“[…] le développement des villes, des salons, de la cour impose à chacun de maîtriser ses pulsions et d'affiner ses manières et son langage. On assiste à un remarquable effort de civilisation, c'est-à-dire de transformation de l'être naturel, égocentrique et impulsif (Alceste, héros du Misanthrope) en sujet social plus ou moins complaisant (Philinte). De 1630 à 1690 environ, la qualité sociale essentielle c'est l' honnêteté, qui ne désigne pas, comme aujourd'hui, une probité morale, mais une civilité, un art de plaire, de s'adapter à l'attente d'autrui en contrôlant ses désirs. […] le XVIIe siècle voit le développement d'une bourgeoisie composée de juristes et administrateurs, portés à la discipline, et de négociants et financiers, soucieux d'économiser pour accroître leur puissance. Or, la morale est aussi une discipline et une économie des désirs. Cette bourgeoisie veut être reconnue comme élite; il lui faut pour cela s'imposer par sa vertu, d'autant plus qu'elle n'a pas la naissance qui définit la noblesse. Il lui faut surtout se démarquer du peuple. Cet effort de distinction culturelle élimine digestion, sexualité et tout ce qui peut paraître grossier dans le comportement ou l'expression. Il tend à réduire la spontanéité au profit de la raison, à imposer à la nature la maîtrise de l'art, à récuser le savoir-faire spontané ou empirique, fondé sur le génie ou le métier, au bénéfice d'un savoir-faire méthodique, fondé en théorie. C'est pour ces raisons fondamentales que les années trente, contredisant Aristote et renversant la tendance du premier tiers du siècle, soumettent l'art, et particulièrement la tragédie, à la morale.”

—  Jean Rohou

La Tragédie classique, 1996, La « discipline » classique

Adopté de Wikiquote. Dernière mise à jour 21 mai 2020. L'histoire

Citations similaires

“Le langage quotidien (tout comme le langage des images) est de part en part traversé par des rapports de force, par des rapports sociaux (de classe, de sexe, d'âge, de race, etc.), et c'est dans et par le langage (et l'image) que se joue la domination symbolique, c'est-à-dire la définition - et l'imposition - des perceptions du monde et des représentations socialement légitimes. Le dominant, comme le dit Pierre Bourdieu, est celui qui réussit à imposer la manière dont il veut être perçu, et le dominé, celui qui est défini, pensé et parlé par le langage de l'autre et/ou celui qui ne parvient pas à imposer la perception qu'il à de lui-même. Seules les périodes de crise sociale, culturelle, ou au moins l'irruption de mobilisations politiques ou culturelles, peuvent permettre une mise en question de cet ordre symbolique des représentations et du langage dont al force principale est de se présenter comme ressortissant aux évidences d'un ordre naturel, immuable, et sur lequel on ne s'interroge pas ou sur lequel on s'interroge faussement pour mieux le réaffirmer dans son arbitraire en le présentant comme ayant toujours existé.
La mobilisation politique, l'action politique, sont toujours des batailles pour la représentation, pour le langage et les mots. Ce sont des luttes autour de la perception du monde. La question qui s'y joue est de savoir qui définit la perception et la définition d'un groupe et la perception et la définition du monde en général. La mobilisation, l'action politique, consistent souvent, pour un groupe, à essayer de faire valoir, d'imposer la manière dont il se perçoit lui-même, et d'échapper ainsi à la violence symbolique exercée par la représentation dominante. Mais il convient de préciser qu'il n'y a pas, pour les gays, encore moins pour les « gays et lesbiennes », une manière d'être et de se penser soi-même qui préexisterait et qu'il conviendrait de découvrir et de manifester au grand jour, et encore moins une seule et unique manière d'être et de « se percevoir », ce qui constitue toute la complexité du mouvement gay et lesbien et explique le fait, si souvent souligné, que les définitions qu'il peut donner de lui-même ne sont que des constructions provisoires, fragiles et nécessairement contradictoires entre elles. (p. 117-118)”

Didier Eribon (1953) philosophe et sociologue français

Insult and the Making of the Gay Self

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Cette traduction est en attente de révision. Est-ce correct?
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