“Marijana prend tous ses pantalons et les emporte chez elle. Elle les rapporte deux jours plus tard. Elle a soigneusement replié les jambes droites qu'elle a cousues. « Je n'ai pas coupé, dit-elle. Vous changez peut-être d'avis et vous portez, vous savez, prothèse. On verra. »Prothèse : elle prononce ce mot comme si c'était de l'allemand. Thèse, antithèse, puis prothèse.” J. M. Coetzee (1940) romancier et professeur en littérature sud-africain L'Homme ralenti , 2005 rapports
“Chaque innovation rendue possible par la technologie était désormais mise en œuvre sur-le-champ, sans qu’on prenne le temps d’en évaluer les implications éthiques, sociales ou économiques. On inséminait des sexagénaires, on clonait à tout-va, on changeait de sexe pour un oui ou pour un non. Le concept de vie privée perdait chaque jour un peu de sa substance : la NSA écoutait nos conversations au nom de la sécurité nationale, Google n’ignorait rien de nos petites laideurs et les maris jaloux lisaient la correspondance de leurs épouses. On greffait des cœurs, on remplaçait les articulations défectueuses par des prothèses en titane, on vaccinait des populations entières contre des maladies rarissimes. Les médias saluaient avec une unanime béatitude l’allongement de l’espérance de vie, prédisant pour bientôt l’avènement de l’immortalité pure et simple. Tout cela allait trop vite pour Frank : Américains, Russes, Chinois, personne n’avait de plan, l’humanité fonçait à sa perte tel un pilote déchaîné aux commandes d’un bolide dont chaque nouvelle technologie débridait un peu plus le moteur.” Antoine Bello livre Ada Ada, 2016 perte , temps , vie , personnes
“Que se passerait-il si je faisais encore l'amour avec Adrien? Il enlèverait ses prothèses dentaires et ne pourrait plus me mordre. J'enlèverais mes prothèses auditives et ne pourrais plus entendre ses mots d'amour (si on les garde, ça siffle quand on vous prend la tête entre les mains […]), nous pousserions de petits gloussements que l'autre prendrait pour des cris d'extase alors qu'ils traduiraient une sciatique, une crampe ou quelque difficulté à faire progresser un outil périmé dans un conduit désaffecté. Je lui crierais : « Mais tu m'as mis quelque chose de rouillé, Adrien! Ôte-moi ça, s'il te plaît! »” Benoîte Groult livre La Touche étoile La Touche étoile, Benoîte Groult, Le Livre de Poche, 2006, 29 La Touche étoile cri , amour