compte le boulot et après le travail l'embarras du choix en fait de distractions. Pourquoi apprendre quoi que ce soit sinon à presser les boutons, brancher des commutateurs, serrer des vis et des écrous?

Nous n'avons pas besoin qu'on nous laisse tranquilles. Nous avons besoin d'être sérieusement tracassés de temps à autre. Il y a combien de temps que tu n'as pas été tracassée sérieusement? Pour une raison importante je veux dire, une raison valable?

- Tu dois bien comprendre que notre civilisation est si vaste que nous ne pouvons nous permettre d'inquiéter ou de déranger nos minorités. Pose-toi la question toi-même. Que recherchons-nous, par-dessus tout, dans ce pays? Les gens veulent être heureux, d'accord? Ne l'as-tu pas entendu répéter toute la vie? Je veux être heureux, déclare chacun. Eh bien, sont-ils heureux? Ne veillons-nous pas à ce qu'ils soient toujours en mouvement, toujours distraits? Nous ne vivons que pour ça, c'est bien ton avis? Pour le plaisir, pour l'excitation. Et tu dois admettre que notre civilisation fournit l'un et l'autre à satiété.

Si le gouvernement est inefficace, tyrannique, vous écrase d'impôts, peu importe tant que les gens n'en savent rien. La paix, Montag. Instituer des concours dont les prix supposent la mémoire des paroles de chansons à la mode, des noms de capitales d'État ou du nombre de quintaux de maïs récoltés dans l'Iowa l'année précédente. Gavez les hommes de données inoffensives, incombustibles, qu'ils se sentent bourrés de "faits" à éclater, renseignés sur tout. Ensuite, ils s'imagineront qu'ils pensent, ils auront le sentiment du mouvement, tout en piétinant. Et ils seront heureux, parce que les connaissances de ce genre sont immuables. Ne les engagez pas sur des terrains glissants comme la philosophie ou la sociologie à quoi confronter leur expérience. C'est la source de tous les tourments. Tout homme capable de démonter un écran mural de télévision et de le remonter et, de nos jours ils le sont à peu près tous, est bien plus heureux que celui qui essais de mesurer, d'étalonner, de mettre en équations l'univers ce qui ne peut se faire sans que l'homme prenne conscience de son infériorité et de sa solitude.

Nous sommes les joyeux drilles, les boute-en-train, toi, moi et les autres. Nous faisons front contre la marée de ceux qui veulent plonger le monde dans la désolation en suscitant le conflit entre la théorie et la pensée. Nous avons les doigts accrochés au parapet. Tenons bon. Ne laissons pas le torrent de la mélancolie et de la triste philosophie noyer notre monde. Nous comptons sur toi. Je ne crois pas que tu te rendes compte de ton importance, de notre importance pour protéger l'optimisme de notre monde actuel.”

Fahrenheit 451

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“Et puis, le manque est arrivé, dans le moment où je m’y attendais le moins, il est arrivé alors que j’avais presque fini par croire à mon amnésie.

C’est terrible, la morsure du manque. Ça frappe sans prévenir, l’attaque est sournoise tout d’abord, on ressent juste une vive douleur qui disparaît presque dans la foulée, c’est bref, fugace, ça nous plie en deux mais on se redresse aussitôt, on considère que l’attaque est passée, on n’est même pas capable de nommer cette effraction, et pourquoi on la nommerait, on n’a pas eu le temps de s’inquiéter, c’est parti si vite, on se sent déjà beaucoup mieux, on se sent même parfaitement bien, tout de même on garde un souvenir désagréable de cette fraction de seconde, on tente de chasser le souvenir, et on y réussit, la vie continue, le monde nous appelle, l’urgence commande.

Et puis, ça revient, le jour d’après, l’attaque est plus longue ou plus violente, on ploie les genoux, on a un méchant rictus, on se dit : quelque chose est à l'œuvre à l’intérieur, on pense à ces transports au cerveau qui annoncent les tumeurs, qui sont le signal enfin visible de cancers généralisés jusque-là insoupçonnables, on éprouve une sale frayeur, un mauvais pressentiment.

Et puis, le mal devient lancinant, il s’installe comme un intrus qu’on n’est pas capable de chasser, il est moins mordant et plus profond, on comprend qu’on ne s’en débarrassera pas, qu’on est foutu.

Oui, un jour, le manque est arrivé. Le manque de lui.

