Citations sur façon
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“Je condamne l'ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J'ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l'éducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des études de base, très simples, où l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu'il dépend de l'air, de l'eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passé pour qu'il se sente relié aux hommes qui l'ont précédé, pour qu'il les admire là où ils méritent de l'être, sans s'en faire des idoles, non plus que du présent ou d'un hypothétique avenir. On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d'avance certains odieux préjugés. On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu'on ne le fait. (p. 255)”

Marguerite Yourcenar (1903–1987) écrivaine française

Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey

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“La plus remarquable des facultés de notre esprit est sans doute sa capacité à faire face à la douleur. Selon la pensée classique, l'esprit est doté de quatre portes, que chacun franchit selon la nécessité qui l'y pousse.
La première, c'est celle du sommeil. Le sommeil nous procure un abri loin du onde et de toutes ses souffrances. Le sommeil facilite la passage du temps, mettant à distance ce qui nous fait mal. Lorsqu'une personne est blessée, bien souvent, elle perd connaissance. De même, quelqu'un qui apprend une nouvelle bouleversante pourra s'évanouir. franchir cette première porte, c'est la façon dont l'esprit se protège de la douleur.
La deuxième porte est celle de l'oubli. Il est des blessures trop profondes pour guérir, du moins pour s'en rétablir promptement. De surcroît, nombre de souvenirs sont tout simplement trop douloureux et on ne peut en espérer aucun apaisement. Le vieux dicton selon lequel "le temps guérit tous les maux" est faux. Le temps guérit la plupart des maux. Le reste est dissimulé derrière cette porte.
La troisième porte est celle de la folie. Il y a des moments où 'esprit subit un tel choc qu'il se réfugie dans la démence. Bien qu'il semble difficile de pouvoir en tirer quelque bénéfice que ce soit, c'est pourtant le cas : il est des moments où la réalité n'est que souffrance et pour échapper à cette souffrance, l'esprit doit s'affranchir de la réalité.
La dernière porte est celle de la mort. L'ultime recours. Rien ne peut nous atteindre une fois que nous sommes morts, du moins c'est ce que l'on nous a dit.”

The Name of the Wind

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“Qu’est-ce qui peut seul être notre doctrine? — Que personne ne donne à l’homme ses qualités, ni Dieu, ni la société, ni ses parents et ses ancêtres, ni lui-même (— le non-sens de l’« idée », réfuté en dernier lieu, a été enseigné, sous le nom de « liberté intelligible par Kant et peut-être déjà par Platon). Personne n’est responsable du fait que l’homme existe, qu’il est conformé de telle ou telle façon, qu’il se trouve dans telles conditions, dans tel milieu. La fatalité de son être n’est pas à séparer de la fatalité de tout ce qui fut et de tout ce qui sera. L’homme n’est pas la conséquence d’une intention propre, d’une volonté, d’un but; avec lui on ne fait pas d’essai pour atteindre un « idéal d’humanité », un « idéal de bonheur », ou bien un « idéal de moralité », — il est absurde de vouloir faire dévier son être vers un but quelconque. Nous avons inventé l’idée de « but » : dans la réalité le « but » manque… On est nécessaire, on est un morceau de destinée, on fait partie du tout, on est dans le tout, — il n’y a rien qui pourrait juger, mesurer, comparer, condamner notre existence, car ce serait là juger, mesurer, comparer et condamner le tout…Mais il n’y a rien en dehors du tout! — Personne ne peut plus être rendu responsable, les catégories de l’être ne peuvent plus être ramenées à une cause première, le monde n’est plus une unité, ni comme monde sensible, ni comme « esprit » : cela seul est la grande délivrance, — par là l’innocence du devenir est rétablie… L’idée de « Dieu » fut jusqu’à présent la plus grande objection contre l’existence… Nous nions Dieu, nous nions la responsabilité en Dieu : par là seulement nous sauvons le monde.”

