Citations sur moins
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“Une illusion de moins, c'est une vérité de plus.”

Alexandre Dumas (1802–1870) écrivain et dramaturge français, père de l'écrivain et dramaturge homonyme
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“Rappelons les noms de ces êtres imaginaires, à la nature d'ange, que ma plume, pendant le deuxième chant, a tirés d'un cerveau, brillant d'une lueur émanée d'eux-mêmes. Ils meurent, dès leur naissance, comme ces étincelles dont l'ail a de la peine à suivre l'effacement rapide, sur du papier brûlé. (…) un instant, vous appa-rûtes, recouverts des insignes de la jeunesse, à mon horizon charmé: mais je vous ai laissés retomber dans le chaos, comme des cloches de plongeur. Vous n'en sortirez plus. Il me suffit que j'aie gardé votre souvenir; vous devez céder la place à d'autres substances, peut-être moins belles, qu'enfantera le débordement orageux d'un amour qui a résolu de ne pas apaiser sa soif auprès de la race humaine. Amour affamé, qui se dévoreraitlui-même, s'il ne cherchait sa nour-riture dans des fictions célestes : créant, à la longue, une pyramide de séraphins, plus nom-breux que les insectes qui fourmillent dans une goutte d'eau, il les entrelacera dans une ellipse qu'il fera tourbillonner autour de lui. Pendant ce temps le voyageur, arrêté contre l'aspect d'une cataracte, s'il relève le visage, verra, dans le loin-tain, un être humain, emporté vers la cave de l'enfer par une guirlande de camélias vivants! Mais… silence!”

Comte de Lautréamont (1846–1870) écrivain français

Variante: Rappelons les noms de ces êtres imaginaires, à la nature d'ange, que ma plume, pendant le deuxième chant, a tirés d'un cerveau, brillant d'une lueur émanée d'eux-mêmes. Ils meurent. dès leur naissance, comme ces étincelles dont l'ail a de la peine à suivre l'effacement rapide, sur du papier brûlé. Léman!... Lohengrin Lombano Holzer!... un instant, vous appa-rûtes, recouverts des insignes de la jeunesse, à mon horizon charmé: mais je vous ai laissés retomber dans le chaos, comme des cloches de plongeur. Vous n'en sortirez plus. Il me suffit que j'aie gardé votre souvenir; vous devez céder la place à d'autres substances, peut-être moins belles, qu'enfantera le débordement orageux d'un amour qui a résolu de ne pas apaiser sa soif auprès de la race humaine. Amour affamé, qui se dévoreraitlui-même, s'il ne cherchait sa nour-riture dans des fictions célestes : créant, à la longue, une pyramide de séraphins, plus nom-breux que les insectes qui fourmillent dans une goutte d'eau, il les entrelacera dans une ellipse qu'il fera tourbillonner autour de lui. Pendant ce temps le voyageur, arrêté contre l'aspect d'une cataracte, s'il relève le visage, verra, dans le loin-tain, un être humain, emporté vers la cave de l'enfer par une guirlande de camélias vivants! Mais... silence!

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“Dans son rapport inaugural, le Forum, à propos de la mondialisation qu'il a symbolisée sous ses formes les plus conquérantes et sûres d'elles-mêmes, évoque avec un sens exquis de l'euphémisme "un risque de désillusion". Mais dans les conversations, c'est autre chose. Désillusion? Crise? Inégalités? D'accord, si vous y tenez, mais enfin, comme nous le dit le très cordial et chaleureux PDG de la banque américaine Western Union, soyons clairs : si on ne paie pas les leaders comme ils le méritent, ils s'en iront voir ailleurs. Et puis, capitalisme, ça veut dire quoi? Si vous avez 100 dollars d'économies et que vous les mettez à la banque en espérant en avoir bientôt 105, vous êtes un capitaliste, ni plus ni moins que moi. Et plus ces capitalistes comme vous et moi (il a réellement dit "comme vous et moi", et même si nous gagnons fort décemment notre vie, même si nous ne connaissons pas le salaire exact du PDG de la Western Union, pour ne rien dire de ses stock-options, ce "comme vous et moi" mérite à notre sens le pompon de la "brève de comptoir" version Davos), plus ces capitalistes comme vous et moi, donc, gagneront d'argent, plus ils en auront à donner, pardon à redistribuer, aux pauvres. L'idée ne semble pas effleurer cet homme enthousiaste, et à sa façon, généreux, que ce ne serait pas plus mal si les pauvres étaient en mesure d'en gagner eux-mêms et ne dépendaient pas des bonnes dispositions des riches. Faire le maximum d'argent, et ensuite le maximum de bien, ou pour les plus sophistiqués faire le maximum de bien en faisant le maximum d'argent, c'est le mantra du Forum, où on n'est pas grand-chose si on n'a pas sa fondation caritative, et c'est mieux que rien, sans doute "(vous voudriez quoi? Le communisme?"). Ce qui est moins bien que rien, en revanche, beaucoup moins bien, c'est l'effarante langue de bois dans laquelle ce mantra se décline. Ces mots dont tout le monde se gargarise : préoccupation sociétale, dimension humaine, conscience globale, changement de paradigme… De même que l'imagerie marxiste se représentait autrefois les capitalistes ventrus, en chapeau haut de forme et suçant avec volupté le sang du prolétariat, on a tendance à se représenter les super-riches et super-puissants réunis à Davos comme des cyniques, à l'image de ces traders de Chicago qui, en réponse à Occupy Wall Street, ont déployé au dernier étage de leur tour une banderole proclamant : "Nous sommes les 1%". Mais ces petits cyniques-là étaient des naïfs, alors que les grands fauves qu'on côtoie à Davos ne semblent, eux, pas cyniques du tout. Ils semblent sincèrement convaincus des bienfaits qu'ils apportent au monde, sincèrement convaincus que leur ingénierie financière et philanthropique (à les entendre, c'est pareil) est la seule façon de négocier en douceur le fameux changement de paradigme qui est l'autre nom de l'entrée dans l'âge d'or. Ça nous a étonnés dès le premier jour, le parfum de new age qui baigne ce jamboree de mâles dominants en costumes gris. Au second, il devient entêtant, et au troisième on n'en peut plus, on suffoque dans ce nuage de discours et de slogans tout droit sortis de manuels de développement personnel et de positive thinking. Alors, bien sûr, on n'avait pas besoin de venir jusqu'ici pour se douter que l'optimisme est d'une pratique plus aisée aux heureux du monde qu'à ses gueux, mais son inflation, sa déconnexion de toute expérience ordinaire sont ici tels que l'observateur le plus modéré se retrouve à osciller entre, sur le versant idéaliste, une indignation révolutionnaire, et, sur le versant misanthrope, le sarcasme le plus noir. (p. 439-441)”