Au début, j’ai fait comme si je ne m’en rendais pas compte, le traitant par l’indifférence, par le mépris, je me savais plus fort que lui, j’étais en mesure de le dominer, de l’éliminer, c’était juste une question de volonté ou de temps, je n’étais pas le genre à me laisser abattre par quelque chose d’aussi ténu, d’aussi risible.

Et puis, il m’a fallu me rendre à l’évidence : ce match, je n’étais pas en train de le gagner, j’allais peut-être même le perdre, et je ne possédais pas le moyen d’échapper à cette déroute et plus je luttais, plus je cédais du terrain; plus je niais la réalité, plus elle me sautait au visage. Autant le reconnaître : j’étais dévoré par ça, le manque de lui.”

Philippe Besson (1967) écrivain français

Un homme accidentel

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“Voisine
Je peux rester des après-midi entiers à regarder cette fille, caché derrière mon rideau. Je me demande ce qu'elle peut écrire sur son ordinateur. A quoi elle pense quand elle regarde par la fenêtre. Je me demande ce qu'elle mange, ce qu'elle utilise comme dentifrice, ce qu'elle écoute comme musique. Un jour, je l'ai vue danser toute seule. Je me demande si elle a des frères et sœurs, si elle met la radio quand elle se lève le matin, si elle préfère l'Espagne ou l'Italie, si elle garde son mouchoir en boule dans sa main quand elle pleure et si elle aime Thomas Bernhard. Je me demande comment elle dort et comment elle jouit. Je me demande comment est son corps de près. Je me demande si elle s'épile ou si au contraire elle a une grosse toison. Je me demande si elle lit des livres en anglais. Je me demande ce qui la fait rire, ce qui la met hors d'elle, ce qui la touche et si elle a du goût. Qu'est-ce qu'elle peut bien en penser, cette fille, de la hausse du baril de pétrole et des Farc, et que dans trente ans il n'y aura sans doute plus de gorilles dans les montagnes du Rwanda? Je me demande à quoi elle pense quand je la vois fumer sur son canapé, et ce qu'elle fume comme cigarettes. Est-ce que ça lui pèse d'être seule? Est-ce qu'elle a un homme dans sa vie? Et si c'est le cas, pourquoi c'est elle qui va toujours chez lui? Pourquoi il n'y a jamais d'homme chez elle? Je me demande comment elle se voit dans vingt ans. Je me demande quel sens elle donne à sa vie. Qu'est-ce qu'elle pense de sa vie quand elle est comme ça, toute seule, chez elle? Si ça se trouve, elle n'a aucun intérêt, cette fille.”

David Thomas (1953) musicien américain

La Patience des buffles sous la pluie

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“Je suis encore un homme jeune, et pourtant, quand je songe à ma vie, c’est comme une bouteille dans laquelle on aurait voulu faire entrer plus qu’elle ne peut contenir. Est-ce le cas pour toute vie humaine, ou suis-je né dans une époque qui repousse toute limite et qui bat les existences comme les cartes d’un grand jeu de hasard?
Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimé ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos rivières, tout cela m’aurait suffi. J’aurais aimé être tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretués. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres d’Histoire. Certains en ont dévoré d’autres, les ont éventrés, violés, souillés. Et ce qui est juste n’a pas toujours triomphé de ce qui est sale.
Pourquoi ai-je dû, comme des milliers d’autres hommes, porter une croix que je n’avais pas choisie, endurer un calvaire qui n’était pas fait pour mes épaules et qui ne me concernait pas? Qui a donc décidé de venir fouiller mon obscure existence, de déterrer ma maigre tranquillité, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles? Dieu? Mais alors, s’Il existe, s’Il existe vraiment, qu’Il se cache. Qu’Il pose Ses deux mains sur Sa tête, et qu’Il la courbe. Peut-être, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup d’hommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourd’hui je sais aussi qu’Il n'est pas digne de la plupart d’entre nous, et que si la créature a pu engendrer l’horreur c’est uniquement parce que son Créateur lui en a soufflé la recette.”