Twilight of the Idols

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“Il y a un moment où il faut sortir les couteaux.
C’est juste un fait. Purement technique.
Il est hors de question que l’oppresseur aille comprendre de lui-même qu’il opprime, puisque ça ne le fait pas souffrir : mettez-vous à sa place.
Ce n’est pas son chemin.
Le lui expliquer est sans utilité.
L’oppresseur n’entend pas ce que dit son opprimé comme un langage mais comme un bruit. C’est dans la définition de l’oppression.
En particulier les « plaintes » de l’opprimé sont sans effet, car naturelles. Pour l’oppresseur il n’y a pas d’oppression, forcément, mais un fait de nature.
Aussi est-il vain de se poser comme victime : on ne fait par là qu’entériner un fait de nature, que s’inscrire dans le décor planté par l’oppresseur.
L’oppresseur qui fait le louable effort d’écouter (libéral intellectuel) n’entend pas mieux.
Car même lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement différentes. C’est ainsi que de nombreux mots ont pour l’oppresseur une connotation-jouissance, et pour l’opprimé une connotation-souffrance. Ou : divertissement-corvée. Ou : loisir-travail. Etc. Allez donc causer sur ces bases.
C’est ainsi que la générale réaction de l’oppresseur qui a « écouté » son opprimé est en gros : mais de quoi diable se plaint-il? Tout ça, c’est épatant.
Au niveau de l’explication, c’est tout à fait sans espoir. Quand l’opprimé se rend compte de ça, il sort les couteaux. Là on comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant.
Le couteau est la seule façon de se définir comme opprimé. La seule communication audible.
Peu importent le caractère, la personnalité, les mobiles actuels de l’opprimé.
C’est le premier pas réel hors du cercle.
C’est nécessaire.”

Christiane Rochefort (1917–1998) écrivain française
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“Nous souhaitons de toutes nos forces que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu’en Orient la vermine et nous appelons cette destruction comme l’état de choses le moins inacceptable pour l’esprit. (…) Nous saisissons cette occasion pour nous désolidariser publiquement de tout ce qui est français, en paroles et en actions. Nous déclarons trouver la trahison et tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, peut nuire à la sûreté de l’Etat beaucoup plus conciliable avec la poésie que la vente de « grosses quantités de lard » pour le compte d’une nation de porcs et de chiens. C’est une singulière méconnaissance des facultés propres et des possibilités de l’esprit qui fait périodiquement rechercher leur salut à des goujats de votre espèce dans une tradition catholique ou gréco-romaine. Le salut pour nous n’est nulle part. Nous tenons Rimbaud pour un homme qui a désespéré de son salut et dont l’oeuvre et la vie sont de purs témoignages de perdition. Catholicisme, classicisme gréco-romain, nous vous abandonnons à vos bondieuseries infâmes. Qu’elles vous profitent de toutes manières; engraissez encore, crevez sous l’admiration et le respect de vos concitoyens. Ecrivez, priez et bavez; nous réclamons le déshonneur de vous avoir traité une fois pour toutes de cuistre et de canaille.”

André Breton (1896–1966) poète et écrivain français
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“cette façon que vous avez de vouloir renoncer plutôt que de perdre.”

Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable

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“L'idée commune que les bonnes habitudes qui ne nous ont pas été inculquées de force dans notre prime enfance ne peuvent se développer en nous plus tard dans la vie est une idée avec laquelle nous avons été élevés et que nous acceptons aveuglément, tout simplement parce qu'elle n'a jamais été contestée. Pour ma part, je la renie.
La liberté est nécessaire à l'enfant parce que seule la liberté peut lui permettre de grandir naturellement -- de la bonne façon. Je vois les résultats de l'asservissement dans mes nouveaux élèves en provenance d'écoles secondaires de toutes sortes. Ils ne sont qu'un tas d'hypocrites, avec une fausse politesse et des manières affectées.
Leur réaction devant la liberté est rapide et exaspérante. Pendant les deux premières semaines ils tiennent les portes pour laisser passer leurs professeurs, ils m'appellent "Monsieur" et se lavent soigneusement. Ils regardent dans ma direction avec respect, ce que je reconnais facilement comme de la crainte. Après quelques semaines de liberté, ils montrent leur vrai visage. Ils deviennent impudents, sans manières, crasseux. Ils font toutes les choses qui leur ont été défendues dans le passé : ils jurent, ils fument, ils cassent des objets. Et pendant tout ce temps ils ont une expression polie et fausse dans les yeux et dans la voix.
Il leur faut dix mois pour perdre leur hypocrisie. Après cela ils perdent leur déférence envers ce qu'ils regardaient auparavant comme l'autorité. Au bout de dix mois environ, ce sont des enfants naturels et sains qui disent ce qu'ils pensent, sans rougir, ni haïr. Quand un enfant grandit librement dès son jeune âge, il n'a pas besoin de traverser ce stade de mensonge et de comédie. La chose la plus frappante à Summerhill, c'est la sincérité de ses élèves.
La question de sincérité dans la vie et vis-à-vis de la vie est primordiale. C'est ce qu'il y a de plus primordial au monde. Chacun réalise la valeur de la sincérité de la part de nos politiciens (tel est l'optimisme du monde), de nos juges, de nos magistrats, de nos professeurs, de nos médecins. Cependant, nous éduquons nos enfants de telle façon qu'ils n'osent être sincères. (p. 154-155)”