Emmanuel Carrère (1957) écrivain, scénariste et réalisateur français

Il est avantageux d'avoir où aller

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“L'Islam a perpétué jusqu'à nos jours le monde biblique, que le Christianisme, une fois européanisé, ne pouvait plus représenter; sans islam, le Catholicisme eût vite fait d'envahir tout le Proche Orient, ce qui eût signifié la destruction de l'Orthodoxie et des autres Eglises d'Orient et la romanisation – donc l'européanisation – de notre monde jusqu'aux confins de l'Inde; le monde biblique serait mort. On peut dire que l'Islam a eu le rôle providentiel d'arrêter le temps – donc d'exclure l'Europe – sur la partie biblique du globe et de stabiliser, tout en l'universalisant, le monde d'Abraham, qui fut aussi celui de Jésus; le Judaïsme étant émigré et dispersé, et le Christianisme s'étant romanisé, hellénisé et germanisé, Dieu « se repentit » - pour employer le mot de la Genèse – de ce développement unilatéral et suscita l'Islam, qu'il fit surgir du désert, ambiance ou arrière-plan du Monothéisme originel. Il y a là un jeu d'équilibre et de compensation dont les exotérismes ne sauraient rendre compte, et il serait absurde de le leur demander (1).

(1) Titus Burckhardt, ayant lu ces lignes, nous a communiqué au sujet du cycle Abraham-Mohammed les réflexions suivantes : « Il est significatif que la langue arabe soit la plus archaïque de toutes les langues sémitiques vivantes : son phonétisme conserve, à un son près, tous les sons indiqués par les plus anciens alphabètes sémitiques, et sa morphologie se retrouve dans le célèbre code de Hammourabi, qui est à peu près contemporain d'Abraham. » - « En fait, la Mecque avec la Kaaba construite par Abraham et Ismaël, est la ville sacrée oubliée, - oubliée à la fois par le Judaïsme, qui ignore le rôle prophétique d'Ismaël, et par le Chrisianisme, qui a hérité le même point de vue. Le sanctuaire de la Mecque, lequel est au Prophète ce que le Temple de Jérusalem est au Christ, - en un certain sens tout au moins, - est comme la « pierre rejetée par les bâtisseurs » et qui devient la pierre d'angle. Cette oublie du sanctuaire ismaélien, en même temps que la continuité Abraham-Ismaël-Mohammed, - le Prophète arabe étant de descendance ismaélienne, - ce double facteur nous montre comment l'économie divine aime à combiner le géométrique avec l'imprévu. Sans aucune importance est ici l'opinion de ceux qui voient dans l'origine abrahamique de la Kaaba un mythe musulman rétrospectif, et qui perdent totalement de vue que les anciens Arabes possédaient une mémoire généalogique à la fois extraordinaire et méticuleuse, comme d'ailleurs la plupart des nomades ou semi-nomades.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

Form and Substance in the Religions

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“L'Amour qui n'est pas un mot

Mon Dieu jusqu'au dernier moment
Avec ce coeur débile et blême
Quand on est l'ombre de soi-même
Comment se pourrait-il comment
Comment se pourrait-il qu'on aime
Ou comment nommer ce tourment

Suffit-il donc que tu paraisses
De l'air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse

O forte et douce comme un vin
Pareille au soleil des fenêtres
Tu me rends la caresse d'être
Tu me rends la soif et la faim
De vivre encore et de connaître
Notre histoire jusqu'à la fin

C'est miracle que d'être ensemble
Que la lumière sur ta joue
Qu'autour de toi le vent se joue
Toujours si je te vois je tremble
Comme à son premier rendez-vous
Un jeune homme qui me ressemble

M'habituer m'habituer
Si je ne le puis qu'on m'en blâme
Peut-on s'habituer aux flammes
Elles vous ont avant tué
Ah crevez-moi les yeux de l'âme
S'ils s'habituaient aux nuées

Pour la première fois ta bouche
Pour la première fois ta voix
D'une aile à la cime des bois
L'arbre frémit jusqu'à la souche
C'est toujours la première fois
Quand ta robe en passant me touche

Prends ce fruit lourd et palpitant
Jettes-en la moitié véreuse
Tu peux mordre la part heureuse
Trente ans perdus et puis trente ans
Au moins que ta morsure creuse
C'est ma vie et je te la tends

Ma vie en vérité commence
Le jour que je t'ai rencontrée
Toi dont les bras ont su barrer
Sa route atroce à ma démence
Et qui m'as montré la contrée
Que la bonté seule ensemence

Tu vins au coeur du désarroi
Pour chasser les mauvaises fièvres
Et j'ai flambé comme un genièvre
A la Noël entre tes doigts
Je suis né vraiment de ta lèvre
Ma vie est à partir de toi”

