“Fume l'encens, veille l'amour,Dans son lit bleu la vierge est morte;Couve le feu, tombe le jour,L'Ange, mes soeurs, frappe à la porte.” Stuart Merrill (1863–1915) poète américain francophone ange , amour , mort
“En Inde, j'ai vu vivre des Païens et j'ai compris que saluer le soleil le matin, disposer des fleurs fraîches sur mes autels comme je le fais quasi journellement, brûler un peu d'encens à Cernunnos ou à Shiva, accomplir une libation de vin ou de thé, méditer sur l'un ou l'autre symbole ne relèvent pas de l'exploit ni du folklore, mais bien d'une discipline joyeusement acceptée.” Christopher Gérard (1962) écrivain belge Parcours païen, 2000 vin , fleur , soleil , thé
“Paris s'éveille débraillé, une lumière crue dans ses rues citron. La pulpe moite des croissants fumants, l'absinthe couleur de rainette, son encens matinal, flattent l'atmosphère, Belluomo quitte le lit de la femme de l'amant de sa femme, la ménagère s'ébranle, un mouchoir sur sa tête, une soucoupe d'acide acétique à la main. Chez Rodot, Yvonne et Madeleine refont leur beauté fripée, dents aurifiées qui broient des chaussons, bouche jaunie par le pus du flanc breton.” James Joyce livre Ulysse Ulysse, 1922 lumière , femmes , beauté , couleur
“Il n’est qu’un jeune chat, fruit des amours — et de la mésalliance — de Moune, chatte persane bleue, avec n’importe quel rayé anonyme. Dieu sait si le rayé abonde, dans les jardins d’Auteuil! Par les jours de printemps précoce, aux heures du jour où la terre, dégelée, fume sous le soleil et embaume, certains massifs, certaines plates-bandes ameublies qui attendent les semis et les repiquages, semblent jonchés de couleuvres : les seigneurs rayés, ivres d’encens végétal, tordent leurs reins, rampent sur le ventre, fouettent de la queue et râpent délicatement sur le sol leur joue droite, leur joue gauche, pour l’imprégner de l’odeur prometteuse de printemps — ainsi une femme touche, de son doigt mouillé de parfum, ce coin secret, sous l’oreille.” Colette livre La Maison de Claudine Romans, La Maison de Claudine, 1922 chat , soleil , amour , femmes
“Es-tu sûre, héroïne aux sens de phare, d'avoir vaincu la miséricorde et l'ombre, ces deux sœurs lavandières, prenons-les à la gorge, elles ne sont pas jolies et pour ce que nous voulons en faire, le monde se détachera bien assez vite de leur crinière peignant l'encens sur le bord des fontaines.” Paul Éluard livre Capitale de la douleur Capitale de la douleur, 1926 sœur , monde , Sens
“Dans le ciel, où tant de romances s’étaient diluées jadis, un croissant de lune se mouche dans un nuage. Par-dessus le muret de la résidence, on peut voir les lumières de Jérusalem, avec ses minarets et le clocher de ses églises qu’écartèle désormais ce rempart sacrilège, misérable et laid, né de l’inconsistance des hommes et de leurs indécrottables vacheries. Et pourtant, malgré l’affront que lui fait le Mur de toutes les discordes, Jérusalem la défigurée ne se laisse pas abattre. Elle est toujours là, blottie entre la clémence de ses plaines et la rigueur du désert de Judée, puisant sa survivance aux sources de ses vocations éternelles auxquelles ni les rois de naguère ni les charlatans d’aujourd’hui n’auront accédé. Bien que cruellement excédée par les abus des uns et le martyre des autres, elle continue de garder la foi – ce soir plus que jamais. On dirait qu’elle se recueille au milieu de ses cierges, qu’elle recouvre toute la portée de ses prophéties maintenant que les hommes se préparent à dormir. Le silence se veut un havre de paix. La brise crisse dans les feuillages, chargée d’encens et de senteurs cosmiques. Il suffirait de prêter l’oreille pour percevoir le pouls des dieux, de tendre la main pour cueillir leur miséricorde, d’une présence d’esprit pour faire corps avec eux.J’ai beaucoup aimé Jérusalem, adolescent. J’éprouvais le même frisson aussi bien devant le Dôme du Rocher qu’au pied du mur des Lamentations et je ne pouvais demeurer insensible à la quiétude émanant de la basilique du Saint-Sépulcre. Je passais d’un quartier à l’autre comme d’une fable ashkénaze à un conte bédouin, avec un bonheur égal, et je n’avais pas besoin d’être un objecteur de conscience pour retirer ma confiance aux théories des armes et aux prêches virulents. Je n’avais qu’à lever les yeux sur les façades alentour pour m’opposer à tout ce qui pouvait égratigner leur immuable majesté. Aujourd’hui encore, partagée entre un orgasme d’odalisque et sa retenue de sainte, Jérusalem a soif d’ivresse et de soupirants et vit très mal le chahut de ses rejetons, espérant contre vents et marées qu’une éclaircie délivre les mentalités de leur obscur tourment. Tour à tour Olympe et ghetto, égérie et concubine, temple et arène, elle souffre de ne pouvoir inspirer les poètes sans que les passions dégénèrent et, la mort dans l’âme, s’écaille au gré des humeurs comme s’émiettent ses prières dans le blasphème des canons…” Yasmina Khadra (1955) écrivain algérien L’Attentat, 2005 mort , hommes , Dieu , bonheur
