Citations sur ni~
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“Se convertir d’une religion à une autre, c’est non seulement changer de concepts et de moyen, mais aussi remplacer une sentimentalité par une autre. Qui dit sentimentalité, dit limitation : la marge sentimentale qui enveloppe chacune des religions historiques prouve à sa manière la limite de tout exotérisme et par conséquent la limite des revendications exotériques. Intérieurement ou substantiellement, la revendication religieuse est absolue, mais extérieurement ou formellement, donc sur le plan de la contingence humaine, elle est forcément relative; si la métaphysique ne suffisait pas pour le prouver, les faits eux-mêmes le prouveraient.

Plaçons-nous maintenant, à titre d’exemple, au point de vue de l’Islam exotérique, donc totalitaire : aux débuts de l’expansion musulmane, les circonstances étaient telles que la revendication doctrinale de l’Islam s’imposait d’une façon absolue; mais plus tard, la relativité propre à toute expression formelle devait apparaître nécessairement. Si la revendication exotérique — non ésotérique — de l’Islam était absolue et non relative, aucun homme de bonne volonté ne pourrait résister à cette revendication ou à cet « impératif catégorique » : tout homme qui lui résisterait serait foncièrement mauvais, comme c’était le cas aux débuts de l’Islam, où on ne pouvait pas sans perversité préférer les idoles magiques au pur Dieu d’Abraham. Saint-Jean Damascène avait une fonction élevée à la cour du calife de Damas (4); il ne s’est pas converti à l’Islam, pas plus que ne le fit Saint-François d’Assise en Tunisie ni saint Louis en Egypte, ni saint Grégoire Palamas en Turquie (5). Or, il n’y a que deux conclusions possibles : ou bien ces saints étaient des hommes foncièrement mauvais, — supposition absurde puisque c’étaient des saints, — ou bien la revendication de l’Islam comporte, comme celle de toute religion, un aspect de relativité; ce qui est métaphysiquement évident puisque toute forme a des limites et que toute religion est extrinsèquement une forme, l’absoluité ne lui appartenant que dans son essence intrinsèque et supraformelle. La tradition rapporte que le soufi Ibrāhīm ben Adham eut pour maître occasionnel un ermite chrétien, sans que l’un des deux se convertît à la religion de l’autre; de même la tradition rapporte que Seyyid Alī Hamadānī, qui joua un rôle décisif dans la conversion du Cachemire à l’Islam, connaissait Lallā Yōgīshwari, la yōginī nue de la vallée, et que les deux saints avaient un profond respect l’un pour l’autre, malgré la différence de religion et au point qu’on a parlé d’influences réciproques (6). Tout ceci montre que l’absoluité de toute religion est dans la dimension intérieure, et que la relativité de la dimension extérieure devient forcément apparente au contact avec d’autres grandes religions ou de leurs saints.
---- Notes en bas de page ----
(4) C’est là que le saint écrivit et publia, avec l’acquiescement du calife, son célèbre traité à la défense des images, prohibées par l’empereur iconoclaste Léon III.
(5) Prisonnier des Turcs pendant un an, il eut des discussions amicales avec le fils de l’émir, mais ne se convertit point, pas plus que le prince turc ne devint chrétien
(6) De nos jours encore, les musulmans du Cachemire vénèrent Lallā, la Shivaïte dansante, à l’égal d’une sainte de l’Islam, à côté de Seyyid Alī; les hindous partagent ce double culte. La doctrine de la sainte se trouve condensée dans un de ses chants : « Mon gourou ne m’a donné qu’un seul précepte. Il m’a dit : du dehors entre dans ta partie la plus intérieure. Ceci est devenu pour moi une règle; et c’est pour cela que, nue, je danse » (Lallā Vākyāni, 94)”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