Louis Aragon (1897–1982) poète et romancier français
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“En honorant l'école à l'excès, c'est toi [l'élève excellent] que tu flattes en douce, tu te poses plus ou moins consciemment en élève idéal. Ce faisant, tu masques les innombrables paramètres qui nous font tellement inégaux dans l'acquisition du savoir : circonstances, entourage, pathologies, tempérament… Ah! l'énigme du tempérament!
« Je dois tout à l'école de la République! »
Serait-ce que tu voudrais faire passer tes aptitudes pour des vertus? (Les unes et les autres n'étant d'ailleurs pas incompatibles…) Réduire ta réussite à une question de volonté, de ténacité, de sacrifice, c'est ça que tu veux? Il est vrai que tu fus un élève travailleur et persévérant, et que le mérite t'en revient, mais c'est, aussi, pour avoir joui très tôt de ton aptitude à comprendre, éprouvé dès tes premières conforntations au travail scolaire la joie immense d'avoir compris, et que l'effort portait en lui-même la promesse de cette joie! À l'heure où je m'asseyais à ma table écrasé par la conviction de mon idiotie, tu t'installais à la tienne vibrant d'impatience, impatience de passer à autre chose aussi, car ce problème de math sur lequel je m'endormais tu l'expédiais, toi, en un tournemain. Nos devoirs, qui étaient les tremplins de ton esprit, étaient les sables mouvants où s'enlisait le mien. Ils te laissaient libre comme l'air, avec la satisfaction du devoir accompli, et moi hébété d'ignorance, maquillant un vague brouillon en copie définitive, à grand renfort de traits soigneusement tirés qui ne trompaient personne. À l'arrivée, tu étais le travailleur, j'étais le paresseux. C'était donc ça, la paresse? Cet enlisement en soi-même? Et le travail, qu'était-ce donc? Comment s'y prenaient-ils, ceux qui travaillaient bien? Où puisaient-ils cette force? Ce fut l'énigme de mon enfance. L'effort, où je m'anéantissais, te fut d'entrée de jeu un gage d'épanouissement. Nous ignorions toi et moi qu'« il faut réussir pour comprendre », selon le mot si clair de Piaget, et que nous étions, toi comme moi, la vivante illustration de cet axiome. (p. 271-272)”

Chagrin d'école

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“Les deux femmes, vêtues de noir, remirent le corps dans le lit de ma sœur, elles jetèrent dessus des fleurs et de l’eau bénite, puis, lorsque le soleil eut fini de jeter dans l’appartement sa lueur rougeâtre et terne comme le regard d’un cadavre, quand le jour eut disparu de dessus les vitres, elles allumèrent deux petites bougies qui étaient sur la table de nuit, s’agenouillèrent et me dirent de prier comme elles.

Je priai, oh! bien fort, le plus qu’il m’était possible! mais rien… Lélia ne remuait pas!
Je fus longtemps ainsi agenouillé, la tête sur les draps du lit froids et humides, je pleurais, mais bas et sans angoisses; il me semblait qu’en pensant, en pleurant, en me déchirant l’âme avec des prières et des vœux, j’obtiendrais un souffle, un regard, un geste de ce corps aux formes indécises et dont on ne distinguait rien si ce n’est, à une place, une forme ronde qui devait être La tête, et plus bas une autre qui semblait être les pieds. Je croyais, moi, pauvre naïf enfant, je croyais que la prière pouvait rendre la vie à un cadavre, tant j’avais de foi et de candeur!

Oh! on ne sait ce qu’a d’amer et de sombre une nuit ainsi passée à prier sur un cadavre, à pleurer, à vouloir faire renaître le néant! On ne sait tout ce qu’il y a de hideux et d’horrible dans une nuit de larmes et de sanglots, à la lueur de deux cierges mortuaires, entouré de deux femmes aux chants monotones, aux larmes vénales, aux grotesques psalmodies! On ne sait enfin tout ce que cette scène de désespoir et de deuil vous remplit le cœur : enfant, de tristesse et d’amertume; jeune homme, de scepticisme; vieillard, de désespoir!

Le jour arriva.
Mais quand le jour commença à paraître, lorsque les deux cierges mortuaires commençaient à mourir aussi, alors ces deux femmes partirent et me laissèrent seul. Je courus après elles, et me traînant à leurs pieds, m’attachant à leurs vêtements :
— Ma sœur! leur dis-je, eh bien, ma sœur! oui, Lélia! où est-elle?
Elles me regardèrent étonnées.
— Ma sœur! vous m’avez dit de prier, j’ai prié pour qu’elle revienne, vous m’avez trompé!
— Mais c’était pour son âme!
Son âme? Qu’est-ce que cela signifiait? On m’avait souvent parlé de Dieu, jamais de l’âme.
Dieu, je comprenais cela au moins, car si l’on m’eût demandé ce qu’il était, eh bien, j’aurais pris La linotte de Lélia, et, lui brisant la tête entre mes mains, j’aurais dit : « Et moi aussi, je suis Dieu! » Mais l’âme? l’âme? qu’est-ce cela?
J’eus la hardiesse de le leur demander, mais elles s’en allèrent sans me répondre.

Son âme! eh bien, elles m’ont trompé, ces femmes. Pour moi, ce que je voulais, c’était Lélia, Lélia qui jouait avec moi sur le gazon, dans les bois, qui se couchait sur la mousse, qui cueillait des fleurs et puis qui les jetait au vent; c’était Lelia, ma belle petite sœur aux grands yeux bleus, Lélia qui m’embrassait le soir après sa poupée, après son mouton chéri, après sa linotte. Pauvre sœur! c’était toi que je demandais à grands cris, en pleurant, et ces gens barbares et inhumains me répondaient : « Non, tu ne la reverras pas, tu as prié non pour elle, mais tu as prié pour son âme! quelque chose d’inconnu, de vague comme un mot d’une langue étrangère; tu as prié pour un souffle, pour un mot, pour le néant, pour son âme enfin! »

Son âme, son âme, je la méprise, son âme, je la regrette, je n’y pense plus. Qu’est-ce que ça me fait à moi, son âme? savez-vous ce que c’est que son âme? Mais c’est son corps que je veux! c’est son regard, sa vie, c’est elle enfin! et vous ne m’avez rien rendu de tout cela.
Ces femmes m’ont trompé, eh bien, je les ai maudites.

