Citations sur avoir
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“Pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre”

Guy Debord (1931–1994) écrivain, essayiste, cinéaste et révolutionnaire français.
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“Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous décidez un beau jour à en parler de moins en moins, avec effort quand il faut s’y mettre. On en a bien marre de s’écouter toujours cau-ser… On abrège… On renonce… Ça dure depuis trente ans qu’on cause… On ne tient plus à avoir raison. L’envie vous lâche de garder même la petite place qu’on s’était réservée parmi les plaisirs… On se dégoûte… Il suffit désormais de bouffer un peu, de se faire un peu de chaleur et de dormir le plus qu’on peut sur
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le chemin de rien du tout. Il faudrait pour reprendre de l’intérêt trouver de nouvelles grimaces à exécuter devant les autres… Mais on n’a plus la force de changer son répertoire. On bre-douille. On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester là avec eux les copains, mais la mort est là aussi elle, puante, à côté de vous, tout le temps à présent et moins mysté-rieuse qu’une belote. Vous demeurent seulement précieux les menus chagrins, celui de n’avoir pas trouvé le temps pendant qu’il vivait encore d’aller voir le vieil oncle à Bois-Colombes, dont la petite chanson s’est éteinte à jamais un soir de février. C’est tout ce qu’on a conservé de la vie. Ce petit regret bien atroce, le reste on l’a plus ou moins bien vomi au cours de la route, avec bien des efforts et de la peine. On n’est plus qu’un vieux réverbère à souvenirs au coin d’une rue où il ne passe déjà presque plus personne.”

Journey to the End of the Night

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“Ce qui caractérise, entre autres, l'esprit rationaliste, c'est un sens critique rétrospectif, non prospectif; la psychose de la « civilisation » et du « progrès » en témoignent à satiété. De toute évidence, le sens critique est en lui même un bien qui s'impose, mais il exige un contexte spirituel qui le justifie et le proportionne. Il n'y a rien de surprenant à ce que l'esthétique des rationalistes n'admette que l'art de l'Antiquité classique, lequel inspira en fait la Renaissance, puis le monde des encyclopédistes, de la Révolution française et, très largement, tout le XIXe siècle; or cet art — que d'ailleurs Platon n'appréciait pas — frappe par sa combinaison de rationalité et de passion sensuelle : son architecture a quelque chose de froid et de pauvre — spirituellement parlant — tandis que sa statuaire manque totalement de transparence métaphysique et partant de profondeur contemplative. C'est tout ce que des cérébraux invétérés peuvent désirer.

Un rationaliste peut avoir raison — l'homme n'étant pas un système clos — avons-nous dit plus haut. On rencontre en effet, dans la philosophie moderne, des aperçus valables; n'empêche que leur contexte général les compromet et les affaiblit. Ainsi, l'« impératif catégorique » ne signifie pas grand chose de la part d'un penseur qui nie la métaphysique et avec elle les causes transcendantes des principes moraux, et qui ignore que la moralité intrinsèque est avant tout notre conformité à la nature de l'Être.”

The Transfiguration of Man

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“Dont tout «avoir» effectif doit tirer son prestige immédiat et sa fonction dernière.”

Guy Debord (1931–1994) écrivain, essayiste, cinéaste et révolutionnaire français.
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“Comme le Christianisme, l'Islam enseigne que Jésus n'a pas eu de père humain, qu'il est « Parole de Dieu », qu'il est né d'une Vierge et que lui et cette Vierge-Mère ont le privilège unique de ne pas avoir été « touchés par le diable » au moment de leur naissance, ce qui indique l'Immaculée Conception; comme il est impossible même au point de vue musulman que tous ces privilèges incomparables n'aient une signification secondaire, qu'ils ne se soient produits qu'« en passant » et sans laisser de traces décisives, les chrétiens se demanderont comment les musulmans peuvent sans contradiction concilier cette sublimité avec la foi en un Prophète subséquent. Pour le comprendre, - tout argument métaphysique mis à part, - il faut tenir compte de ceci: le Monothéisme intégral comporte deux lignées distinctes, israélite l'une et ismaélienne l'autre; or, alors que dans la lignée israélite Abraham se trouve pour ainsi dire renouvelé ou remplacé par Moïse, - la Révélation sinaïtique étant comme un second commencement du Monothéisme, - Abraham reste toujours le Révélateur primordiale et unique pour les fils d'Ismaël. Le miracle sinaïtique appelait le miracle messianique ou christique : c'est le Christ qui, à un certain point de vue, clôt la lignée mosaïque et clôt la Bible, glorieusement et irrévocablement. Mais ce cycle allant de Moïse à Jésus, ou du Sinaï à l'Ascension, n'englobe précisément pas tout le Monothéisme : la lignée ismaélienne, et toujours abrahamique, se situait en dehors de ce cycle et restait en quelque sorte disponible; elle appelait à son tour un achèvement glorieux, de caractère non sinaïtique et christique, mais abrahamique et mohammédien, et en un certain sens « désertique » et « nomade »”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

