Citations sur épave

Une collection de citations sur le thème de épave, hommes, homme, contrée.

Citations sur épave

Kateb Yacine photo
André Maurois photo
Boris Vian photo
André Breton photo
Marcel Pagnol photo
Roberto Saviano photo
Jack Vance photo
Robert Desnos photo
Cesare Pavese photo
Martin Luther King photo
Marguerite Yourcenar photo
Gaston Miron photo
Pierre Rabhi photo

“La misère est ici une matière, me dit Gérard. Je suis étonné de l'accepter comme tout le monde. Avant de m'y intégrer complètement, le ressentiment contre les spoliateurs m'étouffait. Je ne rêvais plus que d'explosifs et de sabotages au risque d'en périr, avec même l'espoir d'en périr. Mais lorsque je rejoignais les miens, tout cela se dissipait. Je ne suis pas dupe de moi-même : fils d'officier supérieur, bien pouvur en diplômes, mon choix est un artifice, un luxe inverse. Quelqu'un m'a dit que les nantis peuvent en plus s'offrir de la bonne conscience comme on s'offre un vêtement de soie ou une pierre précieuse. Il n'a pas tout à fait tort. Je ne sais qu'une chose avec clarté : je n'accepte pas le monde tel qu'il est. J'ai en moi, de ce fait, une insurrection permanente avec laquelle je dois composer. Dans mon labyrinthe, trois issues : la première, faire ce pour quoi j'ai été programmé : bon salaire, petite famille, l'ordre!?… Deuxième issue : la révolte ouverte dont je sens les prémices en sourde germination. J'apparaîtrai alors comme porteur d'idées rouges et il n'y a pas de pire répression que celle qui vous catalogue, elle vous enferme dans votre casier et c'est de nouveau l'ordre. Troisième issue : la sublimation, on est secourable. Dans le naufrage général, on prête un coin de son épave à d'autres pour une idée censée transcender, cela est aussi une cohérence, j'y trouve mon compte, faute de mieux. Je viens aux hommes dont je m'occupe pour être aidé. C'est du troc, voilà tout.”

Pierre Rabhi (1938) essayiste, agriculteur biologiste, romancier et poète français

Du Sahara Aux Cévennes. Itinéraire d'un homme au service de la Terre-Mère

Comte de Lautréamont photo

“Maldoror, écoute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir, et je crois avoir une intelligence égale à la tienne. Un jour, tu m’appelas le soutien de ta vie. Depuis lors, je n’ai pas démenti la confiance que tu m’avais vouée. Je ne suis qu’un simple habitant des roseaux, c’est vrai; mais, grâce à ton propre contact, ne prenant que ce qu’il y avait de beau en toi, ma raison s’est agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l’abîme. Ceux qui s’intitulent tes amis te regardent, frappés de consternation, chaque fois qu’ils te rencontrent, pâle et voûté, dans les théâtres, dans les places publiques, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis qu’il porte son maître-fantôme, enveloppé dans un long manteau noir. Abandonne ces pensées, qui rendent ton cœur vide comme un désert; elles sont plus brûlantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t’en aperçois pas, et que tu crois être dans ton naturel, chaque fois qu’il sort de ta bouche des paroles insensées, quoique pleines d’une infernale grandeur. Malheureux! qu’as-tu dit depuis le jour de ta naissance? Ô triste reste d’une intelligence immortelle, que Dieu avait créée avec tant d’amour! Tu n’as engendré que des malédictions, plus affreuses que la vue de panthères affamées! Moi, je préférerais avoir les paupières collées, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassiné un homme, que ne pas être toi! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractère qui m’étonne? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dérision ceux qui l’habitent, épave pourrie, ballottée par le scepticisme? Si tu ne t’y plais pas, il faut retourner dans les sphères d’où tu viens. Un habitant des cités ne doit pas résider dans les villages, pareil à un étranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphères plus spacieuses que la nôtre, et donc les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons même pas concevoir. Eh bien, va-t’en!… retire-toi de ce sol mobile!… montre enfin ton essence divine, que tu as cachée jusqu’ici; et, le plus tôt possible, dirige ton vol ascendant vers la sphère, que nous n’envions point, orgueilleux que tu es! Car, je ne suis pas parvenu à reconnaître si tu es un homme ou plus qu’un homme! Adieu donc; n’espère plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu es la cause de ma mort. Moi, je pars pour l’éternité, afin d’implorer ton pardon!”

Comte de Lautréamont (1846–1870) écrivain français
Yasmina Khadra photo

“L’aube se lève. Telle une prière inutile sur un désert sourd, misérable et nu. Épaves oubliées par une mer volatilisée depuis des millénaires, quelques rochers s’effritent dans la poussière; çà et là, enguirlandés de coloquintes vénéneuses, de maigres bras de broussailles soulignent les berges de jadis sur lesquelles des acacias solitaires se sont crucifiés puis, plus rien – rien de ce que l’on espère entrevoir –, ni caravane providentielle, ni cahute salutaire, pas même la trace d’un bivouac. Le désert est d’une perversité!… C’est un code piégé, le désert, un dédale souverain et fourbe où les témérités courent à leur perte, où les distraits s’évanouissent parmi les mirages plus vite qu’une feinte, où pas un saint patron ne répondrait aux appels du naufragé afin de ne pas se couvrir de ridicule; un territoire d’échec et d’adjuration, un chemin de croix qui n’a de cesse de se ramifier, un envers du décor où l’entêtement se mue en obsession et la foi en folie. Ci-gît la vanité de toute chose en ce monde, semble clamer la nudité des pierres et des perspectives. Car, ici, tout retourne à la poussière, les montagnes taciturnes et les forêts luxuriantes, les paradis perdus comme les empires bâclés, jusqu’au règne claironnant des hommes… Ici, en ces immensités reniées des dieux, viennent abdiquer les tornades et mourir les vents bredouilles à la manière des vagues sur les plages sauvages puisque seule la course inexorable des âges est invincibilité et certitude. Au loin, très loin, là où la terre commence à s’arrondir, l’horizon se tient immobile, piètre et livide, comme si la nuit l’avait tenu en haleine jusqu’au matin…”

Yasmina Khadra (1955) écrivain algérien

L’équation africaine, 2011