Philippe Claudel (1962) écrivain, réalisateur et scénariste français

Brodeck

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“Chaque jour, le maître se contentait de le saluer et commençait son cours. Puis il demeurait invisible le reste de la journée et restait muet lors du dîner.
Or, ce matin-là, debout près de la rivière argentée, le vieil aveugle lui dit :
— Yuko, tu deviendras un poète accompli lorsque, dans ton écriture, tu intégreras les notions de peinture, de calligraphie, de musique et de danse. Et surtout lorsque tu maîtriseras l’art du funambule.
Yuko se mit à sourire. Le maître n’avait pas oublié.
— Pourquoi l’art du funambule pourrait-il me servir?
Soseki posa sa main sur l’épaule du jeune homme, comme il l’avait déjà fait un mois plus tôt.
— Pourquoi? En vérité, le poète, le vrai poète, possède l’art du funambule. Écrire, c’est avancer mot à mot sur un fil de beauté, le fil d’un poème, d’une œuvre, d’une histoire couchée sur un papier de soie. Écrire, c’est avancer pas à pas, page après page, sur le chemin du livre. Le plus difficile, ce n’est pas de s’élever du sol et de tenir en équilibre, aidé du balancier de sa plume, sur le fil du langage. Ce n’est pas non plus d’aller tout droit, en une ligne continue parfois entrecoupée de vertiges aussi furtifs que la chute d’une virgule, ou que l’obstacle d’un point. Non, le plus difficile, pour le poète, c’est de rester continuellement sur ce fil qu’est l’écriture, de vivre chaque heure de sa vie à hauteur du rêve, de ne jamais redescendre, ne serait-ce qu’un instant, de la corde de son imaginaire. En vérité, le plus difficile, c’est de devenir un funambule du verbe.
Yuko remercia le maître de lui enseigner l’art d’une façon si subtile, si belle.”

Maxence Fermine (1968) écrivain français
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“_ Pourquoi sont-ils si méprisants? demanda Chloé. Ce n'est pas tellement bien de travailler…
_ On leur a dit que c’était bien, dit Colin. En général, on trouve ça bien. En fait, personne ne le pense. On le fait par habitude et pour ne pas y penser, justement.
_ En tout cas, c'est idiot de faire un travail que des machines pourraient faire.
_ Il faut construire des machines, dit Colin. Qui le fera?
_ Oh! Evidemment, dit Chloé. Pour faire un œuf, il faut une poule, mais, une fois qu'on a la poule, on peut avoir des tas d’œufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule.
_ Il faudrait savoir, dit Colin, qui empêche de faire des machines. C'est le temps qui doit manquer. Les gens perdent leur temps à vivre, alors, il ne leur en reste plus pour travailler.
_ Ce n'est pas plutôt le contraire? dit Chloé.
_ Non, dit Colin. S'ils avaient le temps de construire les machines, après ils n'auraient plus besoin de rien faire. Ce que je veux dire c'est qu'ils travaillent pour vivre au lieu de travailler à construire des machines qui les feraient vivre sans travailler.
_ C'est compliqué, estima Chloé.
_ Non, dit Colin. C'est très simple. Ça devrait, bien entendu, venir progressivement. Mais, on perd tellement de temps à faire des choses qui s'usent…
- Mais, tu crois qu'ils n'aimeraient pas mieux rester chez eux et embrasser leur femme et aller à la piscine et aux divertissements?
- Non, dit Colin. Parce qu'ils n'y pensent pas.
- Mais est-ce que c'est leur faute si ils croient que c'est bien de travailler?
- Non, dit Colin, ce n'est pas leur faute. C'est parce qu'on leur a dit : « Le travail, c'est sacré, c'est bien, c'est beau, c'est ce qui compte avant tout, et seuls les travailleurs ont droit à tout. » Seulement, on s'arrange pour les faire travailler tout le temps et alors ils ne peuvent pas en profiter.
_ Mais, alors, ils sont bêtes? dit Chloé.
_ Oui, ils sont bêtes, dit Colin. C'est pour ça qu'ils sont d'accord avec ceux qui leur font croire que le travail c'est ce qu'il y a de mieux. Ça leur évite de réfléchir et de chercher à progresser et à ne plus travailler.”