Form and Substance in the Religions

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“Il y a quelqu'un que je n'ai encore jamais eu envie de tuer.
C'est toi.
Tu peux marcher dans les rues, tu peux boire et marcher dans les rues, je ne te tuerai pas.
N'aie pas peur. La ville est sans danger. Le seul danger dans la ville, c'est moi.
Je marche, je marche dans les rues, je tue.
Mais toi, tu n'as rien à craindre.
Si je te suis, c'est parce que j'aime le rythme de tes pas. Tu titubes. C'est beau. On pourrait dire que tu boites. Et que tu es bossu. Tu ne l'es pas vraiment. De temps en temps tu te redresses, et tu marches droit. Mais moi, je t'aime dans les heures avancées de la nuit, quand tu es faible, quand tu trébuches, quand tu te voûtes.
Je te suis, tu trembles. De froid ou de peur. Il fait chaud pourtant.
Jamais, presque jamais, peut-être jamais il n'avait fait si chaud dans notre ville.
Et de quoi pourrais-tu avoir peur?
De moi?
Je ne suis pas ton ennemi. Je t'aime.
Et personne d'autre ne pourrait te faire du mal.
N'aie pas peur. je suis là. Je te protège.
Pourtant, je souffre aussi.
Mes larmes - grosses gouttes de pluie - me coulent sur le visage. La nuit me voile. La lune m'éclaire. Les nuages me cachent. Le vent me déchire. J'ai une sorte de tendresse pour toi. Cela m'arrive parfois. Tres rarement.
Pourquoi pour toi? Je n'en sais rien.
Je veux te suivre très loin, partout, longtemps.
Je veux te voir souffrir encore plus.
Je veux que tu en aies assez de tout le reste.
Je veux que tu viennes me supplier de te prendre.
Je veux que tu me désires. Que tu aies envie de moi, que tu m'aimes, que tu m'appelles.
Alors, je te prendrai dans mes bras, je te serrerai sur mon coeur, tu seras mon enfant, mon amant, mon amour.
Je t'emporterai.
Tu avais peur de naître, et maintenant tu as peur de mourir.
Tu as peur de tout.
Il ne faut pas avoir peur.
Il y a simplement une grande roue qui tourne. Elle s'appelle Éternité.
C'est moi qui fais tourner la grande roue.
Tu ne dois pas avoir peur de moi.
Ni de la grande roue.
La seule chose qui puisse faire peur, qui puisse faire mal, c'est la vie, et tu la connais déjà.”

Ágota Kristóf (1935–2011) écrivaine, poétesse, romancière et dramaturge hongroise naturalisée suisse
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“L’apparence est le tout du réel et du vrai – ce pourquoi il n’y a ni Réalité absolue, ni Vérité éternelle, ni Totalité sensée ou structurée. Pyrrhon”

André Comte-Sponville (1952) philosophe français

Du tragique au matérialisme (et retour): Vingt-six études sur Montaigne, Pascal, Spinoza, Nietzsche et quelques autres

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“Qu’est-ce qui peut seul être notre doctrine? — Que personne ne donne à l’homme ses qualités, ni Dieu, ni la société, ni ses parents et ses ancêtres, ni lui-même (— le non-sens de l’« idée », réfuté en dernier lieu, a été enseigné, sous le nom de « liberté intelligible par Kant et peut-être déjà par Platon). Personne n’est responsable du fait que l’homme existe, qu’il est conformé de telle ou telle façon, qu’il se trouve dans telles conditions, dans tel milieu. La fatalité de son être n’est pas à séparer de la fatalité de tout ce qui fut et de tout ce qui sera. L’homme n’est pas la conséquence d’une intention propre, d’une volonté, d’un but; avec lui on ne fait pas d’essai pour atteindre un « idéal d’humanité », un « idéal de bonheur », ou bien un « idéal de moralité », — il est absurde de vouloir faire dévier son être vers un but quelconque. Nous avons inventé l’idée de « but » : dans la réalité le « but » manque… On est nécessaire, on est un morceau de destinée, on fait partie du tout, on est dans le tout, — il n’y a rien qui pourrait juger, mesurer, comparer, condamner notre existence, car ce serait là juger, mesurer, comparer et condamner le tout…Mais il n’y a rien en dehors du tout! — Personne ne peut plus être rendu responsable, les catégories de l’être ne peuvent plus être ramenées à une cause première, le monde n’est plus une unité, ni comme monde sensible, ni comme « esprit » : cela seul est la grande délivrance, — par là l’innocence du devenir est rétablie… L’idée de « Dieu » fut jusqu’à présent la plus grande objection contre l’existence… Nous nions Dieu, nous nions la responsabilité en Dieu : par là seulement nous sauvons le monde.”

Twilight of the Idols

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“Le "vitalisme" philosophique dissimule lui aussi sous les traits d'une logique impeccable une pensée fallacieuse et proprement infra-humaine. Les adorateurs de la "vie", pour lesquels la religion - ou la sagesse - n'est qu'un trouble-fête inintelligible, factice et morbide, oublient avant tout les vérités suivantes : que l'intelligence humaine est capable d'objectiver la vie et de s'y opposer d'une certaine manière, ce qui ne peut pas être dépourvu de sens, toute chose ayant sa raison d'être; que c'est par capacité d'objectivation et d'opposition au subjectif que l'homme est homme, la vie et le plaisir étant communs aussi à toutes les créatures infra-humaines; qu'il n'y a pas de la vie, mais aussi la mort, et qu'il n'y a pas que le plaisir, mais aussi la douleur, ce dont l'homme seul peut se rendre compte a priori; que l'homme doit suivre sa nature comme les animaux suivent la leur, et qu'en la suivant pleinement il est porté à transcender les apparences et à leur donner une signification qui dépasse leur plan mouvant et qui les unit à une même réalité stable et universelle. Car l'homme, c'est l'intelligence, et l'intelligence, c'est le dépassement des formes et la réalisation de l'invisible Essence; qui dit intelligence humaine, dit absoluité et transcendance.