Form and Substance in the Religions

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“En effet, l'Eglise n'a pas condamné la théorie de Copernic, qui s'appuyait lui-même sur Icetus de Syracuse, jusqu'à ce que Galilée, quatre-vingts ans plus tard, sans apporter de preuve décisive à l'appui de la nouvelle théorie, décide de placer sur le plan théologique la querelle de l'ordre géocentrique ou héliocentrique du monde, en défiant la Curie par de violentes attaques de prendre positions sur le problème. Le pape Urbain VIII proposa de définir le système héliocentrique comme une thèse mathématique possible, mais pas nécessairement comme celle qui garantissait la vérité définitive. Loin de se ranger à cette suggestion, Galilée répliqua en publiant son Dialogo sui Massimi Sistemi, dans lequel il présentait le pape comme un simple d'esprit. D'où ce procès tristement célèbre, au cours duquel Galilée ne prononça nullement son fameux "Eppur si muove" (Et pourtant, elle se meut), mais abjura toutes ses déclarations pour avoir le droit de continuer à vivre en paix et dans l'honneur. La postérité littéraire de Galilée pris comme héros a fait naître chez plusieurs dignitaires de l'Eglise une sorte de sentiment de culpabilité qui les rend étrangement désarmés devant les théories scientifiques modernes même lorsque celles-ci sont en contradiction flagrante avec les vérités de la foi et de l'entendement. On a l'habitude de dire que l'Eglise n'a pas à se mêler de problèmes scientifiques; le cas même de Galilée prouve justement que la nouvelle science rationaliste de la Renaissance prétendait à la vérité absolue et se présentait donc comme une seconde religion. p135”

Titus Burckhardt (1908–1984)

Science moderne et Sagesse traditionnelle

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“Nous souhaitons de toutes nos forces que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu’en Orient la vermine et nous appelons cette destruction comme l’état de choses le moins inacceptable pour l’esprit. (…) Nous saisissons cette occasion pour nous désolidariser publiquement de tout ce qui est français, en paroles et en actions. Nous déclarons trouver la trahison et tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, peut nuire à la sûreté de l’Etat beaucoup plus conciliable avec la poésie que la vente de « grosses quantités de lard » pour le compte d’une nation de porcs et de chiens. C’est une singulière méconnaissance des facultés propres et des possibilités de l’esprit qui fait périodiquement rechercher leur salut à des goujats de votre espèce dans une tradition catholique ou gréco-romaine. Le salut pour nous n’est nulle part. Nous tenons Rimbaud pour un homme qui a désespéré de son salut et dont l’oeuvre et la vie sont de purs témoignages de perdition. Catholicisme, classicisme gréco-romain, nous vous abandonnons à vos bondieuseries infâmes. Qu’elles vous profitent de toutes manières; engraissez encore, crevez sous l’admiration et le respect de vos concitoyens. Ecrivez, priez et bavez; nous réclamons le déshonneur de vous avoir traité une fois pour toutes de cuistre et de canaille.”

André Breton (1896–1966) poète et écrivain français
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“Canon 21. « Si quelqu’un dit que le juste ait le pouvoir de persévérer sans un secours spécial de Dieu, ou qu’il ne le puisse avec ce secours : qu’il soit anathème. » Canon 25. « Si quelqu’un dit que le juste pèche en toute bonne œuvre véniellement, ou, ce qui est plus insupportable, mortellement, et qu’il mérite la peine éternelle, mais qu’il n’est pas damné, par cette seule raison que Dieu ne lui impute pas ses œuvres à damnation : qu’il soit anathème. » Par où l’on voit, non-seulement que ces paroles, que « les commandemens ne sont pas impossibles aux justes, » sont restreintes à cette condition, quand ils sont secourus par la grâce ; mais qu’elles n’ont que la même force que celles-ci, que « les justes ne pèchent pas en toutes leurs actions ; » et enfin tant s’en faut que le pouvoir prochain soit étendu à tous les justes, qu’il est défendu de l’attribuer à ceux qui ne sont pas secourus de ce secours spécial, qui n’est pas commun à tous, comme il a été expliqué. Concluons donc que tous les Pères ne tiennent pas un autre langage. Saint Augustin et les Pères qui l’ont suivi, n’ont jamais parlé des commandemens, qu’en disant qu’ils ne sont pas impossibles à la charité, et qu’ils ne nous sont faits que pour nous faire sentir le besoin que nous avons de la charité, qui seule les accomplit. « Dieu, juste et bon, n’a pu commander des choses impossibles ; ce qui nous avertit de faire ce qui est facile, et de demander ce qui est difficile. » (Aug., De nat. et grat., cap. LXIX.) « Car toutes choses sont faciles à la charité. » (De perfect. justit., cap. x.) Et ailleurs : « Qui ne sait que ce qui se fait par amour n’est pas difficile? Ceux-là ressentent de la peine à accomplir les préceptes, qui s’efforcent de les observer par la crainte ; mais la parfaite charité chasse la crainte, et rend le joug du précepte doux ; et, bien loin d’accabler par son poids, elle soulève comme si elle nous donnoit des ailes. » Cette charité ne vient pas de notre libre arbitre (si la grâce de Jésus-Christ ne nous secourt), parce qu’elle est infuse et mise dans nos cœurs, non par nous-mêmes, mais par le Saint-Esprit. Et l’Écriture nous avertit que les préceptes ne sont pas difficiles, par cette seule raison, qui est que l’âme qui les ressent pesans, entende qu’elle n’a pas encore reçu les forces par lesquelles ils lui sont doux et légers. « Quand il nous est commandé de vouloir, notre devoir nous est marqué ; mais parce que nous ne pouvons pas l’avoir de nous-mêmes, nous sommes avertis à qui nous devons le demander ; mais toutefois nous ne pouvons pas faire cette demande, si Dieu n’opère en nous de le vouloir. » (Fulg., lib. II, De verit. praedest., cap. iv.) « Les préceptes ne nous sont donnés que par cette seule raison, qui est de nous faire rechercher le secours de celui qui nous commande, » etc. (Prosper, Epist. ad Demetriad.) « Les pélagiens s’imaginent dire quelque chose d’important, quand ils disent que Dieu ne commanderoit pas ce qu’il saurait que l’homme ne pourroit faire. Qui ne sait cela? Mais il commande des choses que nous ne pouvons pas, afin que nous connoissions à qui nous devons le demander. » (Aug., De nat. et grat., cap. xv et xvi.) « O homme! reconnois dans le précepte ce que tu dois ; dans la correction, que c’est par ton vice que tu ne le fais pas ; et dans la prière, d’où tu peux en avoir le pouvoir! (Aug., De corrept., cap. ni.) Car la loi commande, afin que l’homme, sentant qu’il manque de force pour l’accomplir, ne s’enfle pas de superbe, mais étant fatigué, recoure à la grâce, et qu’ainsi la loi l’épouvantant le mène à l’amour de Jésus-Christ » (Aug., De perfect. respons. et ratiocin. xj., cap.”