Cette malédiction est retombée sur moi, philosophe imbécile qui ne sais pas comprendre un mot sans L’épeler, croire à une âme sans la sentir, et craindre un Dieu dont, semblable au Prométhée d’Eschyle, je brave les coups et que je méprise trop pour blasphémer.”

Gustave Flaubert (1821–1880) romancier et auteur dramatique français

La dernière heure : Conte philosophique inachevé

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“La primauté de l’intention divine — donc du message — dans l’ordre des apparences, implique une conséquence fort paradoxale, mais néanmoins pertinente, à savoir l’existence d’une « double réalité » qui fait penser à la « double vérité » des scolastiques. C’est-à-dire qu'il faut distinguer, dans certains cas, entre une « réalité de fait » et une « réalité d’apparence » : que la terre soit ronde et qu’elle tourne autour du soleil, c’est un fait, mais qu’elle soit plate et que le soleil voyage d'un horizon à l’autre, n’en est pas moins, dans l’intention divine, une réalité pour nous; sans quoi l’expérience de l’homme — créature centrale et partant « omnisciente » — ne se bornerait pas, a priori et « naturellement », à ces constatations physiquement illusoires mais symboliquement pleines de sens. Encore que l’illusion physique soit relative, à un certain point de vue, car la terre, pour l’homme, est incontestablement faite de régions plates dont seulement la somme — imperceptible aux créatures terrestres — constitue une sphère; si bien qu’on devrait dire que la terre est plate et ronde à la fois. Quant au symbolisme traditionnel, il implique une portée morale, ce qui nous permet de conclure que l’homme n’a droit, en principe et a priori, qu’à une connaissance qu’il supporte, c’est-à-dire qu’il est capable d’assimiler; donc d’intégrer dans la connaissance totale et spirituelle qu’il est censé posséder en sa qualité d’homo sapiens (19)".

19. Incontestablement, la science moderne regorge de connaissances, mais la preuve est faite que l’homme ne les supporte pas, ni intellectuellement ni moralement. Ce n’est pas pour rien que les Écritures sacrées sont volontiers aussi naïves que possible, ce qui excite sans doute la moquerie des sceptiques mais n’empêche ni les simples ni les sages de dormir tranquilles.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

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“Le langage quotidien (tout comme le langage des images) est de part en part traversé par des rapports de force, par des rapports sociaux (de classe, de sexe, d'âge, de race, etc.), et c'est dans et par le langage (et l'image) que se joue la domination symbolique, c'est-à-dire la définition - et l'imposition - des perceptions du monde et des représentations socialement légitimes. Le dominant, comme le dit Pierre Bourdieu, est celui qui réussit à imposer la manière dont il veut être perçu, et le dominé, celui qui est défini, pensé et parlé par le langage de l'autre et/ou celui qui ne parvient pas à imposer la perception qu'il à de lui-même. Seules les périodes de crise sociale, culturelle, ou au moins l'irruption de mobilisations politiques ou culturelles, peuvent permettre une mise en question de cet ordre symbolique des représentations et du langage dont al force principale est de se présenter comme ressortissant aux évidences d'un ordre naturel, immuable, et sur lequel on ne s'interroge pas ou sur lequel on s'interroge faussement pour mieux le réaffirmer dans son arbitraire en le présentant comme ayant toujours existé.
La mobilisation politique, l'action politique, sont toujours des batailles pour la représentation, pour le langage et les mots. Ce sont des luttes autour de la perception du monde. La question qui s'y joue est de savoir qui définit la perception et la définition d'un groupe et la perception et la définition du monde en général. La mobilisation, l'action politique, consistent souvent, pour un groupe, à essayer de faire valoir, d'imposer la manière dont il se perçoit lui-même, et d'échapper ainsi à la violence symbolique exercée par la représentation dominante. Mais il convient de préciser qu'il n'y a pas, pour les gays, encore moins pour les « gays et lesbiennes », une manière d'être et de se penser soi-même qui préexisterait et qu'il conviendrait de découvrir et de manifester au grand jour, et encore moins une seule et unique manière d'être et de « se percevoir », ce qui constitue toute la complexité du mouvement gay et lesbien et explique le fait, si souvent souligné, que les définitions qu'il peut donner de lui-même ne sont que des constructions provisoires, fragiles et nécessairement contradictoires entre elles. (p. 117-118)”

Didier Eribon (1953) philosophe et sociologue français

Insult and the Making of the Gay Self

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“Ce qui importe avant tout, c'est que le sens gouverne le choix des mots, et non l'inverse. En matière de prose, la pire des choses que l'on puisse faire avec les mots est de s'abandonner à eux. Quand vous pensez à un objet concret, vous n'avez pas besoin de mots, et si vous voulez décrire ce que vous venez de visualiser, vous vous mettrez sans doute alors en quête des termes qui vous paraîtront les plus adéquats. Quand vous pensez à une notion abstraite, vous êtes plus enclin à recourir d'emblée aux mots, si bien qu'à moins d'un effort conscient pour éviter ce travers, le jargon existant s'impose à vous et fait le travail à votre place, au risque de brouiller ou même d'altérer le sens de votre réflexion. Sans doute vaut-il mieux s'abstenir, dans la mesure du possible, de recourir aux termes abstraits et et essayer de s'exprimer clairement par le biais de l'image ou de la sensation. On pourra ensuite choisir - et non pas simplement "accepter" - les formulations qui serreront au plus près la pensée, puis changer de point de vue et voir quelle impression elles pourraient produire sur d'autres personnes. Ce dernier effort mental élimine toutes les images rebattues ou incohérentes, toutes les expressions préfabriquées, les répétitions inutiles et, de manière générale, le flou et la poudre aux yeux.
Extrait de "La politique et la langue anglaise”