Summerhill: A Radical Approach to Child Rearing

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“Mais la question ne se réduit pas seulement à l'ennui que procure cette gent écrivassière; il faut aussi souligner sa nocivité, car la « stupidité intelligente », surtout dans l'Italie actuelle, est remarquablement organisée. C'est une sorte de franc-maçonnerie implantée dans différents milieux et qui détient pratiquement toutes les positions-clés de l'édition, lorsque celles-ci ne sont pas déjà tenues et contrôlées par des éléments de gauche. Ses représentants possèdent un flair très développé pour reconnaître immédiatement ceux qui ont une nature différente et pour les frapper d'ostracisme. Nous donnerons à ce sujet un exemple banal mais significatif II existe en Italie un groupe d'intellectuels rassemblés autour d'une revue assez largement diffusée et bien faite, qui se voudrait anticonformiste et qui critique volontiers le régime politique et les moeurs d'aujourd'hui. Mais cette revue s'est bien gardée de contacter les rares auteurs qui pourraient lui donner, si elle voulait faire un travail sérieux, une base positive en matière de principes et de vision traditionnelle du monde. Ces auteurs ne sont pas seulement ignorés, ils sont aussi rejetés, exactement comme fait la presse de gauche, précisément parce qu'on sent que ce sont des hommes d'une autre trempe. Cela montre clairement que ce brillant anticonformisme n'est qu'un moyen pour se faire remarquer et pour parader, tout restant sur le plan du dilettantisme. Au demeurant, le fondateur de la revue en question, mort il y a quelques années, n'hésita pas à dire un jour que si un régime différent existait aujourd'hui, il changerait probablement de camp, de façon à être toujours dans l'« opposition» - le but, évidemment, étant de « briller » et d'étaler son « intelligence ».”

Julius Evola (1898–1974) philosophe italien

L'arco e la clava

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“Chaque jour, le maître se contentait de le saluer et commençait son cours. Puis il demeurait invisible le reste de la journée et restait muet lors du dîner.
Or, ce matin-là, debout près de la rivière argentée, le vieil aveugle lui dit :
— Yuko, tu deviendras un poète accompli lorsque, dans ton écriture, tu intégreras les notions de peinture, de calligraphie, de musique et de danse. Et surtout lorsque tu maîtriseras l’art du funambule.
Yuko se mit à sourire. Le maître n’avait pas oublié.
— Pourquoi l’art du funambule pourrait-il me servir?
Soseki posa sa main sur l’épaule du jeune homme, comme il l’avait déjà fait un mois plus tôt.
— Pourquoi? En vérité, le poète, le vrai poète, possède l’art du funambule. Écrire, c’est avancer mot à mot sur un fil de beauté, le fil d’un poème, d’une œuvre, d’une histoire couchée sur un papier de soie. Écrire, c’est avancer pas à pas, page après page, sur le chemin du livre. Le plus difficile, ce n’est pas de s’élever du sol et de tenir en équilibre, aidé du balancier de sa plume, sur le fil du langage. Ce n’est pas non plus d’aller tout droit, en une ligne continue parfois entrecoupée de vertiges aussi furtifs que la chute d’une virgule, ou que l’obstacle d’un point. Non, le plus difficile, pour le poète, c’est de rester continuellement sur ce fil qu’est l’écriture, de vivre chaque heure de sa vie à hauteur du rêve, de ne jamais redescendre, ne serait-ce qu’un instant, de la corde de son imaginaire. En vérité, le plus difficile, c’est de devenir un funambule du verbe.
Yuko remercia le maître de lui enseigner l’art d’une façon si subtile, si belle.”