Blaise Pascal (1623–1662) mathématicien, physicien, inventeur, écrivain et philosophe chrétien français (XVIIe siècle)

Blaise Pascal - Oeuvres Complètes LCI/40

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“L'objectivité, vécue dans ce rêve et dans ces visions, relève de l'individuation accomplie. Elle est détachement des jugements de valeur et de ce que nous désignons par attachement affectif. En général, l'homme attribue une grande importance à cet attachement affectif. Or, celui-ci renferme toujours des projections et ce sont celles-ci qu'il s'agit de retirer et de récupérer, pour parvenir à soi-même et à l'objectivité. Les relations affectives sont des relations de désir et d'exigences, alourdies par des contraintes et des servitudes : on attend quelque chose de l'autre, ce par quoi cet autre et soi-même perdent leur liberté. La connaissance objective se situe au-delà des intrications affectives, elle semble être le mystère central. Elle seule rend possible la véritable conjuctio*.
* Ces pensée de Jung soulèvent beaucoup de problèmes et il faut éviter les malentendus, surtout de la part des lecteurs jeunes.
La vie affective est d'importance! Le fin du fin de la sagesse n'est pas du tout une manière d'indifférence, indifférence qui, à des phases plus juvéniles de la vie, caractérise au contraire certaines maladies mentales. C'est à force d'indifférence et d'inaffectivité que le malade schizophrène, par exemple, se trouve coupé de la vie et du monde.
Ce que Jung veut dire, c'est qu'il s'agit, après avoir vécu les liens affectifs dans leur plénitude, de les laisser évoluer vers une sérénité, voire un détachement. Car les liens affectifs ayant rempli leurs bons offices d'insertion au monde, et ayant fait leurs temps, comportent pour tous les partenaires, par leur maturité même, d'être dépassés.
Jung parle ici en tant qu'homme de grand âge, d'expérience, de sagesse humaine, qui, en tant que tel, s'est détaché de ce que l'affectivité comporte nécessairement de subjectif et de contraignant.
Sand doute avait-il atteint, lorsqu'il écrivit ces pages, à travers son individuation à ce que nous appelons pour notre compte la "simplicité de retour". (Dr Roland Cahen)
p. 467”

Carl Gustav Jung (1875–1961) Médecin psychiatre suisse qui crée la psychologie analytique