George Orwell (1903–1950) écrivain britannique

Such, Such Were the Joys

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“Il est un côté de la « culture bourgeoise » qui en dévoile toute la petitesse, c'est son aspect de « roulement » conventionnel, de manque d'imagination, bref d'inconscience et de vanité : on ne se demande pas un instant « à quoi bon tout cela »; aucun auteur ne se demande s'il vaut la peine d'écrire une nouvelle histoire après tant d'autres histoires; on semble en écrire simplement parce que d'autres en ont écrit, et parce qu'on ne voit pas pourquoi on ne le ferait pas et pourquoi on ne gagnerait pas une gloire que d'autres ont gagnée. C'est un perpetuum mobile que rien ne peut arrêter, sauf une catastrophe ou, moins tragiquement, la disparition progressive des lecteurs; sans public point de célébrité, nous l'avons dit plus haut. Et ceci est arrivé dans une certaine mesure : on ne lit plus d'anciens auteurs dont le prestige paraissait assuré; le grand public a d'autres besoins, d'autres ressources et d'autres distractions, fussent-elle des plus basses. La culture c'est, de plus en plus, l'absence de culture : la manie de se couper de ses racines et d'oublier d'où l'on vient.
Une des raisons subjectives de ce que nous pouvons appeler le « roulement culturel » est que l'homme n'aime pas se perdre tout seul, qu'il aime par conséquent trouver des complices pour une perdition commune; c'est ce que fait la culture profane, inconsciemment ou consciemment, mais non innocemment car l'homme porte au fond de lui-même l'instinct de sa raison d'être et de sa vocation. On a souvent reproché aux civilisations orientales leur stérilité culturelle, c'est-à-dire le fait qu'elles ne comportent pas un fleuve habituel de production littéraire, artistique et philosophique; nous croyons pouvoir nous dispenser à présent de la peine d'en expliquer les raisons.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

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“Quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple; elle va droit au but comme une flèche. Et la plupart des hommes aiment à résumer leur vie dans une formule, parfois dans une vanterie ou dans une plainte, presque toujours dans une récrimination; leur mémoire leur fabrique complaisamment une existence explicable et claire. Ma vie a des contours moins fermes…
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Ça et là, affleurent les granits de l'inévitable; partout, les éboulements du hasard. Je m'efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d'or, ou l'écoulement d'une rivière souterraine, mais ce plan tout factice n'est qu'un trompe-l'oeil du souvenir. De temps en temps, dans une rencontre, un présage, une suite définie d'événements, je crois reconnaître une fatalité, mais trop de routes ne mènent nulle part, trop de sommes ne s'additionnent pas. Je perçois bien dans cette diversité, dans ce désordre, la présence d'une personne, mais sa forme semble presque toujours tracée par la pression des circonstances; ses traits se brouillent comme une image reflétée sur l'eau. Je ne suis pas de ceux qui disent que leurs actions ne leur ressemblent pas. Il faut bien qu'elles le fassent, puisqu'elles sont ma seule mesure, et le seul moyen de me dessiner dans la mémoire des hommes, ou même dans la mienne propre; puisque c'est peut-être l'impossibilité de continuer à s'exprimer et à se modifier par l'action que constitue la différence entre l'état de mort et celui de vivant. Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indéfinissable. Et la preuve, c'est que j'éprouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte à moi-même. Certains travaux qui durèrent peu sont assurément négligeables, mais des occupations qui s'étendirent sur toute la vie ne signifient pas davantage. Par exemple, il me semble à peine essentiel, au moment où j'écris ceci, d'avoir été empereur…"" (p.214)”

Marguerite Yourcenar (1903–1987) écrivaine française

Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey

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“Que la langue du génocide ne doive, à aucun prix, se galvauder; que veiller sur la probité des mots en général et de celui-ci en particulier soit une tâche intellectuelle et politique prioritaire; qu'il se soit produit à Auschwitz, un événement sans précédent, incomparable à tout autre et que la lutte contre la banalisation, et de la chose, et du mot qui la désigne, soit un impératif, non seulement pour les Juifs, mais pour tous ceux que lèse ce crime (autrement dit, l'humain comme tel; l'humain en chaque homme, chaque femme, d'aujourd'hui); que la Shoah soit le génocide absolu, l'étalon du genre, la mesure même du non-humain; que cette singularité tienne tant à l'effroyable rationalité des méthodes (bureaucratie, industrie du cadavre, chambre à gaz) qu'à sa non moins terrible part d'irrationalité (l'histoire folle, souvent notée, des trains de déportés qui avaient, jusqu'au dernier jour, priorité sur les convois d'armes et de troupes), à sa systématicité (des armées de tueurs lâchés, dans toute l'Europe, à la poursuite de Juifs qui devaient être traqués, exterminés sans reste, jusqu'au dernier) ou à sa dimension, son intention métaphysique (par-delà les corps les âmes et, par-delà les âmes, la mémoire même des textes juifs et de la loi) - tout cela est évident; c'est et ce sera de plus en plus difficile à faire entendre, mais c'est établi et évident…
(ch. 57
La Shoah au coeur et dans la tête)”