L'Écume des jours

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“Maldoror, écoute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence égale à la tienne. Un jour, tu m’appelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je n’ai pas démenti la confiance que tu m’avais vouée. Je ne suis qu’un simple habitant des roseaux, c’est vrai; mais, grâce à ton propre contact, ne prenant que ce qu’il y avait de beau en toi, ma raison s’est agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l’abîme. Ceux qui s’intitulent tes amis te regardent, frappés de consternation, chaque fois qu’ils te rencontrent, pâle et voûté, dans les théâtres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis qu’il porte son maître-fantôme, enveloppé dans un long manteau noir. Abandonne ces pensées, qui rendent ton cœur vide comme un désert; elles sont plus brûlantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t’en aperçois pas, et que tu crois être dans ton naturel, chaque fois qu’il sort de ta bouche des paroles insensées, quoique pleines d’une infernale grandeur. Malheureux! qu’as-tu dit depuis le jour de ta naissance? Ô triste reste d’une intelligence immortelle, que Dieu avait créée avec tant d’amour! Tu n’as engendré que des malédictions, plus affreuses que la vue de panthères affamées! Moi, je préférerais avoir les paupières collées, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassiné un homme, que ne pas être toi! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractère qui m’étonne? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dérision ceux qui l’habitent, épave pourrie, ballottée par le scepticisme? Si tu ne t’y plais pas, il faut retourner dans les sphères d’où tu viens. Un habitant des cités ne doit pas résider dans les villages, pareil à un étranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphères plus spacieuses que la nôtre, et donc les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons même pas concevoir. Eh bien, va-t’en!… retire-toi de ce sol mobile!… montre enfin ton essence divine, que tu as cachée jusqu’ici; et, le plus tôt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphère, que nous n’envions point, orgueilleux que tu es! Car, je ne suis pas parvenu à reconnaître si tu es un homme ou plus qu’un homme! Adieu donc; n’espère plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour l’éternité, afin d’implorer ton pardon!”

Comte de Lautréamont (1846–1870) écrivain français
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“Il est un côté de la « culture bourgeoise » qui en dévoile toute la petitesse, c'est son aspect de « roulement » conventionnel, de manque d'imagination, bref d'inconscience et de vanité : on ne se demande pas un instant « à quoi bon tout cela »; aucun auteur ne se demande s'il vaut la peine d'écrire une nouvelle histoire après tant d'autres histoires; on semble en écrire simplement parce que d'autres en ont écrit, et parce qu'on ne voit pas pourquoi on ne le ferait pas et pourquoi on ne gagnerait pas une gloire que d'autres ont gagnée. C'est un perpetuum mobile que rien ne peut arrêter, sauf une catastrophe ou, moins tragiquement, la disparition progressive des lecteurs; sans public point de célébrité, nous l'avons dit plus haut. Et ceci est arrivé dans une certaine mesure : on ne lit plus d'anciens auteurs dont le prestige paraissait assuré; le grand public a d'autres besoins, d'autres ressources et d'autres distractions, fussent-elle des plus basses. La culture c'est, de plus en plus, l'absence de culture : la manie de se couper de ses racines et d'oublier d'où l'on vient.
Une des raisons subjectives de ce que nous pouvons appeler le « roulement culturel » est que l'homme n'aime pas se perdre tout seul, qu'il aime par conséquent trouver des complices pour une perdition commune; c'est ce que fait la culture profane, inconsciemment ou consciemment, mais non innocemment car l'homme porte au fond de lui-même l'instinct de sa raison d'être et de sa vocation. On a souvent reproché aux civilisations orientales leur stérilité culturelle, c'est-à-dire le fait qu'elles ne comportent pas un fleuve habituel de production littéraire, artistique et philosophique; nous croyons pouvoir nous dispenser à présent de la peine d'en expliquer les raisons.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

To Have a Center

“Toute la difficulté de "l'authenticité" pour un gay, c'est qu'il est bien difficile de savoir comment s'identifier à une "identité" qui est nécessairement plurielle, multiple : c'est une identité sans identité. Une identité toujours à créer. En effet, il n'y a pas de "moi" à "être", qui préexisterait à ce que l'on fait advenir à l'existence, dès lors qu'on veut s'arracher aux contenus psychologiques imposés par le discours social et culture (médical, psychanalytique, juridique…) sur l'homosexualité. C'est pourquoi Henning Bech peut dire que l'homosexuel est un "existentialiste-né" car l'existence précède et précédera (toujours) l'essence : l'identité gay, dès lors qu'elle est choisie et non plus subie, n'est jamais donnée. Mais pour se construire, elle se réfère nécessairement à des modèles déjà établis, déjà visibles (dans leur multiplicité), et l'on peut dire, par conséquent, qu'il s'agit de "se faire gay" non seulement au sens de se créer comme tel, mais aussi, peut-être, de le faire en s'inspirant d'exemples déjà disponibles dans la société et dans l'histoire, et en les retravaillant, en les transformant. Si "identité" il y a, c'est une identité personnelle qui se crée dans le rapport à une identité collective. Elle s'invente dans et par les "personnages sociaux", les "rôles" que l'on "joue" et qu'on porte à l'existence dans un horizon de recréation collective de la subjectivité. (p. 171-172)”