De toutes les créatures terrestres, l'homme seul sait : premièrement, que le plaisir est contingent et éphémère; et deuxièmement, qu'il n'est pas partagé par tous, c'est-à-dire que d'autres ego ne jouissent pas du plaisir de "notre ego", et qu'il y a toujours - quelle que soit notre jouissance - d'autres créatures qui souffrent, et inversement; ce qui prouve que le plaisir n'est pas tout, ni la vie. La religion ou la métaphysique surgissent bien plus profondément de la nature spécifiquement humaine - "nature surnaturelle" précisément dans ses profondeurs - que les caractères que l'homme partage avec l'animal et la plante.

Réfuter l'erreur n'est pas ignorer que son existence est nécessaire; les deux choses se situent sur des plans différents. Nous n'acceptions pas l'erreur, mais nous acceptons son existence, puisqu'"il faut qu'il y ait du scandale"..”

The Transfiguration of Man

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“Chaque fois que je vais dans un super-market, ce qui du reste m'arrive rarement, je me crois en Russie. C'est la même nourriture imposée d'en haut, pareille où qu'on aille, imposée par des trusts au lieu de l'être par des organismes d’État. Les États-Unis, en un sens, sont aussi totalitaires que l'URSS, et dans l'un comme dans l'autre pays, et comme partout d'ailleurs, le progrès (c'est-à-dire l'accroissement de l'immédiat bien-être humain) ou même le maintien du présent état de choses dépend de structures de plus en plus complexes et de plus en plus fragiles. Comme l'humanisme un peu béat du bourgeois de 1900, le progrès à jet continu est un rêve d'hier. Il faut réapprendre à aimer la condition humaine telle qu'elle est, accepter ses limitations et ses dangers, se remettre de plain-pied avec les choses, renoncer à nos dogmes de partis, de pays, de classes, de religions, tous intransigeants et donc tous mortels. Quand je pétris la pâte, je pense aux gens qui ont fait pousser le blé, je pense aux profiteurs qui en font monter artificiellement le prix, aux technocrates qui en ont ruiné la qualité - non que les techniques récentes soient nécessairement un mal, mais parce qu'elles se sont mises au service de l'avidité qui en est un, et parce que la plupart ne peuvent s'exercer qu'à l'aide de grandes concentrations de forces, toujours pleines de potentiels périls. Je pense aux gens qui n'ont pas de pain, et à ceux qui en ont trop, je pense à la terre et au soleil qui font pousser les plantes. Je me sens à la fois idéaliste et matérialiste. Le prétendu idéaliste ne voit pas le pain, ni le prix du pain, et le matérialiste, par un curieux paradoxe, ignore ce que signifie cette chose immense et divine que nous appelons "la matière". (p. 242)”

Marguerite Yourcenar (1903–1987) écrivaine française

Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey

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“Lorsque tu veux savoir si tu es dans un endroit riche ou pauvre, tu regardes les poubelles. Si tu vois ni ordures ni poubelles, c'est très riche. Si tu vois des poubelles et pas d'ordures, c'est riche. Si tu vois des ordures à côté des poubelles, c'est ni riche ni pauvre: c'est touristique. Si tu vois les ordures sans les poubelles, c'est pauvre. Et si les gens habitent dans les ordures, c'est très très pauvre.”

Éric-Emmanuel Schmitt (1960) écrivain franco-belge

Monsieur Ibrahim and The Flowers of the Qur'an
Variante: Si tu vois ni ordures ni poubelles, c'est très riche. Si tu vois des poubelles e pas d'ordures, c'est riche. Si tu vois des ordures à côté des poubelles, c'est ni riche, ni pauvre, c'est touristique. Si tu vois les ordures sans les poubelles, c'est pauvre. Et si les gens habitent dans les ordures c'est très très pauvre. Ici c'est riche!... Mais oui, c'est la Suisse!

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“L'identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées.”

Amin Maalouf (1949) écrivain franco-libanais

In the Name of Identity: Violence and the Need to Belong

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“Le génie véritable peut développer sans innover : il atteint la perfection, la profondeur et la puissance d'expression, d'une manière presque imperceptible, moyennant les impondérables de vérité et de beauté qui mûrissent dans l'humilité, sans laquelle il n'y a pas de vraie grandeur. Au point de vue l'art sacré ou simplement traditionnel, on ne se préoccupe pas de la question de savoir si une oeuvre est "originale" ou "copiée" : dans une série de copies d'un modèle canonique, telle copie – peut être moins "originale" qu'une autre – est une oeuvre géniale, par un concours de conditions précieuses qui n'ont rien à voir avec une affectation d'originalité ou quelque autre crispation de l'ego.