Bernard-Henri Lévy (1948) écrivain français

War, Evil and the End of History

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“L'Art d’avoir toujours raison La dialectique 1 éristique est l’art de disputer, et ce de telle sorte que l’on ait toujours raison, donc per fas et nefas (c’est-à-dire par tous les moyens possibles)2. On peut en effet avoir objectivement raison quant au débat lui-même tout en ayant tort aux yeux des personnes présentes, et parfois même à ses propres yeux. En effet, quand mon adversaire réfute ma preuve et que cela équivaut à réfuter mon affirmation elle-même, qui peut cependant être étayée par d’autres preuves – auquel cas, bien entendu, le rapport est inversé en ce qui concerne mon adversaire : il a raison bien qu’il ait objectivement tort. Donc, la vérité objective d’une proposition et la validité de celle-ci au plan de l’approbation des opposants et des auditeurs sont deux choses bien distinctes. (C'est à cette dernière que se rapporte la dialectique.) D’où cela vient-il ? De la médiocrité naturelle de l’espèce humaine. Si ce n’était pas le cas, si nous étions foncièrement honnêtes, nous ne chercherions, dans tout débat, qu’à faire surgir la vérité, sans nous soucier de savoir si elle est conforme à l’opinion que nous avions d’abord défendue ou à celle de l’adversaire : ce qui n’aurait pas d’importance ou serait du moins tout à fait secondaire. Mais c’est désormais l’essentiel. La vanité innée, particulièrement irritable en ce qui concerne les facultés intellectuelles, ne veut pas accepter que notre affirmation se révèle fausse, ni que celle de l’adversaire soit juste. Par conséquent, chacun devrait simplement s’efforcer de n’exprimer que des jugements justes, ce qui devrait inciter à penser d’abord et à parler ensuite. Mais chez la plupart des hommes, la vanité innée s’accompagne d’un besoin de bavardage et d’une malhonnêteté innée. Ils parlent avant d’avoir réfléchi, et même s’ils se rendent compte après coup que leur affirmation est fausse et qu’ils ont tort, il faut que les apparences prouvent le contraire. Leur intérêt pour la vérité, qui doit sans doute être généralement l’unique motif les guidant lors de l’affirmation d’une thèse supposée vraie, s’efface complètement devant les intérêts de leur vanité : le vrai doit paraître faux et le faux vrai.”

Arthur Schopenhauer (1788–1860) philosophe allemand

L'art d'avoir toujours raison

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“Je veux que tu en aies toi-même la preuve par expérience, sans la chercher ailleurs. Quand on n'aime pas pour son propre compte, on voit d'un oeil chagrin l'humeur des amants. Il y a encore en moi quelque ardeur amoureuse, mon corps a toujours de la sève; et mes sens ne sont pas éteints pour les agréments et les plaisirs de la vie. Je suis un rieur de bon goût, un convive agréable; dans un dîner, je ne coupe jamais la parole à personne; j'ai le bon esprit de ne pas me rendre importun aux convives; je sais prendre part à la conversation avec mesure, et me taire à propos, quand c'est à d'autres à parler; je ne suis point cracheur ni pituiteux, et point roupieux le moins du monde; enfin, je suis d'Éphèse, et non pas d'Apulie, je ne suis pas un « petit coeur ».”

Miles Gloriosus
Variante: Je veux que tu en aies toi-même la preuve par expérience, sans la chercher ailleurs. Quand on n'aime pas pour son propre compte, on voit d'un oeil chagrin l'humeur des amants. Il y a encore en moi quelque ardeur amoureuse, mon corps a toujours de la sève; et mes sens ne sont pas éteints pour les agréments et les plaisirs de la vie. Je suis un rieur de bon goût, un convive agréable; dans un dîner, je ne coupe jamais la parole à personne; j'ai le bon esprit de ne pas me rendre importun aux convives; je sais prendre part à la conversation avec mesure, et me taire à propos, quand c'est à d'autres à parler; je ne suis point cracheur ni pituiteux, et point roupieux le moins du monde; enfin, je suis d'Éphèse, et non pas d'Apulie (53), je ne suis pas un « petit coeur ».

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“On atteint [l'équanimité] lorsqu'on est capable d'accueillir le bon comme le moins bon avec la même acceptation, la même écoute. En fait, ce n'est même pas le bon et le moins bon, puisqu'il y a accueil de ce qui est sans jugement. Outre que cela nous permet d'explorer de nouvelle associations en cuisine, de libérer notre créativité et de découvrir de nouveaux plats, l'équanimité est un stade de sagesse qui permet de vivre vraiment mieux! Vous connaissez peut-être déjà cette histoire de l'homme et de son cheval, […].
L'homme, donc, possède un cheval… lequel un jour se sauve. Les voisins viennent et plaignent notre homme qui répond avec bonhomie : "De la malchance? Je ne sais pas." Quelques jours plus tard, le cheval revient accompagné d'une horde d'équidés sauvages. Les voisins se précipitent : "Quelle chance!" À quoi le vieil homme rétorque : "De la chance? Je ne sais pas." Le fils de l'homme tente de dompter et de monter ces chevaux. Il se casse la jambe. Les voisins arrivent et y vont de leurs commentaires sur la malchance qui survient, à quoi l'homme répond : "De la malchance? Je ne sais pas." Le lendemain, des affiches placardées sur les murs annoncent la guerre et l'appel de tous les jeunes gens sous les drapeaux. Le fils ayant la jambe cassée est bien sûr exempté…
Bref, gardons-nous de juger les événements comme bons ou mauvais. Les choses ne sont ni bien ni mal, elles ont des conséquences. Ce n'est pas "mal" de mettre des meringues à 230°C dans le four, elles seront brûlées. C'est tout. (p.33-34)”

Un zeste de conscience dans la cuisine

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“Peut-être vaut-il la peine de rendre compte ici du phénomène ambigu de la naïveté : celle-ci est avant tout du manque d'expérience combiné avec de la crédulité, comme le prouve l'exemple des enfants, même les plus intelligents. La crédulité peut avoir un fond positif: elle peut être l'attitude de l'homme véridique qui croit tout naturellement que tout le monde est comme lui; il y a des peuplades qui sont crédules parce qu'elles ignorent le mensonge. Il va donc de soi que la naïveté peut être chose toute relative : un homme qui ne connaît pas la psychologie des fous est un naïf aux yeux des psychiatres, même s'il est fort loin d'être un sot. S'il faut être « prudents comme les serpents » — à condition d'être « simples comme les colombes (7) » — c'est avant tout parce que l'ambiance dresse des embûches et qu'il faut savoir se défendre, c'est-à-dire que notre imagination doit avoir conscience des caprices de la mâyâ terrestre.