Maxence Fermine (1968) écrivain français
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“Dans son rapport inaugural, le Forum, à propos de la mondialisation qu'il a symbolisée sous ses formes les plus conquérantes et sûres d'elles-mêmes, évoque avec un sens exquis de l'euphémisme "un risque de désillusion". Mais dans les conversations, c'est autre chose. Désillusion? Crise? Inégalités? D'accord, si vous y tenez, mais enfin, comme nous le dit le très cordial et chaleureux PDG de la banque américaine Western Union, soyons clairs : si on ne paie pas les leaders comme ils le méritent, ils s'en iront voir ailleurs. Et puis, capitalisme, ça veut dire quoi? Si vous avez 100 dollars d'économies et que vous les mettez à la banque en espérant en avoir bientôt 105, vous êtes un capitaliste, ni plus ni moins que moi. Et plus ces capitalistes comme vous et moi (il a réellement dit "comme vous et moi", et même si nous gagnons fort décemment notre vie, même si nous ne connaissons pas le salaire exact du PDG de la Western Union, pour ne rien dire de ses stock-options, ce "comme vous et moi" mérite à notre sens le pompon de la "brève de comptoir" version Davos), plus ces capitalistes comme vous et moi, donc, gagneront d'argent, plus ils en auront à donner, pardon à redistribuer, aux pauvres. L'idée ne semble pas effleurer cet homme enthousiaste, et à sa façon, généreux, que ce ne serait pas plus mal si les pauvres étaient en mesure d'en gagner eux-mêms et ne dépendaient pas des bonnes dispositions des riches. Faire le maximum d'argent, et ensuite le maximum de bien, ou pour les plus sophistiqués faire le maximum de bien en faisant le maximum d'argent, c'est le mantra du Forum, où on n'est pas grand-chose si on n'a pas sa fondation caritative, et c'est mieux que rien, sans doute "(vous voudriez quoi? Le communisme?"). Ce qui est moins bien que rien, en revanche, beaucoup moins bien, c'est l'effarante langue de bois dans laquelle ce mantra se décline. Ces mots dont tout le monde se gargarise : préoccupation sociétale, dimension humaine, conscience globale, changement de paradigme… De même que l'imagerie marxiste se représentait autrefois les capitalistes ventrus, en chapeau haut de forme et suçant avec volupté le sang du prolétariat, on a tendance à se représenter les super-riches et super-puissants réunis à Davos comme des cyniques, à l'image de ces traders de Chicago qui, en réponse à Occupy Wall Street, ont déployé au dernier étage de leur tour une banderole proclamant : "Nous sommes les 1%". Mais ces petits cyniques-là étaient des naïfs, alors que les grands fauves qu'on côtoie à Davos ne semblent, eux, pas cyniques du tout. Ils semblent sincèrement convaincus des bienfaits qu'ils apportent au monde, sincèrement convaincus que leur ingénierie financière et philanthropique (à les entendre, c'est pareil) est la seule façon de négocier en douceur le fameux changement de paradigme qui est l'autre nom de l'entrée dans l'âge d'or. Ça nous a étonnés dès le premier jour, le parfum de new age qui baigne ce jamboree de mâles dominants en costumes gris. Au second, il devient entêtant, et au troisième on n'en peut plus, on suffoque dans ce nuage de discours et de slogans tout droit sortis de manuels de développement personnel et de positive thinking. Alors, bien sûr, on n'avait pas besoin de venir jusqu'ici pour se douter que l'optimisme est d'une pratique plus aisée aux heureux du monde qu'à ses gueux, mais son inflation, sa déconnexion de toute expérience ordinaire sont ici tels que l'observateur le plus modéré se retrouve à osciller entre, sur le versant idéaliste, une indignation révolutionnaire, et, sur le versant misanthrope, le sarcasme le plus noir. (p. 439-441)”

Emmanuel Carrère (1957) écrivain, scénariste et réalisateur français

Il est avantageux d'avoir où aller

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“Le matérialisme, par la logique des choses, aboutit à l'égalitarisme, donc à ce qui est le plus contraire à la nature humaine. En effet, si nous sommes tous égaux dans la matière, c'est-à-dire dans les besoins matériels et les lois physiques, cela n'a absolument rien à voir avec notre qualité d'hommes; or celle-ci est notre raison d'être, ou en d'autres termes, elle est ce qui seul nous distingue des animaux. Le matérialisme équivaut donc à une réduction de l'homme à l'animal, et même à l'animal le plus inférieur, puisque celui-ci est le plus collectif; cela explique la haine des matérialistes pour tout ce qui est supra-terrestre, transcendant, spirituel, car c'est précisément par le spirituel que l'homme n'est pas animal. Qui renie le spirituel renie l'humain : la distinction légale et morale entre l'homme et l'animal devient alors purement arbitraire, à la façon d'une tyrannie quelconque; c'est dire que l'homme perd, par son abdication, tous ses droits sur la vie des animaux qui, eux, ont les mêmes droits que l'homme, puisqu'ils ont les mêmes besoins matériels; on peut évidemment faire valoir le droit du plus fort, mais alors il n'est plus question d'égalité, et ce droit vaudra aussi pour les hommes entre eux. Enfin, il est encore une chose dont les matérialistes ne tiennent aucun compte, et c'est le fait que l'homme normal souffre d'être dans la chair : la honte qu'il éprouve de son existence physiologique est un indice suffisant du fait qu'il est, dans la matière, un étranger et un exilé; la transfiguration éventuelle de la chair par la beauté humaine ne change rien aux lois humiliantes de l'existence physique.”

Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse

The Eye of the Heart: Metaphysics, Cosmology, Spiritual Life

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“Mais il est des gens qui croient que la fiction est limitée par la fiction, et non par l'intelligence; c'est-à-dire qu'après avoir feint une chose, et avoir affirmé, par un acte libre de la volonté, l'existence de cette chose, déterminée d'une certaine manière dans la nature, il ne nous est plus possible de la concevoir autrement. Par exemple, après avoir feint (pour parler leur langage) que la nature du corps est telle ou telle, il ne m'est plus permis de feindre une mouche infinie; après avoir feint l'essence de l'âme, il ne m'est plus permis d'en faire un carré, etc.
Cela a besoin d'être examiné. D'abord, ou bien ils nient, ou bien ils accordent que nous pouvons comprendre quelque chose. L'accordent-ils; ce qu'ils disent de la fiction, ils devront nécessairement le dire aussi de l'intelligence. Le nient-ils; voyons donc, nous qui savons que nous savons quelque chose, ce qu'ils disent. Or, voici ce qu'ils disent : l'âme est capable de sentir et de percevoir de plusieurs manières, non pas elle-même, non pas les choses qui existent, mais seulement les choses qui ne sont ni en elle-même ni ailleurs : en un mot, l'âme, par sa seule vertu, peut créer des sensations, des idées, sans rapport avec les choses, à ce point qu'ils la considèrent presque comme un dieu. Ils disent donc que notre âme possède une telle liberté qu'elle a le pouvoir et de nous contraindre et de se contraindre elle-même et de contraindre jusqu'à sa liberté elle-même. En effet, lorsque l'âme a feint quelque chose et qu'elle a donné son assentiment à cette fiction, il ne lui est plus possible de se représenter ou de feindre la même chose d'une manière différente; et en outre, elle se trouve condamnée à se représenter toutes choses de façon qu'elles soient en accord avec la fiction primitive. C'est ainsi que nos adversaires se trouvent obligés par leur propre fiction d'accepter toutes les absurdités qu'on vient d'énumérer, et que nous ne prendrons pas la peine de combattre par des démonstrations.”

Baruch Spinoza (1632–1677) philosophe néerlandais

On the Improvement of the Understanding

“il n'y a pas de grandes ou de petites choses, il n'y a que de grandes ou petites facons de les considérer.”

La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique

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“Les deux exemples suivants témoignent du même état d’esprit : tel croyant demande à Dieu diverses faveurs, non parce qu’il désire les obtenir, mais « pour obéir à l’ordre divin » exprimé par le Koran; comme si Dieu, en ordonnant ou en permettant la prière personnelle, n’avait pas en vue le but de cette prière, et comme si Dieu pouvait apprécier une obéissance dédaigneuse de la raison suffisante de l’acte ordonné ou permis! Dans le cas présent, « ordre » est d’ailleurs un bien grand mot; en réalité, Dieu ne nous ordonne pas d’avoir des besoins ni de lui adresser des demandes, mais il nous invite par miséricorde à lui demander ce qui nous manque; nous pouvons prier pour notre pain quotidien ou pour une guérison comme nous pouvons prier pour des grâces intérieures, mais il n’est pas question de prier pour prier parce que Dieu a ordonné pour ordonner. Le deuxième exemple que nous avons en vue est le suivant : inversement tel autre croyant, partant de l’idée que tout est prédestiné, s’abstient de formuler des prières - malgré « l’ordre divin » cette fois-ci! - car « tout ce qui doit arriver, arrive de toutes façons »; comme si Dieu se donnait la peine d’ordonner, ou de permettre, des attitudes superflues, et comme si la prière n’était pas prédestinée elle aussi! Certes, l’homme est le « serviteur » (abd), et la servitude (ubûdiyah) comporte l’obéissance; mais elle n’est pas de « l’art pour l’art », elle n’est que par ses contenus, d’autant que l’homme est « fait à l’image de Dieu »; l’oublier, c’est vider la notion même de l’homme de toute sa substance.”

Logic and Transcendence

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“Ses peintures sont blondes et lumineuses, d'une pâleur solide. La lumière tombe blanche et large, éclairant les objets d'une façon douce”

Émile Zola (1840–1902) romancier, auteur dramatique, critique artistique et littéraire et journaliste français