Memories, Dreams, Reflections

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“Esther n'était certainement pas bien éduquée au sens habituel du terme, jamais l'idée ne lui serait venue de vider un cendrier ou de débarrasser le relief de ses repas, et c'est sans la moindre gêne qu'elle laissait la lumière allumée derrière elle dans les pièces qu'elle venait de quitter (il m'est arrivé, suivant pas à pas son parcours dans ma résidence de San Jose, d'avoir à actionner dix-sept commutateurs); il n'était pas davantage question de lui demander de penser à faire un achat, de ramener d'un magasin où elle se rendait une course non destinée à son propre usage, ou plus généralement de rendre un service quelconque. Comme toutes les très jolies jeunes filles elle n'était au fond bonne qu'à baiser, et il aurait été stupide de l'employer à autre chose, de la voir autrement que comme un animal de luxe, en tout choyé et gåté, protégé de tout souci comme de toute tâche ennuyeuse ou pénible afin de mieux pouvoir se consacrer à son service exclusivement sexuel. Elle n'en était pas moins très loin d'être ce monstre d'arrogance, d'égoïsme absolu et froid, au, pour parler en termes plus baudelairiens, cette infernale petite salope que sont la plupart des très jolies jeunes filles; il y avait en elle la conscience de la maladie, de la faiblesse et de la mort. Quoique belle, très belle, infiniment érotique et désirable, Esther n'en était pas moins sensible aux infirmités animales, parce qu'elle les connaissait; c'est ce soir-là que j'en pris conscience, et que je me mis véritablement à l'aimer. Le désir physique, si violent soit-il, n'avait jamais suffi chez moi à conduire à l'amour, il n'avait pu atteindre ce stade ultime que lorsqu'il s'accompagnait, par une juxtaposition étrange, d'une compassion pour l'être désiré; tout être vivant, évidemment, mérite la compassion du simple fait qu'il est en vie et se trouve par là-même exposé à des souffrances sans nombre, mais face à un être jeune et en pleine santé c'est une considération qui paraît bien théorique. Par sa maladie de reins, par sa faiblesse physique insoupçonnable mais réelle, Esther pouvait susciter en moi une compassion non feinte, chaque fois que l'envie me prendrait d'éprouver ce sentiment à son égard. Étant elle-même compatissante, ayant même des aspirations occasionnelles à la bonté, elle pouvait également susciter en moi l'estime, ce qui parachevait l'édifice, car je n'étais pas un être de passion, pas essentiellement, et si je pouvais désirer quelqu'un de parfaitement méprisable, s'il m'était arrivé à plusieurs reprises de baiser des filles dans l'unique but d'assurer mon emprise sur elles et au fond de les dominer, si j'étais même allé jusqu'à utiliser ce peu louable sentiment dans des sketches, jusqu'à manifester une compréhension troublante pour ces violeurs qui sacrifient leur victime immédiatement après avoir disposé de son corps, j'avais par contre toujours eu besoin d'estimer pour aimer, jamais au fond je ne m'étais senti parfaitement à l'aise dans une relation sexuelle basée sur la pure attirance érotique et l'indifférence à l'autre, j'avais toujours eu besoin, pour me sentir sexuellement heureux, d'un minimum - à défaut d'amour - de sympathie, d'estime, de compréhension mutuelle; l'humanité non, je n'y avais pas renoncé. (La possibilité d'une île, Daniel 1,15)”

Michel Houellebecq (1956) écrivain français
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“Ce sont les sophistes, Protagoras en tête, qui sont les véritables précurseurs de la pensée moderne; ce sont eux les « penseurs » proprement dits, en ce sens qu'ils se bornaient à ratiociner et ne se souciaient guère de « percevoir » et de rendre compte de ce qui « est ». Et c'est à tort qu'on a vu en Socrate, Platon et Aristote les pères du rationalisme, voire de la pensée moderne en général; sans doute, ils raisonnent — Shankara et Râmânuja en font autant — mais ils n'ont jamais dit que le raisonnement est l'alpha et l'oméga de l'intelligence et de la vérité, ni a fortiori que nos expériences ou nos goûts déterminent la pensée et priment l'intuition intellectuelle et la logique, quod absit.
Somme toute, la philosophie moderne est la codification d'une infirmité acquise; l'atrophie intellectuelle de l'homme marqué par la « chute » avait pour conséquence une hypertrophie de l'intelligence pratique, d'où en fin de compte l'explosion des sciences physiques et l'apparition de pseudo-sciences telles que la psychologie et la sociologie (1).
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que le rationalisme bénéficie de circonstances atténuantes en face de la religion, dans la mesure où il se fait le porte-parole des besoins de causalité légitimes que suscitent certains dogmes, du moins quand on les prend à la lettre comme l'exige la théologie (2). D'une manière tout à fait générale, il va de soi qu'un rationaliste peut avoir raison sur le plan des observations et des expériences; l'homme n'est pas un système clos, bien qu'il puisse s'efforcer de l'être. Mais même en dehors de toute question de rationalisme et de dogmatisme, on ne peut en vouloir à personne d'être scandalisé par les sottises et les crimes perpétrés au nom de la religion, ou même simplement par les antinomies entre les différents credos; toutefois, comme les horreurs ne sont certes pas l'apanage de la religion — les prédicateurs de la « déesse raison » en fournissent la preuve —, il faut nous arrêter à la constatation que les excès et les abus sont dans la nature humaine. S'il est absurde et choquant que des crimes se réclament du Saint-Esprit, il n'est pas moins illogique et scandaleux qu'ils aient lieu à l'ombre d'un idéal de rationalité et de justice. […]”

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“Mais j'ai pu alors entendre la parole d'Allah : personne ne doit avoir peur de l'inconnu, parce que tout homme est capable de conquérir ce qu'il veut et qui lui est nécessaire.”

The Alchemist
Variante: Personne ne doit avoir peur de l'inconnu, parce que tout homme est capable de conquérir ce qu'il veut et qui lui est nécessaire.

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“l'imagination m'apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues?”

Gérard de Nerval (1808–1855) poète, conteur, auteur dramatique, librettiste et journaliste français

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“« Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m'offrait un morceau de vie, je profiterais de ce temps du mieux que je pourrais.

Sans doute je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais tout ce que je dirais.