(7) Ce qui du reste fait penser aux « pauvres dans l'esprit », qui ne sont certes pas censés manquer de facultés mentales. On connaît cette histoire : les novices condisciples du jeune Thomas d'Aquin, connaissant sa crédulité - réelle ou apparente - l'appelèrent un jour pour lui montrer « un boeuf qui vole », puis se moquèrent de lui parce qu'il courut à la fenêtre pour voir le phénomène; il leur répondit : « Un boeuf qui vole est chose moins extraordinaire qu'un moine qui ment.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

Roots of the Human Condition

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“Ne veut-on pas au moins apprendre de l'objet qu'on aime si l'on est aimé ?”

Jean-Jacques Rousseau (1712–1778) philosophe, compositeur et critique musical genevois

Œuvres complètes - 93 titres

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“Et puis, c'est la vie; elle ne nous prend que ce qu'elle nous a donné. Ni plus ni moins. (p.190)”

Yasmina Khadra (1955) écrivain algérien

L'équation africaine

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“La différence entre la psychologie moderne et la psychologie sacrée apparaît déjà dans le fait que, pour la plupart des psychologues modernes, la morale n'a plus rien à faire avec la psychologie. Généralement, ils réduisent l'éthique à la morale sociale, plus ou moins forgée par de simples habitudes et la considèrent comme une sorte de barrage psychique, utile à l'occasion, mais le plus souvent contraignant, voire néfaste, pour l'épanouissement « normale » de la psychè individuelle. Cette conception a surtout été propagée par la psychanalyse freudienne, qui, comme on le sait, est devenu d'un usage courant dans certains pays, où elle joue pratiquement le rôle qui revient ailleurs au sacrement de la confession. Le psychiatre remplace le prêtre et l'éclatement des instincts refoulés sert d'absolution. Dans la confession sacramentelle, le prêtre n'est que le représentant impersonnel – et donc tenu au secret – de la Vérité divine, qui à la fois juge et pardonne; en confessant ses fautes, le pécheur transforme les tendances qui les sous-tendent en quelque chose qui n'est plus « lui-même »; il les « objectivise »; en se repentant, il s'en détache, et en recevant l'absolution, son âme retrouve son équilibre initial, centré sur son axe divin. Dans le cas de la psychanalyse freudienne, en revanche (1), l'homme met à nu ses entrailles psychiques non pas devant Dieu, mais devant son prochain; il ne prend pas de recul par rapport aux fonds chaotiques et obscurs de son âme que l'analyse lui dévoile, mais au contraire se les approprie, puisqu'il doit se dire à lui-même : « C'est ainsi que je suis fait en réalité ». Et s'il ne parvient pas à surmonter cette désillusion avilissante grâce à quelque influence salutaire, il en conserve comme une souillure intérieure. Dans la plupart des cas, il tente de se sauver en se plongeant dans la médiocrité psychique du plus grand nombre, car on supporte mieux son propre avilissement en le partageant avec autrui. Quelle que puisse être l'utilité occasionnelle et partielle d'une telle analyse, son résultat est généralement celui-là, étant donné les prémisses dont elle part.(2)

(1) Cette précision est nécessaire dans la mesure où il existe également aujourd'hui des formes plus inoffensives de psychanalyse, ce qui ne veut pas dire que nous entendons par là justifier une forme quelconque de psychanalyse.

(2) Il y a une règle selon laquelle quiconque pratique la psychanalyse doit auparavant avoir subi lui-même la psychanalyse. D'où la question de savoir qui a inauguré cette série, qui imite étrangement la « succession apostolique ».”

Titus Burckhardt (1908–1984)

Science moderne et Sagesse traditionnelle

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“… ] Un trait caractéristique de la culture occidentale depuis le Moyen Âge finissant est, du reste, une certaine féminisation : à l'extérieur, le costume masculin manifeste en effet, du moins dans les classes supérieures et surtout chez les princes, un besoin excessif de plaire aux femmes – ce qui est révélateur – tandis que dans la culture en général nous pouvons observer un accroissement de la sensibilité imaginative et émotive, bref une expressivité qui à rigoureusement parler va trop loin et « mondanise » les âmes au lieu de les intérioriser. La cause lointaine de ce trait pourrait être en partie le respect qu'avaient, selon Tacite, les Germains pour la femme – respect que nous sommes fort loin de blâmer –, mais ce trait tout à fait normal et louable eût été sans conséquence problématique s'il n'y avait pas eu un autre facteur beaucoup plus déterminant, à savoir la scission chrétienne de la société en clercs et laïcs; de ce fait, la société laïque devenait une humanité à part qui croyait de plus en plus avoir droit à la mondanité, dans laquelle la femme – qu'elle le veuille ou non – joue évidemment un premier rôle (3). Nous mentionnons cet aspect de la culture occidentale parce qu'il explique une certaine allure du génie extériorisé et hypersensible; et n'oublions pas d'ajouter que tout cela relève du mystère d'Ève et non de celui de Marie, lequel relève de la Mâyâ ascendante.