“Chloé avait passé ses bas, fins comme une fumée d'encens, de la couleur de sa peau blonde et ses souliers hauts de cuir blanc. Pour tout le reste, elle était nue, sauf un lourd bracelet d'or bleu qui faisait paraître encore plus fragile son poignet délicat.” Boris Vian livre L'Écume des jours L'Écume des jours, 1947 couleur
“[L]es honneurs que l’on me faisait occultaient la terre bénie de Dieu en un inextricable dépotoir où les valeurs fondatrices de l’Humain croupissent, les tripes à l’air, où les encens sentent mauvais comme les promesses que l’on résilie, où le fantôme des prophètes se voile la face à chaque prière qui se perd dans le cliquetis des culasses et les cris de sommation.” Yasmina Khadra (1955) écrivain algérien L’Attentat, 2005 cri , Dieu
“Qui l'a appris, c'est le mari surpris. Petite blague du bon dieu. Et la voilà qui sort. Repentir à fleur de peau. Honte adorable. Prière à l'autel. Je vous salue Marie et Sainte Marie. Fleurs, encens, cires qui fondent. Cachent sa rougeur. Armée du Salut, tintamarresque contrefaçon. Prostituée convertie donnera une conférence. Comment j'ai trouvé le Seigneur.” James Joyce livre Ulysse Ulysse, 1922 sortie , fleur , Dieu , sort
“Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue;Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler;Je sentis tout mon corps et transir et brûler :Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables!Par des vœux assidus je crus les détourner :Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner;De victimes moi-même à toute heure entourée,Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :D’un incurable amour remèdes impuissants!En vain sur les autels ma main brûlait l’encens!Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,J’adorais Hippolyte; et, le voyant sans cesse,Même au pied des autels que je faisais fumer,J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.Je l’évitais partout. Ô comble de misère!Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.Contre moi-même enfin j’osai me révolter :J’excitai mon courage à le persécuter.Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre;Je pressai son exil; et mes cris éternelsL’arrachèrent du sein et des bras paternels.Je respirais, ŒNONE; et, depuis son absence,Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence :Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,De son fatal hymen je cultivais les fruits.Vaines précautions! Cruelle destinée!Par mon époux lui-même à Trézène amenée,J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.J’ai conçu pour mon crime une juste terreur;J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur;Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,Et dérober au jour une flamme si noire :Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats :Je t’ai tout avoué; je ne m’en repens pas.Pourvu que, de ma mort respectant les approches,Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,Et que tes vains secours cessent de rappelerUn reste de chaleur tout prêt à s’exhaler.” Jean Racine Phèdre Phèdre
“Attends. Laisse-moi dire adieu à cette légèreté sans tache qui fut la mienne. Laisse-moi dire adieu à ma jeunesse. Il y a des soirs, des soirs de Corinthe ou d'Athènes, pleins de chants et d'odeurs qui ne m'appartiendront plus jamais. Des matins, pleins d'espoir aussi… Allons adieu! adieu! (Il vient vers Electre.) Viens, Electre, regarde notre ville. Elle est là, rouge sous le soleil, bourdonnante d'hommes et de mouches, dans l'engourdissement têtu d'un après-midi d'été; elle me repousse de tous ses murs, de tous ses toits, de toutes ses portes closes. Et pourtant elle est à prendre, je le sens depuis ce matin. Et toi aussi, Electre, tu es à prendre. Je vous prendrai. Je deviendrai hache et je fendrai en deux ces murailles obstinées, j'ouvrirai le ventre de ces maisons bigotes, elles exhaleront par leurs plaies béantes une odeur de mangeaille et d'encens; je deviendrai cognée et je m enfoncerai dans le cœur de cette ville comme la cognée dans le cœur d'un chêne.” Jean-Paul Sartre Les Mouches The Flies