Je donnerais du prix aux choses, non pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles représentent.

Je dormirais peu, je rêverais plus, sachant qu'en fermant les yeux, à chaque minute nous perdons 60 secondes de lumière.

Je marcherais quand les autres s'arrêteraient, je me réveillerais quand les autres dormiraient.

Si Dieu me faisait cadeau d'un morceau de vie, je m'habillerai simplement, je me coucherais à plat ventre au soleil, laissant à découvert pas seulement mon corps, mais aussi mon âme.

Aux hommes, je montrerais comment ils se trompent, quand ils pensent qu'ils cessent d'être amoureux parce qu'ils vieillissent, sans savoir qu'ils vieillissent quand ils cessent d'être amoureux! A l'enfant je donnerais des ailes mais je le laisserais apprendre à voler tout seul.

Au vieillard je dirais que la mort ne vient pas avec la vieillesse mais seulement avec l'oubli.

J'ai appris tant de choses de vous les hommes… J'ai appris que tout le monde veut vivre en haut de la montagne, sans savoir que le vrai bonheur se trouve dans la manière d'y arriver.

J'ai appris que lorsqu'un nouveau-né serre pour la première fois, le doigt de son père, avec son petit poing, il le tient pour toujours.

J'ai appris qu'un homme doit uniquement baisser le regard pour aider un de ses semblables à se relever.

J'ai appris tant de choses de vous, mais à la vérité cela ne me servira pas à grand chose, si cela devait rester en moi, c'est que malheureusement je serais en train de mourir.

Dis toujours ce que tu ressens et fais toujours ce que tu penses.

Si je savais que c'est peut être aujourd'hui la dernière fois que je te vois dormir, je t'embrasserais très fort et je prierais pour pouvoir être le gardien de ton âme.

Si je savais que ce sont les derniers moments où je te vois, je te dirais 'je t'aime' sans stupidement penser que tu le sais déjà.

Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne souvent une autre possibilité pour faire les choses bien, mais au cas où elle se tromperait et c'est, si c'est tout ce qui nous reste, je voudrais te dire combien je t'aime, que jamais je ne t'oublierais.

Le lendemain n'est sûr pour personne, ni pour les jeunes ni pour les vieux.

C'est peut être aujourd'hui que tu vois pour la dernière fois ceux que tu aimes. Pour cela, n'attends pas, ne perds pas de temps, fais-le aujourd'hui, car peut être demain ne viendra jamais, tu regretteras toujours de n'avoir pas pris le temps pour un sourire, une embrassade, un baiser parce que tu étais trop occupé pour accéder à un de leur dernier désir.

Garde ceux que tu aimes près de toi, dis-leur à l'oreille combien tu as besoin d'eux, aime les et traite les bien, prends le temps pour leur dire 'je regrette' 'pardonne-moi' 's'il te plait' 'merci' et tous les mots d'amour que tu connais.

Personne ne se souviendra de toi pour tes pensées secrètes. Demande la force et la sagesse pour les exprimer.

Dis à tes amis et à ceux que tu aimes combien ils sont importants pour toi.

Monsieur Márquez a terminé, disant : Envoie cette lettre à tous ceux que tu aimes, si tu ne le fais pas, demain sera comme aujourd'hui. Et si tu ne le fais pas cela n'a pas d'importance. Le moment sera passé.

Je vous dis au revoir avec beaucoup de tendresse »”

Gabriel García Márquez (1927–2014) écrivain colombien
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“Que signifie qu’il n’y pas une continuation de l’œuvre de René Guénon par consensus? Je ne sais ce que font les Maçons guénoniens, mais je sais que le groupe soufique de Vâlsan correspond pleinement à tout ce que désirait Guénon; quant à moi l’œuvre de Guénon en tant qu’ensemble indivisible ne me concerne pas puisque je n’en accepte pas tous les axiomes, et on ne peut en bonne logique me reprocher de ne pas avoir réalisé un programme que je n’ai jamais eu l’intention de réaliser. »

« On peut ironiser sur des « excommunications réciproques » quand il s’agit d’une secte intrinsèquement hétérodoxe, donc d’une caricature, – de mormons, de béhaïstes, d’anthroposophes – mais non quand il s’agit d’un milieu normal et honorable se référant à des vérités spirituelles; dans ce dernier cas, même les anathèmes peuvent être honorables, et il y eut dans tous les climats, dans les premiers siècles du Christianisme aussi bien qu’aux débuts de l’Islam, et jusque dans les ordres monastiques et les confréries. « Les divergences des sages sont une bénédiction » disait le Prophète. Les guénoniens, dans leur ensemble sont des hommes respectables, et il faut respecter même leur divergences, lesquelles ne peuvent prêter au ridicule, ou plutôt au mépris, que dans les cas où un individu se mêle sottement ou effrontément des choses qui le dépassent; or je revendique la plus rigoureuse honorabilité non seulement pour moi-même, mais aussi pour mon ancien adversaire Vâlsan, dont j’ai toujours respecté la position – ce fut celle de Guénon – et avec lequel j’ai eu de bons rapports jusqu’à sa mort, malgré nos divergences. Mais il va sans dire que je ne saurais revendiquer cette honorabilité pour des personnes, guénoniennes ou non, qui n’ont ni vertu ni bonne foi. »