Et ceci nous permet de dégager une double erreur fondamentale sans laquelle les prétentions de soi-disant artistes seraient inconcevables : à savoir qu'une originalité contraire aux normes collectives héréditaires soit psychologiquement possible en dehors des cas d'aliénation mentale, et qu'un homme puisse produire une vraie oeuvre d'art qui ne soit comprise à aucun degré par nombre d'hommes intelligents et cultivés appartenant à la même civilisation, à la même race et à la même époque que le soi-disant artiste. En réalité, les prémisses d'une telle originalité ou singularité n'existent point dans l'âme humaine normale, ni à plus forte raison dans l'intelligence pure; les singularités modernes, loin de relever de quelque "mystère" de la création artistique, ne sont qu'erreur philosophique et déformation mentale. Chacun se croit obligé d'être un grand homme; la nouveauté est prise pour de l'originalité, l'introspection morbide pour de la profondeur, le cynisme pour de la sincérité, la prétention pour du génie, si bien qu'on finit par prendre un schéma d'anatomie ou une peau de zèbre pour de la peinture; on fait de la "sincérité" un critère absolu, comme si une oeuvre ne pouvait pas être psychologiquement "sincère", mais spirituellement fausse ou artistiquement nulle. La grande erreur de ces artistes est d'ignorer délibérément la valeur objective et qualitative des formes et des couleurs et de se croire à l'abri dans un subjectivisme qu'ils estiment intéressant et impénétrable, alors qu'il n'est que banal et ridicule; leur erreur même les oblige à recourir, dans le monde des formes, aux possibilités les plus inférieures, comme Satan qui, voulant être aussi "original" que Dieu, n'avait plus d'autre choix que l'horreur.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

Caste e Razze

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“Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
des éternels regards l'onde si lasse

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

l'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure”

Alcools
Variante: Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

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“La culture humaniste, en tant qu’elle fait fonction d’idéologie et partant de religion, consiste essentiellement à ignorer trois choses : premièrement, ce qu’est Dieu, car elle ne lui accorde pas la primauté; deuxièmement, ce qu’est l’homme, car elle le met à la place de Dieu; troisièmement, ce qu’est le sens de la vie, car cette culture se borne à jouer avec les choses évanescentes et à s’y enfoncer avec une criminelle inconscience. En définitive, il n’y a rien de plus inhumain que l’humanisme du fait qu’il décapite pour ainsi dire l’homme : voulant en faire un animal parfait, il arrive à en faire un parfait animal; non dans l’immédiat – car il a le mérite fragmentaire d’abolir certains traits de barbarie – mais en fin de compte, puisqu’il aboutit inévitablement à « rebarbariser » la société, tout en la « déshumanisant » ipso facto en profondeur. Mérite fragmentaire, avons-nous dit, car l’adoucissement des mœurs n’est bon qu’à condition de ne pas corrompre l’homme, de ne pas déchaîner la criminalité ni d’ouvrir la porte à toutes les perversions possibles. Au xixe siècle on pouvait encore croire à un progrès moral indéfini; au xxe siècle ce fut le réveil brutal, il fallut se rendre à l’évidence qu’on ne peut améliorer l’homme en se contentant de la surface tout en détruisant les fondements.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

To Have a Center

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“Maintes histoires koraniques nous proposent, avec plus d'insistance encore que la Bible, le schéma suivant : les prophètes prêchent et les peuples rejettent le message; Dieu les punit pour ce rejet; et Il récompense les hommes qui croient.

L'objection des agnostique et autres sceptique est des plus faciles : les peuples sont psychologiquement excusables de ne pas accepter les Messages; les païens arabes avaient humainement et traditionnellement le droit de croire à la réalité de leurs divinités et à l'efficacité de leurs idoles; ils n'avaient pas de motif de croire le prophète à l'encontre de leurs traditions et de leurs moeurs. […] l'excuse des moderne, - facile de la part de gens qui ne croient à rien et à qui la nature plénière de l'homme échappe, - cette excuse disons-nous, ne tient pas compte du facteur suivant : si les Mecquois et les Bédouins dans leur majorité tenaient obstinément à leur coutumes, ce fut, non a priori pour des raison sincères et logiques, mais fondamentalement parce que leur soi-disant religion, qui ne leur enseignait même pas les vérités eschatologiques indispensables, au contraire flattait leur attachement passioné à l'ici bas et leur amour désordonné et même exclusif des biens terrestres(*).