Didier Eribon (1953) philosophe et sociologue français

Insult and the Making of the Gay Self

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“En ce qui concerne, il y a coïncidence entre l'idéologie conjugale de la famille petite-bourgeoise et l'idée de famille en général, c'est-à-dire l'union monogamique définitive. Si misérables et désespérées, douloureuses et insupportables que soient la situation conjugale et la constellation familiale, les membres de la famille sont condamnés à les justifier, à l'intérieur de la famille et vis-à-vis de l'extérieur. La nécessité sociale de cette attitude conduit à masquer la misère et à idéaliser la famille et le mariage; elle engendre également la diffusion du sentimentalisme familial, avec ses clichés de "bonheur familial", de "foyer protecteur", du "havre de paix et de bonheur" que la famille est censée représenter pour les enfants. Le fait que dans notre société la situation est encore plus lamentable en dehors du mariage et de la famille, où la vie sexuelle perd absolument tout appui matériel, légal ou moral, est interprété à tort comme signifiant que l'institution familiale est. La méprise sur le véritable état des choses, ainsi que les slogans sentimentaux qui contribuent à créer l'atmosphère idéologique, sont psychologiquement indispensables, car ils permettent au psychisme de supporter l'intolérable situation familiale. C'est pourquoi le traitement des névroses, balayant les illusions et mettant à nu la vérité des situations, est susceptible de détruire les liens conjugaux et familiaux. (p. 134)”

The Sexual Revolution: Toward a Self-governing Character Structure

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“Pourquoi nier l’évidente nécessité de la mémoire?”

Marguerite Duras (1914–1996) écrivaine, dramaturge, scénariste et réalisatrice

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“L'homosexuel qui parle de sa vie « privée » rompt la situation « normale » puisque celle-ci est définie comme telle par le fait que, « normalement », comme dit le langage de tous les jours, l'homosexualité n'est pas dicible ou, ce qui n'est pas très différent, n'est pas souvent dite. Toute parole qui consiste à dire l'homosexualité ne peut dès lors être entendue que comme une volonté de l'affirmer, de l'afficher, comme un geste de provocation ou un acte militant. La sortie de la honte est toujours perçue comme la proclamation de la fierté (ce qu'inévitablement elle est toujours, puisque celui qui énonce l'homosexualité et le fait ainsi entrer dans le discours autrement que comme un objet de plaisanterie ou comme un objet tout court, mais comme la prise de parole d'un sujet, a bien conscience que ce qu'il va dire sera entendu de cette manière). On ne peut jamais dire simplement qu'on est homosexuel : on l'affirme toujours envers et contre tout, envers et contre tous, et non seulement contre ceux qui voudraient empêcher qu'on puisse le dire, mais aussi contre ceux qui objectent qu'il n'est pas besoin de le dire. C'est pourquoi il y a toujours une certaine théâtralité propre à l'affirmation homosexuelle. Ce n'est donc pas en vertu du fait que, comme l'écrit Sartre, « puisque nous ne faisons que jouer ce que nous sommes, nous sommes tout ce que nous pouvons jouer ». C'est au contraire parce qu'un homosexuel doit si longtemps jouer ce qu'il n'est pas qu'il ne peut ensuite être ce qu'il est qu'en le jouant. C'est vrai. Mais il ne peut en être autrement.
On l'a vu : il y a une énergie qui sourd de la honte, qui se forme en elle et par elle et qui agit comme une force transformatrice. Cette énergie s'exprime dans l'identité théâtralisée, dans la performance (au sens anglais), dans l'exhibitionnisme, l'extravagance ou la parodie. L'exhibitionnisme et la théâtralité sont sans doute, et ont été historiquement, parmi les gestes les plus importants qui ont permis de défier l'hégémonie hétéronormative. Et c'est d'ailleurs pourquoi ils ont toujours fait l'objet d'attaques si virulentes. La honte donne son énergie à l'exhibitionnisme, à l'affirmation de soi comme théâtralité, c'est-à-dire à l'affirmation de soi tout court. (p. 163-164)”