« Vâlsan me disait une fois qu’il y a peu d’hommes intelligents parmi les guénoniens, quelqu’en puisse être la raison; il parlait évidemment, non d’un groupe, mais de tous les guénoniens; et il avait une certaine expérience de leur moyenne, comme je l’ai moi-même. Une des raisons de cet état de choses est la suivante : l’ésotérisme attire, non seulement les hommes d’élite mais aussi les médiocres souffrant de sentiments d’infériorité qu’ils cherchent à compenser par quelque sublimation; et il y a ausi des psychopathes à la recherche soit d’un espace de rêve, soit d’un abri donnant un sentiment de sécurité. On ne peut pas empêcher que de tels hommes existent, mais ce n’est pas une raison pour être dupe de leur « orthodoxie », ni surtout de leur mythomanie. »

« J’ajouterai que Vâlsan fut la personnification du guénonisme intégral et inflexible, qu’il fut – lui seul – le « dauphin » de Guénon; qu’il fut un homme fort intelligent et profondément spirituel, en sorte qu’il me fut possible d’avoir avec lui les meilleurs rapports, malgré nos divergences. C’est d’ailleurs sa paix avec moi, et son désir de m’avoir comme collaborateur à la revue, qui est le principal chef d’accusation de la part des sectaires de Turin; »

[Frithjof Schuon – Lettre à Jean-Pierre Laurant (Pully avril 1976)]”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse
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“Dans son rapport inaugural, le Forum, à propos de la mondialisation qu'il a symbolisée sous ses formes les plus conquérantes et sûres d'elles-mêmes, évoque avec un sens exquis de l'euphémisme "un risque de désillusion". Mais dans les conversations, c'est autre chose. Désillusion? Crise? Inégalités? D'accord, si vous y tenez, mais enfin, comme nous le dit le très cordial et chaleureux PDG de la banque américaine Western Union, soyons clairs : si on ne paie pas les leaders comme ils le méritent, ils s'en iront voir ailleurs. Et puis, capitalisme, ça veut dire quoi? Si vous avez 100 dollars d'économies et que vous les mettez à la banque en espérant en avoir bientôt 105, vous êtes un capitaliste, ni plus ni moins que moi. Et plus ces capitalistes comme vous et moi (il a réellement dit "comme vous et moi", et même si nous gagnons fort décemment notre vie, même si nous ne connaissons pas le salaire exact du PDG de la Western Union, pour ne rien dire de ses stock-options, ce "comme vous et moi" mérite à notre sens le pompon de la "brève de comptoir" version Davos), plus ces capitalistes comme vous et moi, donc, gagneront d'argent, plus ils en auront à donner, pardon à redistribuer, aux pauvres. L'idée ne semble pas effleurer cet homme enthousiaste, et à sa façon, généreux, que ce ne serait pas plus mal si les pauvres étaient en mesure d'en gagner eux-mêms et ne dépendaient pas des bonnes dispositions des riches. Faire le maximum d'argent, et ensuite le maximum de bien, ou pour les plus sophistiqués faire le maximum de bien en faisant le maximum d'argent, c'est le mantra du Forum, où on n'est pas grand-chose si on n'a pas sa fondation caritative, et c'est mieux que rien, sans doute "(vous voudriez quoi? Le communisme?"). Ce qui est moins bien que rien, en revanche, beaucoup moins bien, c'est l'effarante langue de bois dans laquelle ce mantra se décline. Ces mots dont tout le monde se gargarise : préoccupation sociétale, dimension humaine, conscience globale, changement de paradigme… De même que l'imagerie marxiste se représentait autrefois les capitalistes ventrus, en chapeau haut de forme et suçant avec volupté le sang du prolétariat, on a tendance à se représenter les super-riches et super-puissants réunis à Davos comme des cyniques, à l'image de ces traders de Chicago qui, en réponse à Occupy Wall Street, ont déployé au dernier étage de leur tour une banderole proclamant : "Nous sommes les 1%". Mais ces petits cyniques-là étaient des naïfs, alors que les grands fauves qu'on côtoie à Davos ne semblent, eux, pas cyniques du tout. Ils semblent sincèrement convaincus des bienfaits qu'ils apportent au monde, sincèrement convaincus que leur ingénierie financière et philanthropique (à les entendre, c'est pareil) est la seule façon de négocier en douceur le fameux changement de paradigme qui est l'autre nom de l'entrée dans l'âge d'or. Ça nous a étonnés dès le premier jour, le parfum de new age qui baigne ce jamboree de mâles dominants en costumes gris. Au second, il devient entêtant, et au troisième on n'en peut plus, on suffoque dans ce nuage de discours et de slogans tout droit sortis de manuels de développement personnel et de positive thinking. Alors, bien sûr, on n'avait pas besoin de venir jusqu'ici pour se douter que l'optimisme est d'une pratique plus aisée aux heureux du monde qu'à ses gueux, mais son inflation, sa déconnexion de toute expérience ordinaire sont ici tels que l'observateur le plus modéré se retrouve à osciller entre, sur le versant idéaliste, une indignation révolutionnaire, et, sur le versant misanthrope, le sarcasme le plus noir. (p. 439-441)”

Emmanuel Carrère (1957) écrivain, scénariste et réalisateur français

Il est avantageux d'avoir où aller

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“Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai compris qu'en toutes circonstances,
J’étais à la bonne place, au bon moment.
Et alors, j'ai pu me relaxer.
Aujourd'hui je sais que cela s'appelle…
l'Estime de soi.

Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai pu percevoir que mon anxiété et ma souffrance émotionnelle
N’étaient rien d'autre qu'un signal
Lorsque je vais à l'encontre de mes convictions.
Aujourd'hui je sais que cela s'appelle… l'Authenticité.

Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J'ai cessé de vouloir une vie différente
Et j'ai commencé à voir que tout ce qui m'arrive
Contribue à ma croissance personnelle.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle… la Maturité.

Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai commencé à percevoir l'abus
Dans le fait de forcer une situation ou une personne,
Dans le seul but d'obtenir ce que je veux,
Sachant très bien que ni la personne ni moi-même
Ne sommes prêts et que ce n'est pas le moment…
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle… le Respect.

Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai commencé à me libérer de tout ce qui n'était pas salutaire, personnes,
situations, tout ce qui baissait mon énergie.
Au début, ma raison appelait cela de l'égoïsme.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle… l'Amour propre.

Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai cessé d'avoir peur du temps libre
Et j'ai arrêté de faire de grands plans,
J’ai abandonné les méga-projets du futur.
Aujourd'hui, je fais ce qui est correct, ce que j'aime
Quand cela me plait et à mon rythme.
Aujourd'hui, je sais que cela s'appelle… la Simplicité.

Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai cessé de chercher à avoir toujours raison,
Et je me suis rendu compte de toutes les fois où je me suis trompé.

Aujourd'hui, j'ai découvert… l'Humilité.
Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai cessé de revivre le passé
Et de me préoccuper de l'avenir.

Aujourd'hui, je vis au présent,
Là où toute la vie se passe.
Aujourd'hui, je vis une seule journée à la fois.
Et cela s'appelle… la Plénitude.

Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
J’ai compris que ma tête pouvait me tromper et me décevoir.
Mais si je la mets au service de mon coeur,
Elle devient une alliée très précieuse!
Tout ceci, c'est… le Savoir vivre.

Nous ne devons pas avoir peur de nous confronter.

Du chaos naissent les étoiles.”

Charlie Chaplin (1889–1977) acteur britannique
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“_ Pourquoi sont-ils si méprisants? demanda Chloé. Ce n'est pas tellement bien de travailler…
_ On leur a dit que c’était bien, dit Colin. En général, on trouve ça bien. En fait, personne ne le pense. On le fait par habitude et pour ne pas y penser, justement.
_ En tout cas, c'est idiot de faire un travail que des machines pourraient faire.
_ Il faut construire des machines, dit Colin. Qui le fera?
_ Oh! Evidemment, dit Chloé. Pour faire un œuf, il faut une poule, mais, une fois qu'on a la poule, on peut avoir des tas d’œufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule.
_ Il faudrait savoir, dit Colin, qui empêche de faire des machines. C'est le temps qui doit manquer. Les gens perdent leur temps à vivre, alors, il ne leur en reste plus pour travailler.
_ Ce n'est pas plutôt le contraire? dit Chloé.
_ Non, dit Colin. S'ils avaient le temps de construire les machines, après ils n'auraient plus besoin de rien faire. Ce que je veux dire c'est qu'ils travaillent pour vivre au lieu de travailler à construire des machines qui les feraient vivre sans travailler.
_ C'est compliqué, estima Chloé.
_ Non, dit Colin. C'est très simple. Ça devrait, bien entendu, venir progressivement. Mais, on perd tellement de temps à faire des choses qui s'usent…
- Mais, tu crois qu'ils n'aimeraient pas mieux rester chez eux et embrasser leur femme et aller à la piscine et aux divertissements?
- Non, dit Colin. Parce qu'ils n'y pensent pas.
- Mais est-ce que c'est leur faute si ils croient que c'est bien de travailler?
- Non, dit Colin, ce n'est pas leur faute. C'est parce qu'on leur a dit : « Le travail, c'est sacré, c'est bien, c'est beau, c'est ce qui compte avant tout, et seuls les travailleurs ont droit à tout. » Seulement, on s'arrange pour les faire travailler tout le temps et alors ils ne peuvent pas en profiter.
_ Mais, alors, ils sont bêtes? dit Chloé.
_ Oui, ils sont bêtes, dit Colin. C'est pour ça qu'ils sont d'accord avec ceux qui leur font croire que le travail c'est ce qu'il y a de mieux. Ça leur évite de réfléchir et de chercher à progresser et à ne plus travailler.”