* "Quand Nos versets (le Koran) sont récitées devant lui (le païen arabe), il dit : conte des anciens!" (Sourate du Calame, 15) Cette information, que le Koran fournit à plusieurs reprises, prouve que la religion des Arabe païens fut une hérésie à l'égard de leur propres traditions, que les païens rejetaient, précisément, comme étant des "conte des anciens" (el-awwalîn = "des primordiaux"). De nombreux passage du Koran indiquent également que ces Arabes ne croyaient ni à l'immortalité de l'âme ni à la résurrection, alors que leurs ancêtre y croyaient.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

From the Divine to the Human: A New Translation with Selected Letters

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“Canon 21. « Si quelqu’un dit que le juste ait le pouvoir de persévérer sans un secours spécial de Dieu, ou qu’il ne le puisse avec ce secours : qu’il soit anathème. » Canon 25. « Si quelqu’un dit que le juste pèche en toute bonne œuvre véniellement, ou, ce qui est plus insupportable, mortellement, et qu’il mérite la peine éternelle, mais qu’il n’est pas damné, par cette seule raison que Dieu ne lui impute pas ses œuvres à damnation : qu’il soit anathème. » Par où l’on voit, non-seulement que ces paroles, que « les commandemens ne sont pas impossibles aux justes, » sont restreintes à cette condition, quand ils sont secourus par la grâce ; mais qu’elles n’ont que la même force que celles-ci, que « les justes ne pèchent pas en toutes leurs actions ; » et enfin tant s’en faut que le pouvoir prochain soit étendu à tous les justes, qu’il est défendu de l’attribuer à ceux qui ne sont pas secourus de ce secours spécial, qui n’est pas commun à tous, comme il a été expliqué. Concluons donc que tous les Pères ne tiennent pas un autre langage. Saint Augustin et les Pères qui l’ont suivi, n’ont jamais parlé des commandemens, qu’en disant qu’ils ne sont pas impossibles à la charité, et qu’ils ne nous sont faits que pour nous faire sentir le besoin que nous avons de la charité, qui seule les accomplit. « Dieu, juste et bon, n’a pu commander des choses impossibles ; ce qui nous avertit de faire ce qui est facile, et de demander ce qui est difficile. » (Aug., De nat. et grat., cap. LXIX.) « Car toutes choses sont faciles à la charité. » (De perfect. justit., cap. x.) Et ailleurs : « Qui ne sait que ce qui se fait par amour n’est pas difficile? Ceux-là ressentent de la peine à accomplir les préceptes, qui s’efforcent de les observer par la crainte ; mais la parfaite charité chasse la crainte, et rend le joug du précepte doux ; et, bien loin d’accabler par son poids, elle soulève comme si elle nous donnoit des ailes. » Cette charité ne vient pas de notre libre arbitre (si la grâce de Jésus-Christ ne nous secourt), parce qu’elle est infuse et mise dans nos cœurs, non par nous-mêmes, mais par le Saint-Esprit. Et l’Écriture nous avertit que les préceptes ne sont pas difficiles, par cette seule raison, qui est que l’âme qui les ressent pesans, entende qu’elle n’a pas encore reçu les forces par lesquelles ils lui sont doux et légers. « Quand il nous est commandé de vouloir, notre devoir nous est marqué ; mais parce que nous ne pouvons pas l’avoir de nous-mêmes, nous sommes avertis à qui nous devons le demander ; mais toutefois nous ne pouvons pas faire cette demande, si Dieu n’opère en nous de le vouloir. » (Fulg., lib. II, De verit. praedest., cap. iv.) « Les préceptes ne nous sont donnés que par cette seule raison, qui est de nous faire rechercher le secours de celui qui nous commande, » etc. (Prosper, Epist. ad Demetriad.) « Les pélagiens s’imaginent dire quelque chose d’important, quand ils disent que Dieu ne commanderoit pas ce qu’il saurait que l’homme ne pourroit faire. Qui ne sait cela? Mais il commande des choses que nous ne pouvons pas, afin que nous connoissions à qui nous devons le demander. » (Aug., De nat. et grat., cap. xv et xvi.) « O homme! reconnois dans le précepte ce que tu dois ; dans la correction, que c’est par ton vice que tu ne le fais pas ; et dans la prière, d’où tu peux en avoir le pouvoir! (Aug., De corrept., cap. ni.) Car la loi commande, afin que l’homme, sentant qu’il manque de force pour l’accomplir, ne s’enfle pas de superbe, mais étant fatigué, recoure à la grâce, et qu’ainsi la loi l’épouvantant le mène à l’amour de Jésus-Christ » (Aug., De perfect. respons. et ratiocin. xj., cap.”