Didier Eribon (1953) philosophe et sociologue français

Insult and the Making of the Gay Self

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“C’est à Ibn ‘Arabi que l’on attribue le rôle le plus éminent dans cette interprétation de plus en plus approfondie du principe féminin. Pour lui non seulement la nafs [âme] est féminine – comme c’est le cas généralement – mais aussi dhât, « essence divine », de sorte que la féminité, dans son œuvre, est la forme sous laquelle Dieu se manifeste le mieux (…) cette phrase savant exprime, en effet, parfaitement le concept d’Ibn ‘Arabi puisqu’il écrit au sujet de sa compréhension du divin :
« Dieu ne peut être envisagé en dehors de la matière et il est envisagé plus parfaitement en la matière humaine que dans toute autre et plus parfaitement en la femme qu’en l’homme. Car Il est envisagé soit comme le principe qui agit soit comme le principe qui subit, soit comme les deux à la fois (…) quand Dieu se manifeste sous la forme de la femme Il est celui qui agit grâce au fait qu’Il domine totalement l’âme de l’homme et qu’Il l’incite à se donner et à se soumettre entièrement à Lui (…) c’est pourquoi voir Dieu dans la femme signifie Le voir sous ces deux aspects, une telle vision est plus complète que de Le voir sous toute autre forme par laquelle Il se manifeste. »
(…)
Des auteurs mystiques postérieurs à Ibn ‘Arabi développèrent ses idées et représentèrent les mystères de la relation physique entre l’homme et la femme par des descriptions tout à fait concrètes. L’opuscule du soufi cachemirien Ya’qub Sarfi (mort en 1594), analysé par Sachiko Murata, en est un exemple typique; il y explique la nécessité des ablutions complètes après l’acte d’amour par l’expérience « religieuse » de l’amour charnel : au moment de ce plaisir extatique extrême – le plus fort que l’on puisse imagine et vivre – l’esprit est tant occupé par les manifestations du divin qu’il perd toute relation avec son corps. Par les ablutions, il ramène ce corps devenu quasiment cadavre à la vie normale.
(…)
On retrouve des considérations semblables concernant le « mystère du mariage » chez Kasani, un mystique originaire de Farghana (mort en 1543). Eve, n’avait-elle pas été créée afin que « Adam pût se reposer auprès d’elle », comme il est dit dans le Coran (sourate 7:189)? Elle était le don divin pour le consoler dans sa solitude, la manifestation de cet océan divin qu’il avait quitté. La femme est la plus belle manifestation du divin, tel fut le sentiment d’Ibn ‘Arabi.”

Annemarie Schimmel (1922–2003)

My Soul Is a Woman: The Feminine in Islam

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“Voilà bien la famille : même celui qui n'a pas sa place dans le monde, qui n'est ni célèbre ni riche, à qui il n'est venu ni enfants ni idées, et dont le public ne lira le nom que dans sa notice nécrologique, celui-là, en famille, a pourtant sa place attitrée. En famille, on est quelqu'un. Vous n'imaginez pas comme Caroline imite bien Chaplin, ni comme Rudi est irritable. Et quel sens de l'humour, dans toute la famille! Ce qui, partout ailleurs, n'aurait rien d'humoristique déclenche ici des rires retentissants, on ne saurait dire pourquoi; c'est drôle, voilà tout, n'est-ce pas l'essentiel en matière d'humour? Et puis, tous ceux qui ne sont pas de la famille sont bien plus ridicules qu'ils ne s'en doutent. Dieu les a voués à la caricature; si vous êtes seul au monde, sans attaches, vous pouvez être sûr d'être le summum du ridicule pour les diverses familles qui vous observent. Il est vrai que ces qualités, comme tout, peuvent être vues sous leur angle négatif : la famille a l'esprit plus petit qu'une petite ville. Plus elle est chaleureuse, plus elle se montre dure pour tout ce qui n'est est pas elle, et elle est toujours plus cruelle qu'un être confronté seul à la souffrance du monde. En cantonnant la gloire dans son cercle restreint, où elle est faceil à atteindre (« gloire de la famille »), elle endort l'ambition. Et parce que tous les événements familiaux suscitent une tristesse plus profonde ou une joie plus éclatante qu'ils ne le méritent réellement, parce qu'en famille ce qui n'a rien d'humoristique devient de l'humour, et des peines insignifiantes à l'échelle collective, un malheur personnel, elle est le berceau de toute l'ineptie qui imprègne notre vie publique. Il y aurait encore long à en dire et on l'a dit parfois, mais jamais en des jours comme celui-ci.”