L'Écume des jours

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“On rencontre quelqu’un, en personne ou par écrit. La première étape consiste à constater l’existence de l’autre : il peut arriver que ce soit un moment d’émerveillement. À cet instant, on est Robinson et Vendredi sur la plage de l’île, on se contemple, stupéfait, ravi qu’il y ait dans cet univers un autre aussi autre et aussi proche à la fois. On existe d’autant plus fort que l’autre le constate et on éprouve un déferlement d’enthousiasme pour cet individu providentiel qui vous donne la réplique. On attribue à ce dernier un nom fabuleux : ami, amour, camarade, hôte, collègue, selon. C’est une idylle. L’alternance entre l’identité et l’altérité (« C’est tout comme moi ! C’est le contraire de moi ! ») plonge dans l’hébétude, le ravissement d’enfant. On est tellement enivré qu’on ne voit pas venir le danger. Et soudain, l’autre est là, devant la porte. Dessaoulé d’un coup, on ne sait comment lui dire qu’on ne l’y a pas invité. Ce n’est pas qu’on ne l’aime plus, c’est qu’on aime qu’il soit un autre, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas soi. Or l’autre se rapproche comme s’il voulait vous assimiler ou s’assimiler à vous. On sait qu’il va falloir mettre les points sur les i. Il y a diverses manières de procéder, explicites ou implicites. Dans tous les cas, c’est un passage épineux. Plus des deux tiers des relations le ratent. S’installent alors l’inimitié, le malentendu, le silence, parfois la haine. Une mauvaise foi préside à ces échecs qui allègue que si l’amitié avait été sincère, le problème ne se serait pas posé. Ce n’est pas vrai. Il est inévitable que cette crise surgisse. Même si on adore l’autre pour de bon, on n’est pas prêt à l’avoir chez soi.”

Amélie Nothomb (1967) écrivaine belge, d'expression française

Une Forme de Vie

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“En honorant l'école à l'excès, c'est toi [l'élève excellent] que tu flattes en douce, tu te poses plus ou moins consciemment en élève idéal. Ce faisant, tu masques les innombrables paramètres qui nous font tellement inégaux dans l'acquisition du savoir : circonstances, entourage, pathologies, tempérament… Ah! l'énigme du tempérament!
« Je dois tout à l'école de la République! »
Serait-ce que tu voudrais faire passer tes aptitudes pour des vertus? (Les unes et les autres n'étant d'ailleurs pas incompatibles…) Réduire ta réussite à une question de volonté, de ténacité, de sacrifice, c'est ça que tu veux? Il est vrai que tu fus un élève travailleur et persévérant, et que le mérite t'en revient, mais c'est, aussi, pour avoir joui très tôt de ton aptitude à comprendre, éprouvé dès tes premières conforntations au travail scolaire la joie immense d'avoir compris, et que l'effort portait en lui-même la promesse de cette joie! À l'heure où je m'asseyais à ma table écrasé par la conviction de mon idiotie, tu t'installais à la tienne vibrant d'impatience, impatience de passer à autre chose aussi, car ce problème de math sur lequel je m'endormais tu l'expédiais, toi, en un tournemain. Nos devoirs, qui étaient les tremplins de ton esprit, étaient les sables mouvants où s'enlisait le mien. Ils te laissaient libre comme l'air, avec la satisfaction du devoir accompli, et moi hébété d'ignorance, maquillant un vague brouillon en copie définitive, à grand renfort de traits soigneusement tirés qui ne trompaient personne. À l'arrivée, tu étais le travailleur, j'étais le paresseux. C'était donc ça, la paresse? Cet enlisement en soi-même? Et le travail, qu'était-ce donc? Comment s'y prenaient-ils, ceux qui travaillaient bien? Où puisaient-ils cette force? Ce fut l'énigme de mon enfance. L'effort, où je m'anéantissais, te fut d'entrée de jeu un gage d'épanouissement. Nous ignorions toi et moi qu'« il faut réussir pour comprendre », selon le mot si clair de Piaget, et que nous étions, toi comme moi, la vivante illustration de cet axiome. (p. 271-272)”

Chagrin d'école

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“Mes amis, j'écris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fierté de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir été choisi et apprécié par vous, et que notre amitié fut sans doute la plus belle œuvre de ma vie. C'est étrange, l'amitié. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitié. L'amitié, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit être beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en déclarations, en poèmes, en lettres. Elle doit être beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les démangeaisons de peau. En mourant, c'est à ce grand mystère silencieux que je songe et je lui rends hommage.
Mes amis, je vous ai vus mal rasés, crottés, de mauvaise humeur, en train de vous gratter, de péter, de roter, et pourtant je n'ai jamais cessé de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu à une femme de m'imposer toutes ses misères, je l'aurais quittée, insultée, répudiée. Vous pas. Au contraire. Chaque fois que je vous voyais plus vulnérables, je vous aimais davantage. C'est injuste n'est-ce pas? L'homme et la femme ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que leur relation est pourrie par la séduction. Ils jouent un rôle. Pire, ils cherchent chacun le beau rôle. Théâtre. Comédie. Mensonge. Il n'y a pas de sécurité en l'amour car chacun pense qu'il doit dissimuler, qu'il ne peut être aimé tel qu'il est. Apparence. Fausse façade. Un grand amour, c'est un mensonge réussi et constamment renouvelé. Une amitié, c'est une vérité qui s'impose. L'amitié est nue, l'amour fardé.
Mes amis, je vous aime donc tels que vous êtes.”

La Part de l'autre

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