“Le corps de Louise Lame vaincue et fatiguée repose dans la flaque de sang. Le corsaire attentif comprend que l’heure est venue des représailles. Il s’apprête à sortir quand la sirène apparaît dans le salon. Il la saisit à bras le corps, la soulève et la jette à toute volée dans la rue, à travers une fenêtre. Les vitres volent en éclats et l’eau fait irruption dans le club : une eau bleue et bouillonnante, écumeuse, qui renverse les tables, les fauteuils, les buveurs. Corsaire Sanglot, durant ce temps, s’éloigne d’un quartier si paisible que le rêve y devient réalité. Son chemin est celui de la pensée, fougère à queue de paon.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 réalité , eau , temps , pensée
“Corsaire Sanglot aborde au port. Le môle est en granit, la douane en marbre blanc. Et quel silence. De quoi parlé-je? Du Corsaire Sanglot. Il aborde au port, le môle est de porphyre et la douane en lave fondue… et quel silence sur tout cela.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 silence
“Corsaire Sanglot n’eut pas besoin de suivre son chemin pour que les allées de cyprès du songe solitaire connussent les semelles de son imagination.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927
“Mais le Corsaire Sanglot, la chanteuse de music-hall, Louise Lame, les explorateurs polaires et les fous, réunis par inadvertance dans la plaine aride d’un manuscrit, hisseront en vain du haut des mâts blancs les pavillons noirs annonciateurs de peste s’ils n’ont auparavant, fantômes jaillis de la nuit profonde de l’encrier, abandonné les préoccupations chères à celui qui, de cette nuit liquide et parfaite, ne fit jamais autre chose que des taches à ses doigts, taches propres à l’apposition d’empreintes digitales sur les murs ripolinés du rêve et par là capables d’induire en erreur les séraphins ridicules de la déduction logique persuadés que seul un esprit familier des majestueuses ténèbres a pu laisser une trace tangible de sa nature indécise en s’enfuyant à l’approche d’un danger comme le jour ou le réveil, et loin de penser que le travail du comptable et celui du poète laissent finalement les mêmes stigmates sur le papier et que seul l’œil perspicace des aventuriers de la pensée est capable de faire la différence entre les lignes sans mystère du premier et le grimoire prophétique et, peut-être à son insu, divin du second, car les pestes redoutables ne sont que tempêtes de cœurs entrechoqués et il convient de les affronter avec des ambitions individuelles et un esprit dégagé du stupide espoir de transformer en miroir le papier par une écriture magique et efficace.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 nature , chant , nuit , pensée
“Les valets du club des Buveurs de Sperme s’empressèrent autour de lui. Après avoir choisi un cru de choix, du sperme sénégalais année du naufrage de La Méduse Corsaire Sanglot alluma une cigarette.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927
“Le Corsaire Sanglot réfléchit. Il se souvient d’un cadavre de femme et d’un salon où l’on buvait une douce liqueur… Il reprend le chemin du club des Buveurs de Sperme.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 femmes
“Corsaire Sanglot sentait croître une estime nouvelle pour lui-même et en lui-même. Depuis qu’il avait compris et accepté la monotonie de l’Éternité, il avançait droit comme un bâton à travers les aventures, lianes glissantes, qui ne l’arrêtaient pas dans sa marche. Une exaltation nouvelle avait succédé à la dépression. Une espèce d’enthousiasme à rebours qui lui faisait considérer sans intérêt l’échec de ses plus chères tentatives. La liberté du temps l’avait enfin conquis.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 liberté , temps , échec
“Quand il sortit, au crépuscule, la chanson des fontaines publiques peuplait les rues de sirènes imaginaires. Elles s’enlaçaient, tournaient et se traînaient jusqu’aux pieds du corsaire. Muettes, elles imploraient du conquérant la chanson qui les rendrait aux limbes maritimes, mais lui, le gosier sec, ne troubla pas de sa voix les rues et les murs sonores car ses yeux lucides, plus lucides que les yeux de la réalité, discernaient par-delà le désert et les régions habitées l’ombre de la robe de celle que j’aime et à laquelle je n’ai pas cessé de penser depuis que ma plume, animée quoique partie du mouvement propre à l’ensemble, vole dans le ciel blafard du papier.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 réalité , pensée
“Le nouveau corsaire vêtu d’un smoking est à l’avant de son yacht rapide qui de son sillage blanc singeant les princesses des cours périmées, heurte dans sa course tantôt le corps des naufragés errant depuis des semaines, tantôt, enveloppé d’un ridicule drapeau, le corps de celui qui décéda avant d’arriver au port […], tantôt la troublante arête-squelette d’une sirène défunte pour avoir, une nuit, traversé sans son diadème de méduses les eaux d’une tempête éclairées par un phare puissant perdu loin des côtes et proie des oiseaux fantômes.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 oiseau , eau , nuit , Loin