Robert Musil (1880–1942) ingénieur, écrivain, essayiste et dramaturge autrichien

La maison enchantée

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“Je suis un demi-dieu, une divinité mineure, un archange… Choisis le terme que tu préfères. Tu peux t’adresser à moi en m’appelant « maître », car tu n’as pas le droit de connaître mon nom. (Il se laissa tomber en position assise.) J’ai choisi cette forme parce qu’elle m’amuse et ne t’effraie pas. Wallie ne fut pas impressionné. — Pourquoi jouer avec moi ? J’aurais pu croire en toi beaucoup plus tôt si tu t’étais présenté sous un aspect plus divin – ou même avec un simple halo… Il avait dépassé les bornes. Les joues de l’enfant se gonflèrent sous le coup de la colère. — Très bien, puisque c’est ton souhait. Voici un petit aperçu. Wallie cria et se couvrit les yeux, mais trop tard. La caverne était déjà brillante, mais elle s’enflamma soudain d’un éclat magnificent aussi aveuglant que celui d’un soleil. L’enfant était demeuré un enfant, mais une infime partie de sa divinité flamboya un bref instant – et ce fut assez pour plonger un simple mortel dans une terreur sans nom. Dans ce fragment de majesté, Wallie vit que l’âge de cet être dépassait l’imagination – il existait bien avant la formation des galaxies et perdurerait bien après la disparition de feux d’artifice aussi éphémères ; son quotient intellectuel se mesurait en trillions et il était capable de connaître chaque pensée de chaque créature dans l’univers ; sa puissance aurait pu détruire une planète aussi facilement qu’on se cure les ongles ; comparés à sa noblesse et à sa pureté, les êtres humains ressemblaient à des bêtes infâmes et inutiles ; rien n’était capable de résister à ses objectifs froids et inébranlables ; sa compassion dépassait l’entendement humain et connaissait la souffrance des mortels ainsi que leurs raisons d’être, mais il ne pouvait pas la supprimer sans supprimer l’essence mortelle à la base de cette douleur. Wallie sentit aussi quelque chose de plus profond et de plus terrible encore, une présence que nul mot ne pouvait décrire, mais qu’un mortel aurait apparentée à l’ennui ou à la résignation. Il y avait des côtés négatifs à l’immortalité : le fardeau de l’omniscience et l’absence de futur limité, plus la moindre surprise, plus de fin même après la fin des temps, à jamais et à jamais… Wallie réalisa qu’il était à plat”

Le Guerrier de la déesse

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“FOLCO : ""Socialisme"" et ""communisme"" sont devenus presque des gros mots. Quelle est l'essence de ce rêve à laquelle on pourrait s'identifier, au lieu de le repousser sans même y réfléchir?
TIZIANO : L'idée du socialisme était simple : créer une société dans laquelle il n'y aurait pas de patrons pour contrôler les moyens de production, moyens avec lesquels ils réduisent le peuple en esclavage; Si tu as une usine et que tu en es le patron absolu, tu peux licencier et embaucher à ta guise, tu peu même embaucher des enfants de douze ans et les faire travailler. Il est clair que tu engranges un profit énorme, qui n'est pas dû uniquement à ton travail, mais également au travail de ces personnes-là. Alors, si les travailleurs participent déjà à l'effort de production, pourquoi ne pas les laisser coposséder l'usine?
La société est pleine d'injustices. On regarde autour de soi et on se dit : mais comment, il n'est pas possible de résoudre ces injustices?
Je m'explique. Quelqu'un a une entreprise agricole en amont d'un fleuve avec beaucoup d'eau. Il peut construire une digue pour empêcher que l'eau aille jusqu'au paysan dans la vallée, mais ce n'est pas juste. Ne peut-il pas, au contraire, trouver un accord pour que toute cette eau arrive également chez celui qui se trouve en bas? Le socialisme, c'est l'idée d'une société dans laquelle personne n'exploite le travail de l'autre. Chacun fait son devoir et, de tout ce qui a été fait en commun, chacun prend ce dont il a besoin. Cela signifie qu'il vit en fonction de ce dont il a besoin, qu'il n'accumule pas, car l'accumulation enlève quelque chose aux autres et ne sert à rien. Regarde, aujourd'hui, tous ces gens richissimes, même en Italie! Toute cette accumulation, à quoi sert-elle? Elle sert aux gens riches. Elle leur sert à se construire un yacht, une gigantesque villa à la mer. Souvent, tout cet argent n'est même pas recyclé dans le système qui produit du travail. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. C'est de là qu'est née l'idée du socialisme.
FOLCO : Et le communisme? Quelle est la différence entre le socialisme et le communisme?
TIZIANO : Le communisme a essayé d'institutionnaliser l'aspiration socialiste, en créant - on croit toujours que c'est la solution - des institutions et des organismes de contrôle. Dès cet instant, le socialisme a disparu, parce que le socialisme a un fond anarchiste. Lorsqu'on commence à mettre en place une police qui contrôle combien de pain tu manges, qui oblige tout le monde à aller au travail à huit heures, et qui envoie au goulag ceux qui n'y vont pas, alors c'est fini. (p. 383-384)”

