“Dans le ciel, où tant de romances s’étaient diluées jadis, un croissant de lune se mouche dans un nuage. Par-dessus le muret de la résidence, on peut voir les lumières de Jérusalem, avec ses minarets et le clocher de ses églises qu’écartèle désormais ce rempart sacrilège, misérable et laid, né de l’inconsistance des hommes et de leurs indécrottables vacheries. Et pourtant, malgré l’affront que lui fait le Mur de toutes les discordes, Jérusalem la défigurée ne se laisse pas abattre. Elle est toujours là, blottie entre la clémence de ses plaines et la rigueur du désert de Judée, puisant sa survivance aux sources de ses vocations éternelles auxquelles ni les rois de naguère ni les charlatans d’aujourd’hui n’auront accédé. Bien que cruellement excédée par les abus des uns et le martyre des autres, elle continue de garder la foi – ce soir plus que jamais. On dirait qu’elle se recueille au milieu de ses cierges, qu’elle recouvre toute la portée de ses prophéties maintenant que les hommes se préparent à dormir. Le silence se veut un havre de paix. La brise crisse dans les feuillages, chargée d’encens et de senteurs cosmiques. Il suffirait de prêter l’oreille pour percevoir le pouls des dieux, de tendre la main pour cueillir leur miséricorde, d’une présence d’esprit pour faire corps avec eux.J’ai beaucoup aimé Jérusalem, adolescent. J’éprouvais le même frisson aussi bien devant le Dôme du Rocher qu’au pied du mur des Lamentations et je ne pouvais demeurer insensible à la quiétude émanant de la basilique du Saint-Sépulcre. Je passais d’un quartier à l’autre comme d’une fable ashkénaze à un conte bédouin, avec un bonheur égal, et je n’avais pas besoin d’être un objecteur de conscience pour retirer ma confiance aux théories des armes et aux prêches virulents. Je n’avais qu’à lever les yeux sur les façades alentour pour m’opposer à tout ce qui pouvait égratigner leur immuable majesté. Aujourd’hui encore, partagée entre un orgasme d’odalisque et sa retenue de sainte, Jérusalem a soif d’ivresse et de soupirants et vit très mal le chahut de ses rejetons, espérant contre vents et marées qu’une éclaircie délivre les mentalités de leur obscur tourment. Tour à tour Olympe et ghetto, égérie et concubine, temple et arène, elle souffre de ne pouvoir inspirer les poètes sans que les passions dégénèrent et, la mort dans l’âme, s’écaille au gré des humeurs comme s’émiettent ses prières dans le blasphème des canons…” Yasmina Khadra (1955) écrivain algérien L’Attentat, 2005 mort , hommes , Dieu , bonheur
“Tout est étrange. Les choses sont immenses et minuscules. Les tiges des fleurs sont épaisses comme des troncs de chêne. Les feuillages sont hauts comme les dômes de vastes cathédrales. Nous sommes des géants couchés ici, capables de faire frémir les forêts.” Virginia Woolf (1882–1941) femme de lettres britannique , 1931 fleur
“Aucune route n'était tracée dans la forêt; mais, avec l'instinct du chasseur et la science du marin, il n'eût qu'à jeter un coup d’œil sur la terre et le ciel pour s'orienter à l'instant; il s'avança donc sans hésitation, comme s'il eût été familier avec ces immenses solitudes; plus il pénétrait dans la forêt, plus elle prenait un caractère grandiose et sauvage. Peu à peu la voûte feuillée s'épaissit au point que le soleil cessa d'y pénétrer; les arbres poussaient rapprochés les uns des autres, droits et élancés comme des colonnes supportant un toit impénétrable à la lumière. Le vent lui-même passait sur ce dôme de verdure, mais sans se glisser dans ce séjour des ombres : on eût dit que, depuis la création, toute cette partie de la forêt avait sommeillé dans un crépuscule éternel.” Alexandre Dumas livre Le Capitaine Pamphile Le Capitaine Pamphile, Alexandre Dumas, Gallimard, Folio Classiques, 2003, 1839, 165, XII Comment le capitaine Pamphile passa deux nuits fort agitées, l'une sur un arbre, l'autre dans une hutte, 978-2-07-042652-2 Le Capitaine Pamphile, 1839 solitude , sommeil , arbre , lumière
“Les premiers monuments funéraires étaient constitués pas des dolmens, des mégalithes et des menhirs, puis apparurent, comme une grande page ouverte en relief, les niches, les autels, les tabernacles, les cuves en granit, les bacs en marbre, les couvercles ouvragés ou lisses, les colonnes doriques, ioniques, corinthiennes, les cariatides, les frises, les acanthes, les entablements et les frontons, les fausses voûtes, les vrais voûtes, et aussi les pans de mur montés avec des briques superposées, les murs cyclopéens, les meurtrières, les rosaces, les gargouilles, les grandes fenêtres, les tympans, les pinacles, les dallages, les arcs-boutants, les piliers, les pilastres, les statues gisantes représentant des hommes en armure avec heaume et épée, les chapiteaux historiés et non historiés, les grenades, les fleurs de lys, les immortelles, les clochers, les dômes” José Saramago (1922–2010) écrivain portugais Tous les noms (Todos os nomes), 1997 fleur , couvercle , hommes