“Le fauteuil et la glace lui offrirent leur familière pénombre. Déjà, la mousse emplissait le plat à barbe. Le coiffeur apprêtait son blaireau. Il était deux heures du matin, la nuit confondait les ombres des bustes de cire. Les parfums de la boutique flottaient lourdement. La mousse sur les bâtons de savon à barbe séchait en craquant. Corsaire Sanglot sentait une présence obscure au-dessus de sa tête. Il rejeta violemment les draps et la mer mourant à ses pieds l’enivra d’air salin.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 mer , nuit
“Les traducteurs sont des corsaires. […] Quel est le travail du corsaire? Quand un bateau étranger lui plaît, il l'arraisonne. Jette l'équipage à la mer et le remplace par des amis. Puis hisse les couleurs nationales au sommet du plus haut mât. Ainsi fait le traducteur. Il capture un livre, en change tout le langage et le baptise français. Vous n'avez jamais pensé que les livres étaient des bateaux et les mots leur équipage?” Érik Orsenna (1947) écrivain français Deux étés, 1997 changement , mer , pensée , livres
“Les Normands étant les corsaires du Nord, les Arabes furent les corsaires du Sud. Sans rien dire de leur immense incursion dans l'Ouest, de l'Espagne aux vallées d'entre Poitiers et Tours ou leur destin fut scellé, ils piratèrent longuement sur le littoral de la Méditerranée "rhodanienne", dans le pays de Narbonne, de Maguelonne, et vers l'orient de Marseille, en ce qui fut ensuite Languedoc, Roussillon, Provence. En certains lieux ils ne firent que passer; ailleurs ils demeurèrent, notamment dans les montagnes littorales des Maures ou ils eurent un camps retranché difficile à forcer en ce temps d'armes sans portée lointaine; et ils méditèrent la conquête de tout le pays, aussi loin que la terre porte le galop du cheval : le monde n'était-il pas promis, et tout entier, aux louangeurs du Prophète, aux hommes de la "Guerre Sainte"? Et le vrai croyant, mort en conquérant le sol infidèle, n'était-il pas attendu par les vierges dans le lieu des délices, Walhalla sans bière et sans hydromel, - les hommes du Sud étant sobres de nature autant qu'ivrognes ceux du Nord? Ces Arabes, ces Maures, ces Sarrasins, disons mieux, ces Berbères islamisés étaient peut-être peu ou prou les cousins des hommes de notre midi de par une communauté d'ancêtres préhistoriques; ils entrèrent dans l'alliance de beaucoup de familles méridionales” Onésime Reclus (1837–1916) géographe français montagne , bière , nature , temps
“Quand la respiration de Corsaire Sanglot se fit haletante, Louise Lame devint plus resplendissante que le mâle.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927
“Corsaire Sanglot n’hésita pas. Il entra dans le couloir. La concierge, une belle sirène, était en train de changer d’écailles, suivant la volonté de la saison. C’étaient, dans la loge meublée d’une table, d’un buffet et d’un cartel Henri-II, des tourbillons d’écailles vertes et blanches.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 volonté , changement , Saison
“Trois orchestres jouaient sur la digue, faisant alterner les airs hawaiiens avec les blues et les rag-time. Mais nul ne savait que l’homme fortuné qui les recevait était parmi eux. Corsaire Sanglot, sous les apparences d’un jeune clubman, se promenait de groupe en groupe salué par ceux-là qui l’avaient rencontré à quelque fête, parlant à ceux-ci, voisin de table de jeux ou compagnon accidentel de golfe.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 jeu , apparence , hommes
“Corsaire Sanglot était enfoui jusqu’au cou dans un immense champ d’éponges. Elles pouvaient être trois ou quatre cent mille. Des hippocampes troublés dans leur sommeil surgirent de tous côtés en même temps qu’une gigantesque bougie allumée de l’espèce dite marine. À la lueur, les vallonnements tendres des éponges s’éclairèrent à perte de vue. Leurs mamelons prirent un relief extraordinaire et Corsaire Sanglot se fraya parmi eux un chemin difficile. Il atteignit enfin la bougie. Celle-ci surgissait d’une espèce de clairière appelée, un écriteau de corail en faisait foi, « Éclaircie de l’éponge mystique », une troupe d’hippocampes se jouait là, sur un sol fait de petits galets noirs. Douze squelettes de sirènes y reposaient, couchés côte à côte. Devant ce cimetière Corsaire Sanglot éprouva un grand soulagement. Il contemplerait un instant cette place sacrée, puis, dans la prairie des éponges, il irait se coucher pour toujours. Il distinguait des uniformes de marins de nationalités diverses, des squelettes en smokings et en robes de soirée.” Robert Desnos (1900–1945) poète français La Liberté ou l'Amour !, 1927 sommeil , perte , temps , foi