Edouard Manet Etude Biographique Et Critique

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“En ce qui concerne les impasses de la théologie — auxquelles les incroyants ont le droit d'être sensibles — nous devons avoir recours à la métaphysique afin d'élucider le fond du problème. Les apparentes "absurdités" qu'impliquent certaines formulations s'expliquent avant tout par la tendance volontariste et simplificatrice inhérente à la piété monothéiste, d'où a priori la réduction des mystères suprêmes — relevant du Principe divin suprapersonnel — au Principe divin personnel. C'est la distinction entre le Sur-Être et l'Être, ou entre la « Divinité » et « Dieu » (Gottheit et Cott) en termes eckhartiens; ou encore, en termes védantins : entre le Brahma « suprême » (Para-Brahtm) et le Brahnia « non-suprême » (Apara-Brahma). Or en théologie sémitique monothéiste, le Dieu personnel n'est pas conçu comme la projection du pur Absolu; au contraire, le pur Absolu est considéré — dans la mesure où on le pressent — comme l'Essence de cet Absolu déjà relatif qu'est le Dieu personnel; c'est toujours celui-ci qui est mis en relief et qui est au centre et au sommet. Il en résulte des difficultés graves au point de vue de la logique des choses, mais « inaperçues » au point de vue de la crainte et de l'amour de Dieu : ainsi, la Toute-Possibilité et la Toute-Puissance appartiennent en réalité au Sur-Être; elles n'appartiennent à l'Être que par participation et d'une façon relative et unilatérale, ce qui décharge le Principe-Être d'une certaine « responsabilité » cosmologique. En parlant, plus haut, d'apparentes « absurdités », nous avions en vue surtout l'idée d'un Dieu à la fois infiniment puissant et infiniment bon qui crée un monde rempli d'imperfections et de calamités, y compris un Enfer éternel; seule la métaphysique peut résoudre ces énigmes que la foi impose au croyant, et qu'il accepte parce qu'il accepte Dieu; non par naïveté, mais grâce à un certain instinct de l'essentiel et du surnaturel. C'est précisément la perte de cet instinct qui a permis au rationalisme d'éclore et de se répandre; la piété s'affaiblissant, l'impiété pouvait s'affirmer. Et si d'une part le monde de la foi comporte incontestablement de la naïveté, d'autre part le monde de la raison manque totalement d'intuition intellectuelle et spirituelle, ce qui est autrement grave; c'est la perte du sacré et la mort de l'esprit. Au lieu de discuter vainement sur ce que Dieu « veut » ou ne « veut pas », les théologiens répondent volontiers, et avec raison, par une fin de non-recevoir : qui es-tu, homme, pour vouloir sonder les motivations de ton Créateur? Dieu est incompréhensible, et incompréhensibles sont ses volontés; ce qui, au point de vue de la mâyâ terrestre, est la stricte vérité, et la seule vérité que l'humanité à laquelle le Message religieux s'adresse, soit capable d'assimiler avec fruit. Assimilation plus morale qu'intellectuelle; on ne prêche pas le platonisme aux pécheurs en danger de perdition, pour lesquels la réalité, c'est le monde « tel qu'il est ».”

The Transfiguration of Man

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“Cet audacieux dont on s'est moqué, a des procédés fort sages, et si ses oeuvres ont un aspect particulier, elles ne le doivent qu'à la façon toute personnelle dont il aperçoit et traduit les objets.”

Émile Zola (1840–1902) romancier, auteur dramatique, critique artistique et littéraire et journaliste français

Edouard Manet Etude Biographique Et Critique

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“Quant à l’oeuvre, les problèmes qu’elle soulève sont plus difficiles encore. En apparence pourtant, quoi de plus simple? Une somme de textes qui peuvent être dénotés par le signe d’un nom propre. Or cette dénotation (même si on laisse de côté les problèmes de l’attribution) n’est pas une fonction homogène : le nom d’un auteur dénote-t-il de la même façon un texte qu’il a lui-même publié sous son nom, un texte qu’il a présenté sous un pseudonyme, un autre qu’on aura retrouvé après sa mort à l’état d’ébauche, un autre encore qui n’est qu’un griffonnage, un carnet de notes, un « papier »? La constitution d’une oeuvre complète ou d’un opus suppose un certain nombre de choix qu’il n’est pas facile de justifier ni même de formuler : suffit-il d’ajouter aux textes publiés par l’auteur ceux qu’il projetait de donner à l’impression, et qui ne sont restés inachevés quer par le fait de la mort? Faut-il intégrer aussi tout ce qui est brouillon, fait de la mort? Faut-il intégrer aussi tout ce qui est brouillon, premier dessein, corrections et ratures des livres? Faut-il ajouter les esquisses abandonnées? Et quel status donner aux lettres, aux notes, aux conversations rapportées, aux propos transcrits par les auditeurs, bref à cet immense fourmillement de traces verbales qu’un individu laisse autour de lui au moment de mourir, et qui parlent dans un entrecroisement indéfini tant de langages différents? En tout cas le nom « Mallarmé » ne se réfère pas de la même façon aux thèmes anglais, aux trauctions d’Edgar Poe, aux poèmes, ou aux réponses à des enquêtes; de même, ce n’est pas le même rapport qui existe entre le nom de Nietzsche d’une part et d’autre par les autobiographies de jeunesse, les dissertations scolaires, les articles philologiques, Zarathoustra, Ecce Homo, les lettres, les dernières cartes postales signées par « Dionysos » ou « Kaiser Nietzsche », les innombrables carnets où s’enchevêtrent les notes de blanchisserie et les projets d’aphorismes. En fait, si on parle si volontiers et sans s’interroger davantage de l’« oeuvre » d’un auteur, c’est qu’on la suppose définie par une certaine fonction d’expression. On admet qu’il doit y avoir un niveau (aussi profond qu’il est nécessaire de l’imaginer) auquel l’oeuvre se révèle, en tous ses fragments, même les plus minuscules et les plus inessentiels, comme l’expression de la pensée, ou de l’expérience, ou de l’imagination, ou de l’inconscient de l’auteur, ou encore des déterminations historiques dans lesquelles il était pris. Mais on voit aussitôt qu’une pareille unité, loin d’être donné immédiatement, est constituée par une opération; que cette opération est interprétative (puisqu’elle déchiffre, dans le texte, la transcription de quelque chose qu’il cache et qu’il manifeste à la fois); qu’enfin l’opération qui détermine l’opus, en son unité, et par conséquent l’oeuvre elle-même ne sera pas la même s’il s’agit de l’auteur du Théâtre et son double ou de l’auteur du Tractatus et donc, qu’ici et là ce n’est pas dans le même sens qu’on parlera d’une « oeuvre ». L’oeuvre ne peut être considérée ni comme unité immédiate, ni comme une unité certaine, ni comme une unité homogène.”

