“Le vrai problème, c'est que la langue qu'elle parle nie l'individu en escamotant le style: aucun mémo, aucune note, ne doit trahir son auteur. Chaque texte est poli, afin que le rituel de la langue de bois, propre à chaque firme, soit respecté. Une manière d'écrire collective s'instaure. Que que soit le sujet traité, la matière est broyée par un rouleau compresseur. Elle n'est assumée par aucun locuteur, ne fait que reproduire des paroles déjà prononcées, et ne s'adresse donc pas à vous - pas étonnant qu'elle vous endorme! Elle offre l'exemple unique d'une langue qui a divorcé d'avec la pensée, mais qui n'est pas morte (pas encore) des suites de cette séparation.” Corinne Maier livre Bonjour paresse Bonjour paresse, 2004 problème , pensée , mort , manière
“Au bout de ses bras pendaient des poings massifs et tout velus de poils fauves. Une courte et grosse perruque à rouleaux faisait ressortir, par sa blancheur poudrée, la teinte cramoisie du visage carré où l’on distinguait, dans une masse de chair comme bouillie, de petits yeux vifs, un rien de nez, une toute petite bouche en cul de poule avec une moue qui semblait prête à pondre.” Henri de Régnier (1864–1936) écrivain, romancier et poète français La Double Maîtresse, 1900
“Elle se retrouva la tête sous ses mains à lui, posées sur son crâne comme pour la protéger de ses mauvaises pensées, elle se retrouva le visage écrasé contre son veston qui lui grattait la joue et dont il avait remonté le col parce qu’il s’apprêtait à repartir après avoir rêvé face à la nuit, comme chaque soir, de ce si bel amour qu’il avait du mal à y croire. Alors, changeant brusquement d’idée dans une éblouissante volte-face que lui procura le fait d’avoir la vie sauve, répondant à l’invite de la mer, des nuages et de la pluie, répondant à la provocation de cette eau qu’elle avait encore dans les cheveux jetée d’une cruche en pleine face, elle enserra de ses deux bras son torse à lui, le plaqua à son corps rebelle et le tenant de la sorte collé à elle, vite, bascula sur la lande cet unique et lourd ensemble à deux têtes, ce monstre succombant d’amour fou, ce tortueux serpent à chaleur de volcan, ce roc de chair à deux bandes, ce démon qui dévorant l’offrande, vibrant, tel un rouleau compresseur, s’enroba de boue.” Nadine Ribault (1964) écrivaine française Nouvelles, Matière première, 2013 fous , mer , nuit , idée