“La raison du voyage que nous accomplissions était précisement de s'enfoncer des visions de cauchemar dans la tête afin de faire taire les jérémiades intérieures et de tordre le cou à cette mégère, cette pulsion répugnante qui est le vrai ennemi de l'homme : l'autoapitoiement. Après notre voyage sur le chemin de la Retraire française, lorsque je me trouvais sur des falaises trop raides, en de bivouacs trop froids, j'ai souvent pensé à ces bougres rampant sur la route de glace, emmitouflés dans leurs haillons, nourris de tripe faisandée et j'ai ravalé la glaire des geignements qui me venaient aux lèvres.” Sylvain Tesson livre Berezina Berezina, 2015 pensée , hommes , voyages
“Telle était cette Convention démesurée; camp retranché du genre humain attaqué par toutes les ténèbres à la fois, feux nocturnes d'une armée d'idées assiégées, immense bivouac d'esprits sur un versant d'abîme. Rien dans l'histoire n'est comparable à ce groupe, à la fois sénat et populace, conclave et carrefour, aréopage et place publique, tribunal et accusé.” Victor Hugo livre Quatrevingt-treize Roman, Quatrevingt-treize, 1874 histoire , idée , foi
“L’aube se lève. Telle une prière inutile sur un désert sourd, misérable et nu. Épaves oubliées par une mer volatilisée depuis des millénaires, quelques rochers s’effritent dans la poussière; çà et là, enguirlandés de coloquintes vénéneuses, de maigres bras de broussailles soulignent les berges de jadis sur lesquelles des acacias solitaires se sont crucifiés puis, plus rien – rien de ce que l’on espère entrevoir –, ni caravane providentielle, ni cahute salutaire, pas même la trace d’un bivouac. Le désert est d’une perversité!… C’est un code piégé, le désert, un dédale souverain et fourbe où les témérités courent à leur perte, où les distraits s’évanouissent parmi les mirages plus vite qu’une feinte, où pas un saint patron ne répondrait aux appels du naufragé afin de ne pas se couvrir de ridicule; un territoire d’échec et d’adjuration, un chemin de croix qui n’a de cesse de se ramifier, un envers du décor où l’entêtement se mue en obsession et la foi en folie. Ci-gît la vanité de toute chose en ce monde, semble clamer la nudité des pierres et des perspectives. Car, ici, tout retourne à la poussière, les montagnes taciturnes et les forêts luxuriantes, les paradis perdus comme les empires bâclés, jusqu’au règne claironnant des hommes… Ici, en ces immensités reniées des dieux, viennent abdiquer les tornades et mourir les vents bredouilles à la manière des vagues sur les plages sauvages puisque seule la course inexorable des âges est invincibilité et certitude. Au loin, très loin, là où la terre commence à s’arrondir, l’horizon se tient immobile, piètre et livide, comme si la nuit l’avait tenu en haleine jusqu’au matin…” Yasmina Khadra (1955) écrivain algérien L’équation africaine, 2011 foi , manière , mer , folie