“Le dôme de l'Institut avait une vraie grâce, dut-il convenir un peu malgré lui. Évidemment, donner une forme arrondie à un bâtiment ne pouvait se justifier en aucune manière; sur le plan rationnel, c'était simplement de la place perdue. La modernité était peut-être une erreur, se dit Jed pour la première fois de sa vie. Question purement rhétorique, d'ailleurs: la modernité était terminée en Europe occidentale depuis pas mal de temps déjà.” Michel Houellebecq (1956) écrivain français La Carte et le territoire Question
“Les muqarnas ont un caractère à la fois statique et rythmique, ce qui apparaît plus clairement si l’on compare le rapport dôme/soubassement ou sphère/cube avec son modèle cosmique qui n’est autre que le rapport ciel/terre, le ciel étant caractérisé par son mouvement circulaire indéfini et la terre par son immobilité et par sa polarisation en contrastes tels le chaud et le froid, l’humidité et le sec. L’alvéole des muqarnas reliant la coupole à son soubassement quadrangulaire est alors comme une résonance du mouvement céleste dans l’ordre terrestre. Mais l’immobilité de l’élément cube peut également avoir le sens de l’achèvement, de l’état définitif et intemporel du monde, et ce sens convient mieux à l’architecture d’un sanctuaire. Dans ce cas, l’alvéole des muqarnas exprime une coagulation du mouvement cosmique, sa cristallisation dans le pur.” Titus Burckhardt (1908–1984) Art Of Islam: Language And Meaning Sens
“Les premiers monuments funéraires étaient constitués pas des dolmens, des mégalithes et des menhirs, puis apparurent, comme une grande page ouverte en relief, les niches, les autels, les tabernacles, les cuves en granit, les bacs en marbre, les couvercles ouvragés ou lisses, les colonnes doriques, ioniques, corinthiennes, les cariatides, les frises, les acanthes, les entablements et les frontons, les fausses voûtes, les vrais voûtes, et aussi les pans de mur montés avec des briques superposées, les murs cyclopéens, les meurtrières, les rosaces, les gargouilles, les grandes fenêtres, les tympans, les pinacles, les dallages, les arcs-boutants, les piliers, les pilastres, les statues gisantes représentant des hommes en armure avec heaume et épée, les chapiteaux historiés et non historiés, les grenades, les fleurs de lys, les immortelles, les clochers, les dômes, les statues gisantes représentant des femmes aux seins comprimés, les peintures, les arches, les chiens fidèles couchés, les enfants emmaillotés, les porteuses d’offrandes, les pleureuses voilées, les aiguilles, les nervures, les vitraux, les tribunes, les chaires, les balcons, d’autres tympans, d’autres chapiteaux, d’autres arcs, des anges aux ailes éployées, des anges aux ailes tombantes, des médaillons, des urnes vides ou couronnées de flammes de pierre, ou laissant sortir un crêpe languide, des mélancolies, des larmes, des hommes majestueux, des femmes magnifiques, des enfants adorables fauchés dans la fleur de l’âge, des vieillards qui ne pouvaient plus attendre, des croix entières et des croix brisées, des échelles, des clous, des couronnes d’épines, des lances, des triangles énigmatiques, une insolite colombe marmoréenne, des bandes de pigeons authentiques volant en cercle autour de la nécropole. Et puis le silence. Un silence uniquement brisé de temps en temps par les pas de quelque amant de la solitude, occasionnel et soupirant, qu’une tristesse soudaine arrache aux environs bruyants où l’on entend encore des pleurs au bord d’une tombe et où l’on dépose des bouquets de fleurs fraîches, encore humides de sève, un silence qui traverse pour ainsi dire le cœur même du temps, ces trois mille ans de sépultures de toutes les formes, conceptions et configurations imaginables, unies dans le même abandon et la même solitude car les douleurs qui en sont nées un jour sont trop anciennes pour avoir encore des héritiers..” José Saramago livre Tous les noms Tous les noms (Todos os nomes), 1997 Cœur , femmes , hommes , douleur