3 – Un signe de cette autocratie laïque et de la mondanité qui en résulte est, parmi les manifestations vestimentaires, le décolleté des femmes, déjà blâmé par Dante, et paradoxal non seulement au point de vue de l'ascétisme chrétien, mais aussi au point de vue du légalisme sémitique, lequel ignore précisément la distinction entre clercs et laïcs puisqu'il sacralise la société entière; ce n'est pas le phénomène de la dénudation qui étonne ici – car il existe légitimement dans l'hindouisme et ailleurs – mais c'est le fait que ce phénomène se produise en milieu chrétien. On pourrait dire aussi que la frivolité des mœurs laïques – les bals notamment – fait pendant au rigorisme exagéré des couvents, et que cette disparité trop ostentatoire marque un déséquilibre fauteur de toutes sortes d'oscillations subséquentes. Dans l'Inde, le maharadjah couvert de perles et le yogi couvert de cendre sont certes dissemblables, mais ils sont tous deux des « images divines ».”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

To Have a Center

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“Je vous propose alors une idée militante. Il serait très juste d’organiser une vaste manifestation pour une alliance des jeunes et des vieux, à vrai dire dirigée contre les adultes d’aujourd’hui. Les plus rebelles des moins de trente ans et les plus coriaces des plus de soixante contre les quadras et les quinquas bien installés. Les jeunes diraient qu’ils en ont assez d’être errants, désorientés, et interminablement dépourvus de toute marque de leur existence positive. Ils diraient aussi qu’il n’est pas bon que les adultes fassent semblant d’être éternellement jeunes. Les vieux diraient qu’ils en ont assez de payer leur dévalorisation, leur sortie de l’image traditionnelle du vieux sage, par une mise à la casse, une déportation dans des mouroirs médicalisés, et leur totale absence de visibilité sociale. Ce serait très nouveau, très important, cette manifestation mixte ! J’ai du reste vu, durant mes nombreux voyages dans le monde entier, pas mal de conférences, pas mal de situations où le public se composait d’un noyau de vieux briscards, de vieux rescapés, comme moi, des grands combats des sixties et des seventies, et puis d’une masse de jeunes qui venaient voir si le philosophe avait quelque chose à dire concernant l’orientation de leur existence et la possibilité d’une vraie vie. J’ai donc vu, partout dans le monde, l’esquisse de l’alliance dont je vous parle. Comme à saute-mouton, la jeunesse semble devoir sauter aujourd’hui par-dessus l’âge dominant, celui qui va en gros de trente-cinq à soixante-cinq ans, pour constituer avec le petit noyau des vieux révoltés, des non-résignés, l’alliance des jeunes désorientés et des vieux baroudeurs de l’existence. Ensemble, nous imposerions que soit ouvert le chemin de la vraie vie.”

Alain Badiou (1937) écrivain et philosophe français

La vraie vie : Appel à la corruption de la jeunesse

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“Le fondement du « subjectivisme logique » des croyants est dans ce que nous pourrions appeler le « solipsisme religieux »; et celui-ci est inévitable pour deux raisons majeures. Premièrement, tout Message religieux est un Message d'Absolu; ce caractère d’Absolu pénètre tout le Message et lui confère sa qualité d’unicité. Dieu parle pour l'Intérieur et ne se préoccupe pas de l’extérieur en tant que tel; Il proclame « la Religion » sous une forme adaptée à telles possibilités humaines; Il ne fait pas de « religion comparée ». Deuxièmement, l'homme moyen n’est pas disposé à saisir ce caractère d'Absolu si on ne le lui suggère pas par l'unicité de l'expression; et Dieu n'entend pas compromettre cette compréhension par des précisions soulignant l'aspect extérieur de rela­tivité, donc étrangères à ce qui est la raison d'être du Message. Mais ceci ne saurait lier l'ésotérisme : d’une part parce qu'il n'est pas un Message religieux et qu’il relève de l’Intellect plutôt que de la Révélation, et d’autre part parce qu’il s'adresse à des hommes qui n'ont pas besoin d'une suggestion d'unicité et d'exclusivité, sur le plan de l'expression, pour saisir le caractère d’Absolu dans les énonciations sacrées.

Tout ceci est propre à faire comprendre que nous sommes aussi loin que possible d'approuver un « œcumé­nisme » gratuit et sentimentaliste, qui ne distingue pas entre la vérité et l'erreur et dont le résultat est l’indiffé­rence religieuse et le culte de l'homme. Ce qu'il s’agit d’entendre en réalité, c’est que la présence indéniable de la vérité transcendante, du sacré et du surnaturel sous des formes autres que celle de notre religion d’ori­gine, devrait nous amener, non le moins du monde à mettre en doute le caractère d’Absolu propre à notre religion, mais simplement à admettre l'inhérence de l’Absolu à un symbolisme doctrinal et sacramentel qui par définition le manifeste et le communique, mais qui également par définition — puisqu’il est d’ordre formel — est relatif et limité malgré son allure d’unicité. Allure nécessaire, nous l’avons dit, en tant que témoignage de l’Absolu, mais simplement indicative au point de vue de l’Absolu en soi, lequel se manifeste nécessairement par l’unicité et tout aussi nécessairement — en vertu de son Infinitude — par la diversité des formes. […]

Les divergences religieuses nous font penser aux contradictions entre les visions des mystiques, bien qu’il n’y ait là aucune commune mesure, sauf qu’il y a dans les deux cas une vérité intrinsèque sous-jacente : tel mystique brosse du purgatoire un tableau plutôt désespérant, tel autre insiste sur une joie d’espérance qui y règne, chaque perspective se trouvant appuyée par une imagerie qui la concrétise; le symbolisme se combine avec un frag-mentarisme isolant et un sentimentalisme biaisant. Comme dans le cas des religions, les contradictions formelles des imageries mystiques n’infirment pas la vérité intégrale dont elles rehaussent des aspects en fonction de telle perspective de crainte ou d’amour; mais nous n’avons pas besoin ici de recourir à l’ésotérisme pour dégager la vérité; la théologie y pourvoit en distinguant d’emblée entre les contenus de la croyance, suivant qu’ils sont nécessaires ou recommandés, ou simplement possibles.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

From The Divine To The Human: Survey Of Metaphysics And Epistemology

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