Blaise Pascal (1623–1662) mathématicien, physicien, inventeur, écrivain et philosophe chrétien français (XVIIe siècle)

Blaise Pascal - Oeuvres Complètes LCI/40

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“Les « preuves » philosophiques, ou plus particulièrement celles qui sont censées se prouver elles-mêmes en objectivant illusoirement le « point de départ » ou la « présupposition initiale », ne prouvent qu’une chose, à savoir la fausseté radicale du point de vue dont elles dérivent; cette tentative de la pensée formelle et finie de saisir, par ses propres moyens, sa racine transcendante, donc supra-formelle et infinie, est aussi absurde que serait l’essai d’un œil de se voir lui-même; dans les deux cas, il y a contradiction foncière. Les « théoriciens de la connaissance » sont évidemment les premiers à affirmer que la sagesse traditionnelle n’est pas arrivée à « résoudre » les « grands problèmes » de l’« esprit humain »; en réalité, il n’y a pas de problèmes pour elle et elle n’a donc jamais eu à en résoudre; son rôle consiste, sur le plan doctrinal tout au moins, à exprimer des vérités, et non pas à répondre arbitrairement à des questions mal posées. Au demeurant, rien n’est plus commode ni plus consolant, lorsqu’on se trouve dans un cercle vicieux, que de prétendre, soit que les autres s’y trouvent également, soit qu’ils sont incapables de s’y trouver; d’aucuns iront même jusqu’à rejeter la responsabilité de leur impuissance sur l’intelligence même, et l’aboutissement d’une telle attitude sera cette philosophie grossièrement imaginative, prétendument « concrète » et souvent effrontément « lyrique » dans laquelle nombre de « penseurs » croient découvrir des consonances « archaïques » autant que du génie; c’est la faiblesse intellectuelle qui, conformément d’ailleurs aux tendances générales de notre époque, se pose en art et en mystique.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse
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“Et puis vous vous rendez compte que l'amour n'est ni dépendance, ni possessivité, ni convenance, ni négation de soi ou de l'autre. (p.233)”

Pierre Rabhi (1938) essayiste, agriculteur biologiste, romancier et poète français

Du Sahara Aux Cévennes. Itinéraire d'un homme au service de la Terre-Mère

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“il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.”

Les Misérables
Variante: Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.

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“L'idée commune que les bonnes habitudes qui ne nous ont pas été inculquées de force dans notre prime enfance ne peuvent se développer en nous plus tard dans la vie est une idée avec laquelle nous avons été élevés et que nous acceptons aveuglément, tout simplement parce qu'elle n'a jamais été contestée. Pour ma part, je la renie.
La liberté est nécessaire à l'enfant parce que seule la liberté peut lui permettre de grandir naturellement -- de la bonne façon. Je vois les résultats de l'asservissement dans mes nouveaux élèves en provenance d'écoles secondaires de toutes sortes. Ils ne sont qu'un tas d'hypocrites, avec une fausse politesse et des manières affectées.
Leur réaction devant la liberté est rapide et exaspérante. Pendant les deux premières semaines ils tiennent les portes pour laisser passer leurs professeurs, ils m'appellent "Monsieur" et se lavent soigneusement. Ils regardent dans ma direction avec respect, ce que je reconnais facilement comme de la crainte. Après quelques semaines de liberté, ils montrent leur vrai visage. Ils deviennent impudents, sans manières, crasseux. Ils font toutes les choses qui leur ont été défendues dans le passé : ils jurent, ils fument, ils cassent des objets. Et pendant tout ce temps ils ont une expression polie et fausse dans les yeux et dans la voix.
Il leur faut dix mois pour perdre leur hypocrisie. Après cela ils perdent leur déférence envers ce qu'ils regardaient auparavant comme l'autorité. Au bout de dix mois environ, ce sont des enfants naturels et sains qui disent ce qu'ils pensent, sans rougir, ni haïr. Quand un enfant grandit librement dès son jeune âge, il n'a pas besoin de traverser ce stade de mensonge et de comédie. La chose la plus frappante à Summerhill, c'est la sincérité de ses élèves.
La question de sincérité dans la vie et vis-à-vis de la vie est primordiale. C'est ce qu'il y a de plus primordial au monde. Chacun réalise la valeur de la sincérité de la part de nos politiciens (tel est l'optimisme du monde), de nos juges, de nos magistrats, de nos professeurs, de nos médecins. Cependant, nous éduquons nos enfants de telle façon qu'ils n'osent être sincères. (p. 154-155)”