La fine è il mio inizio

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“(…) Celui qui ignore que la maison brûle, n'a aucune raison d'appeler au secours; de même, l'homme qui ne sait pas qu'il est en train de se noyer ne saisira pas la corde salvatrice; mais savoir que nous périssons, c'est soit désespérer, soit prier. Savoir réellement que nous ne sommes rien, parce que le monde entier n'est rien, c'est se souvenir de « Ce qui est », et se libérer par ce souvenir.
Quand un homme est victime d'un cauchemar et qu'il se met alors, en plein rêve, à appeler Dieu au secours, il se réveille infailliblement, et cela démontre deux choses : premièrement, que l'intelligence consciente de l'Absolu subsiste dans le sommeil comme une personnalité distincte, - notre esprit reste donc en dehors de nos états d'illusion, et deuxièmement, que l'homme, quand il appelle Dieu, finira par se réveiller aussi de ce grand rêve qu'est la vie, le monde, l'ego. S'il est un appel qui peut briser le mur du rêve, pourquoi ne briserait-il pas aussi le mur de ce rêve plus vaste et plus tenace qu'est l'existence? Il n'y a, dans cet appel, aucun égoïsme, du moment que l'oraison pure est la forme la plus intime et la plus précieuse du don de soi.(2)
(2) « L'Heure suprême ne viendra qu'alors qu'il n'y aura plus personne sur terre qui dise : Allah! Allah! » (hadith). - C'est en effet la sainteté et la sagesse - et avec elles l'oraison universelle et quintessencielle - qui soutiennent le monde.”

Understanding Islam

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“La société secrète est un échelon intermédiaire sur le chemin de l'individuation : on confie encore à une organisation collective le soin de se laisser différencier par elle; c'est-à-dire que l'on n'a pas encore discerné qu'à proprement parler c'est la tâche de l'individu, de se tenir sur ses propres pieds et d'être différent de tous les autres. Toutes les identités collectives, qu'elles soient appartenance à des organisations, professions de foi en faveur de tel ou tel -isme, etc., gênent et contrecarrent l'accomplissement de cette tâche. Ces identités collectives sont des béquilles pour des paralytiques, des boucliers pour anxieux, des canapés pour paresseux, des pouponnières pour irresponsables, mais tout autant des auberges pour des pauvres et des faibles, un havre protecteur pour ceux qui ont fait naufrage, le sein d'une famille pour des orphelins, un but glorieux et ardemment escompté pour ceux qui ont erré et qui sont déçus, et une terre promise pour les pèlerins harassés, et un troupeau et une clôture sûre pour brebis égarées, et une mère qui signifie nourriture et croissance.
C'est pourquoi il serait erroné de considérer ce degré intermédiaire comme un obstacle; il représente au contraire, et encore pour longtemps, la seule possibilité d'existence de l'individu qui, aujourd'hui plus que jamais, se retrouve menacé d'anonymat. Cette appartenance à une organisation collective est si importante à notre époque qu'avec un certain droit elle paraît à beaucoup être un but définitif, tandis que toute tentative de suggérer à l'homme l'éventualité d'un pas de plus sur la voie de l'autonomie personnelle est considérée comme présomption ou défi prométhéen, comme phantasme ou comme impossibilité. (p. 537-538)”

Carl Gustav Jung (1875–1961) Médecin psychiatre suisse qui crée la psychologie analytique

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