Michel Foucault (1926–1984) philosophe français

The Archaeology of Knowledge & The Discourse on Language

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“Les Tantras, dans cette optique, estiment que le lien du secret, qui s’imposait autrefois pour les doctrines et les pratiques de la « Voie de la Main Gauche » à cause de leur caractère périlleux et de la possibilité d’abus, d’aberrations et de déformations, est périmé.
Le principe fondamental de l’enseignement secret, commun tant aux Tantras hindouistes qu’aux Tantras bouddhiques (ceux-ci définissant essentiellement le Vajrayâna), c’est la nature transformable du poison en remède ou « nectar »; c’est l’emploi, à des fins de libération, des forces mêmes qui ont conduit ou qui peuvent conduire à la chute et à la perdition. Il est précisément affirmé qu’il faut adopter « le poison comme antidote du poison ». Un autre principe tantrique, c’est que « fruition » et « libération » (ou détachement, renoncement) ne s’excluent pas nécessairement, contrairement à ce que pensent les écoles unilatéralement ascétiques. On se propose comme but de réaliser les deux choses à la fois, donc de pouvoir alimenter la passion et le désir tout en restant libre. Un texte avait précisé qu’il s’agit d’une voie « aussi difficile que le fait de marcher sur le fil de l’épée ou de tenir en bride un tigre ».
(…)
De toute façon, à ceux qui penseraient que le tantrisme offre un commode alibi spirituel pour s’abandonner à ses instincts et à ses sens, il faudrait rappeler que tous ces courants supposent une consécration et une initiation préliminaires, le rattachement à une communauté ou chaîne (kula) d’où tirer une force protectrice, dans tous les cas une ascèse sui generis, une disciple énergique de maîtrise de soi chez celui qui entend se livre aux pratiques dont nous allons parler.""
""Métaphysique du sexe"", pp. 303-304”

Eros and the Mysteries of Love: The Metaphysics of Sex

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“Un mot sur la « libre-pensée », ou plus précisément sur l’obligation quasi morale qui est faite à tout homme de « penser par lui-même » : cette exigence n’est nullement conforme à la nature humaine, car l’homme normal et vertueux, en tant que membre d’une collectivité sociale et traditionnelle, se rend compte en général des limites de sa compétence. De deux choses l’une : ou bien l’homme est exceptionnellement doué sur tel ou tel plan, et alors rien ne peut l’empêcher de penser d’une manière originale, ce qu’il fera d’ailleurs en accord avec la tradition — dans les mondes traditionnels qui seuls nous intéressent ici— précisément parce que son intelligence lui permet de saisir la nécessité de cet accord; ou bien l’homme est d’intelligence moyenne ou médiocre, sur un plan quelconque ou d’une façon générale, et alors il s’en remettra aux jugements de ceux qui sont plus compétents que lui, et c’est là dans son cas la chose la plus intelligente à faire. La manie de détacher l’individu de la hiérarchie intellectuelle, c’est-à-dire de l’individualiser intellectuellement, est une violation de sa nature et équivaut pratiquement à l’abolition de l’intelligence, et aussi des vertus sans les quelles l’entendement réel ne saurait s’actualiser pleinement. On n’aboutit ainsi qu’à l’anarchie et à la codification de l’incapacité de penser.”