Summerhill: A Radical Approach to Child Rearing

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“Le mal n’est pas sans remède. « Tout pouvoir est méchant dès qu’on le laisse faire ; tout pouvoir est sage dès qu’il se sent jugé2119. » Enfin, c’est la raison principale, au moins dans une démocratie, il faut résister aux pouvoirs parce qu’il importe de préserver la liberté de l’esprit, qui n’existe qu’en l’individu, contre toute puissance, même démocratique, contre tout groupe, même et surtout majoritaire. On a vu que la majorité, pour dire la loi, est la meilleure voie. Mais le vrai ne se vote pas, ni le bien, ni le juste. Quand tout le peuple condamnerait Socrate ou Dreyfus, ils n’en seraient pas moins innocents. Le danger existe d’une dictature de l’opinion publique ou du nombre. Ce ne serait qu’une tyrannie comme une autre, pire qu’une autre peut-être par l’enthousiasme. Ce serait « la théocratie revenue2120 », autrement dit l’idolâtrie du gros animal. Nos ministres ou nos journalistes seraient nos prêtres. La liberté n’y survivrait pas. La justice n’y survivrait pas. C’est où Platon revient. « La Saint-Barthélemy, quand elle aura été approuvée par le plus grand nombre, n’était pas juste pour cela2121. » Une loi injuste, pareillement, est certes une loi (positivisme juridique) ; mais n’en est pas moins injuste pour cela. Le suffrage universel ne prouve que lui-même. C’est dire qu’il ne prouve rien et ne saurait suffire à la démocratie. « Quand le pape, infaillible et irresponsable, serait élu au suffrage universel, l’Église ne serait pas démocratique par cela seul. Un tyran peut être élu au suffrage universel, et n’être pas moins tyran pour cela. Ce qui importe, ce n’est pas l’origine des pouvoirs, c’est le contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouvernants2122. » La démocratie, ce n’est pas le choix du chef, que les tyrannies peuvent connaître aussi ; c’est la résistance, contre les abus du pouvoir, c’est la critique, c’est le « pouvoir de contrôle, de blâme et enfin de renvoi2123 ». Tel est le sens, selon Alain, du parlementarisme et de la liberté de la presse. Mais ni parlement ni journaux n’y suffisent. Car ce contrôle, pour être effectif, doit être le fait de sujets libres ; et, pour être juste, d’esprits raisonnables, c’est-à-dire d’esprits. « La fonction de penser ne se délègue point », écrit Alain2124 ; « la vigilance ne se délègue point2125. » La démocratie n’échappe à la tyrannie du nombre que par le jugement individuel : le peuple, même souverain, n’est protégé de la barbarie et de lui-même que par la vigilance des citoyens.”

André Comte-Sponville (1952) philosophe français

Du tragique au matérialisme (et retour): Vingt-six études sur Montaigne, Pascal, Spinoza, Nietzsche et quelques autres

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“Ce sont les sophistes, Protagoras en tête, qui sont les véritables précurseurs de la pensée moderne; ce sont eux les « penseurs » proprement dits, en ce sens qu'ils se bornaient à ratiociner et ne se souciaient guère de « percevoir » et de rendre compte de ce qui « est ». Et c'est à tort qu'on a vu en Socrate, Platon et Aristote les pères du rationalisme, voire de la pensée moderne en général; sans doute, ils raisonnent — Shankara et Râmânuja en font autant — mais ils n'ont jamais dit que le raisonnement est l'alpha et l'oméga de l'intelligence et de la vérité, ni a fortiori que nos expériences ou nos goûts déterminent la pensée et priment l'intuition intellectuelle et la logique, quod absit.
Somme toute, la philosophie moderne est la codification d'une infirmité acquise; l'atrophie intellectuelle de l'homme marqué par la « chute » avait pour conséquence une hypertrophie de l'intelligence pratique, d'où en fin de compte l'explosion des sciences physiques et l'apparition de pseudo-sciences telles que la psychologie et la sociologie (1).
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que le rationalisme bénéficie de circonstances atténuantes en face de la religion, dans la mesure où il se fait le porte-parole des besoins de causalité légitimes que suscitent certains dogmes, du moins quand on les prend à la lettre comme l'exige la théologie (2). D'une manière tout à fait générale, il va de soi qu'un rationaliste peut avoir raison sur le plan des observations et des expériences; l'homme n'est pas un système clos, bien qu'il puisse s'efforcer de l'être. Mais même en dehors de toute question de rationalisme et de dogmatisme, on ne peut en vouloir à personne d'être scandalisé par les sottises et les crimes perpétrés au nom de la religion, ou même simplement par les antinomies entre les différents credos; toutefois, comme les horreurs ne sont certes pas l'apanage de la religion — les prédicateurs de la « déesse raison » en fournissent la preuve —, il faut nous arrêter à la constatation que les excès et les abus sont dans la nature humaine. S'il est absurde et choquant que des crimes se réclament du Saint-Esprit, il n'est pas moins illogique et scandaleux qu'ils aient lieu à l'ombre d'un idéal de rationalité et de justice. […]”

The Transfiguration of Man

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“Le développement des connaissances préhistoriques et archéologiques tend à étaler dans l'espace des formes de civilisation que nous étions portés à imaginer comme échelonnées dans le temps. Cela signifie deux choses : d'abord que le "progrès" (si ce terme convient encore pour désigner une réalité très différente de celle à laquelle on l'avait d'abord appliqué) n'est ni nécessaire, ni continue; il procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par mutations. Ces sauts et ces bonds ne consistent pas à aller toujours plus loin dans la même direction; ils s'accompagnent de changements d'orientation, un peu à la manière du cavalier des échecs qui a toujours à sa disposition plusieurs progressions mais jamais dans le même sens. L'humanité en progrès ne ressemble guère à un personnage gravissant un escalier, ajoutant par chacun de ses mouvements une marche nouvelle à toutes celles dont la conquête lui est acquise; elle évoque plutôt le joueur dont la chance est répartie sur plusieurs dés et qui, chaque fois qu'il les jette, les voit s'éparpiller sur le tapis, amenant autant de comptes différents. Ce que l'on gagne sur un, on est toujours exposé à le perdre sur l'autre, et c'est seulement de temps à autre que l'histoire est cumulative, c'est-à-dire que les comptes s'additionnent pour former une combinaison favorable. (p.29-30)”

Race et histoire

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“« Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m'offrait un morceau de vie, je profiterais de ce temps du mieux que je pourrais.

Sans doute je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais tout ce que je dirais.

Je donnerais du prix aux choses, non pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles représentent.

Je dormirais peu, je rêverais plus, sachant qu'en fermant les yeux, à chaque minute nous perdons 60 secondes de lumière.

Je marcherais quand les autres s'arrêteraient, je me réveillerais quand les autres dormiraient.

Si Dieu me faisait cadeau d'un morceau de vie, je m'habillerai simplement, je me coucherais à plat ventre au soleil, laissant à découvert pas seulement mon corps, mais aussi mon âme.

Aux hommes, je montrerais comment ils se trompent, quand ils pensent qu'ils cessent d'être amoureux parce qu'ils vieillissent, sans savoir qu'ils vieillissent quand ils cessent d'être amoureux! A l'enfant je donnerais des ailes mais je le laisserais apprendre à voler tout seul.

Au vieillard je dirais que la mort ne vient pas avec la vieillesse mais seulement avec l'oubli.

J'ai appris tant de choses de vous les hommes… J'ai appris que tout le monde veut vivre en haut de la montagne, sans savoir que le vrai bonheur se trouve dans la manière d'y arriver.

J'ai appris que lorsqu'un nouveau-né serre pour la première fois, le doigt de son père, avec son petit poing, il le tient pour toujours.

J'ai appris qu'un homme doit uniquement baisser le regard pour aider un de ses semblables à se relever.

J'ai appris tant de choses de vous, mais à la vérité cela ne me servira pas à grand chose, si cela devait rester en moi, c'est que malheureusement je serais en train de mourir.

Dis toujours ce que tu ressens et fais toujours ce que tu penses.

Si je savais que c'est peut être aujourd'hui la dernière fois que je te vois dormir, je t'embrasserais très fort et je prierais pour pouvoir être le gardien de ton âme.

Si je savais que ce sont les derniers moments où je te vois, je te dirais 'je t'aime' sans stupidement penser que tu le sais déjà.

Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne souvent une autre possibilité pour faire les choses bien, mais au cas où elle se tromperait et c'est, si c'est tout ce qui nous reste, je voudrais te dire combien je t'aime, que jamais je ne t'oublierais.

Le lendemain n'est sûr pour personne, ni pour les jeunes ni pour les vieux.

C'est peut être aujourd'hui que tu vois pour la dernière fois ceux que tu aimes. Pour cela, n'attends pas, ne perds pas de temps, fais-le aujourd'hui, car peut être demain ne viendra jamais, tu regretteras toujours de n'avoir pas pris le temps pour un sourire, une embrassade, un baiser parce que tu étais trop occupé pour accéder à un de leur dernier désir.

Garde ceux que tu aimes près de toi, dis-leur à l'oreille combien tu as besoin d'eux, aime les et traite les bien, prends le temps pour leur dire 'je regrette' 'pardonne-moi' 's'il te plait' 'merci' et tous les mots d'amour que tu connais.

Personne ne se souviendra de toi pour tes pensées secrètes. Demande la force et la sagesse pour les exprimer.

Dis à tes amis et à ceux que tu aimes combien ils sont importants pour toi.

Monsieur Márquez a terminé, disant : Envoie cette lettre à tous ceux que tu aimes, si tu ne le fais pas, demain sera comme aujourd'hui. Et si tu ne le fais pas cela n'a pas d'importance. Le moment sera passé.

Je vous dis au revoir avec beaucoup de tendresse »”

Gabriel García Márquez (1927–2014) écrivain colombien
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