The Transfiguration of Man

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“D'une façon générale, chaque fois que je m'arrête pour faire le point depuis maintenant sept ans, c'est pour me féliciter d'être contre toute attente devenu un homme heureux. C'est pour m'émerveiller de ce que j'ai déjà accompli, me figurer ce que je vais accomplir encore, me répéter que je suis sur la bonne voie. Une grande partie de mes rêveries suit cette pente - et je m'y abandonne en invoquant la règle fondamentale de la méditation comme de la psychanalyse : consentir à penser ce qu'on pense, à être traversé par ce qui vous traverse. Ne pas se dire : c'est bien, ou c'est mal, mais : cela est, et c'est dans ce qui est que je dois m'établir.
Cependant, une petite voix têtue vient régulièrement troubler ces concerts d'autosatisfaction pharisienne. Cette petite voix dit que les richesses dont je me réjouis, la sagesse dont je me flatte, l'espoir confiant que j'ai d'être sur la bonne voie, c'est tout cela qui empêche l'accomplissement véritable. Je n'arrête pas de gagner, alors que pour gagner vraiment il faudrait perdre. Je suis riche, doué, loué, méritant et conscient de ce mérite : pour tout cela, malheur à moi!
Quand se fait entendre cette petite voix, celles de la psychanalyse et de la méditation essayent de la couvrir : pas de dolorisme, pas de culpabilité mal placée. Ne pas se flageller. Commencer par être bienveillant avec soi-même. Tout cela est plus cool, et me convient mieux. Pourtant je crois que la petite voix de l'Évangile dit vrai. Et comme le jeune homme riche, je m'en vais songeur et triste parce que j'ai de grands biens. (p. 414)”

Le Royaume

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“Le plus passionnant, ce sont les six volumes suivants de l'Histoire des origines du christianisme, où est racontée en détail cette histoire beaucoup moins connue : comment une petite secte juive, fondée par des pêcheurs illettrés, soudée par une croyance saugrenue sur laquelle aucune personne raisonnable n'aurait misé un sesterce, a en moins de trois siècles dévoré de l'intérieur l'Empire romain et, contre toute vraisemblance, perduré jusqu'à nos jours. Et ce qui est passionnant, ce n'est pas seulement l'histoire en soi extraordinaire que Renan raconte, mais l'extraordinaire honnêteté avec laquelle il la raconte, je veux dire sa façon d'expliquer au lecteur comment il fait sa cuisine d'historien : de quelles sources il dispose, comment il les exploite et en vertu de quels présupposés. J'ai sa façon d'écrire l'histoire, non pas ad probandum, comme il dit, mais ad narrandum : pas pour prouver quelque chose, mais simplement pour raconte ce qui s'est passé. J'aime sa bonne foi têtue, le scrupule qu'il met à distinguer le certain du probable, le probable du possible, le possible du douteux, et le calme avec lequel il répond aux plus violents de ses critiques : " Quant aux personnes qui ont besoin, dans l'intérêt de leur croyance, que je sois un ignorant, un esprit faux ou un homme de mauvaise foi, je n'ai pas la prétention de modifier leur opinion. Si ell est nécessaire à leur repos, je m'en voudrais de les désabuser." (p. 176-177)”

Le Royaume

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“En admettant que l’on ait compris ce qu’il y a de sacrilège dans un pareil soulèvement contre la vie, tel qu’il est devenu presque sacro-saint dans la morale chrétienne, on aura, par cela même et heureusement, compris autre chose encore : ce qu’il y a d’inutile, de factice, d’absurde, de mensonger dans un pareil soulèvement. Une condamnation de la vie de la part du vivant n’est finalement que le symptôme d’une espèce de vie déterminée : sans qu’on se demande en aucune façon si c’est à tort ou à raison. Il faudrait prendre position en dehors de la vie et la connaître d’autre part tout aussi bien que quelqu’un qui l’a traversée, que plusieurs et même tous ceux qui y ont passé, pour ne pouvoir que toucher au problème de la valeur de la vie : ce sont là des raisons suffisantes pour comprendre que ce problème est en dehors de notre portée. Si nous parlons de la valeur, nous parlons sous l’inspiration, sous l’optique de la vie : la vie elle-même nous force à déterminer des valeurs, la vie elle-même évolue par notre entremise lorsque nous déterminons des valeurs… Il s’ensuit que toute morale contre nature qui considère Dieu comme l’idée contraire, comme la condamnation de la vie, n’est en réalité qu’une évaluation de vie, — de quelle vie? de quelle espèce de vie? Mais j’ai déjà donné ma réponse : de la vie descendante, affaiblie, fatiguée, condamnée. La morale, telle qu’on l’a entendue jusqu’à maintenant — telle qu’elle a été formulée en dernier lieu par Schopenhauer, comme « négation de la volonté de vivre » — cette morale est l’instinct de décadence même, qui se transforme en impératif : elle dit : « va à ta perte! » — elle est le jugement de ceux qui sont déjà jugés…”

Twilight of the Idols

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“La technique se développe de façon indépendante, en dehors de tout contrôle humain.”

Jacques Ellul (1912–1994) professeur d'histoire du droit, sociologue et théologien protestant français
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