“Le soir, je me promène dans le triste quartier, je passe le canal Saint-Martin noir comme une fosse, merveilleusement propice à des noyades. Je m'arrête au coin de la rue Alibert. Pourquoi Alibert? Qui est-ce? Est-ce que le graphite trouvée par le chimiste dans mon soufre ne se nommait pas le graphite Alibert? Que conclure de là? Bizarre, mais l'impression d'une chose inexplicable me reste à l'esprit. Puis rue Dieu. Pourquoi Dieu, alors qu'il est aboli par la République qui a désaffecté le Panthéon? — Rue Beaurepaire. Le beau repaire de malfaiteurs… Rue de Bondy. Est-ce le démon qui me guide?… Je cesse de lire les écriteaux, je m'égare et retourne sur mes pas sans retrouver mon chemin. Je recule devant un hangar colossal qui pue la viande crue et les légumes infectes, la choucroute surtout… Des individus suspects me frôlent, lançants des mots grossiers… j'ai peur de l'inconnu : je tourne à droite, puis à gauche, et tombe dans une ruelle sordide fermée en cul-de-sac où les ordures, les vices et le crime paraissent loger. Des filles me barrent le chemin, des voyous me huent… Voe soli! Qui donc me prépare ces guets-apens, sitôt que je me détache du monde et des hommes? Il y a quelqu'un qui m'a fait tomber dans ce piège! Où est-il? que je lutte avec lui!…” August Strindberg livre Inferno Inferno, 1897 fille , hommes , Dieu , monde
“Alors elle prit un ton agressif comme pour me signifier que mon éventuelle noyade ne serait pas à lui imputer à elle, qui avait fait tout ce qu'il fallait pour l'éviter, mais entièrement à mon manque de mémoire.” Elena Ferrante livre L'Amie prodigieuse My Brilliant Friend
“Ces professeurs, rencontrés dans les dernières années de ma scolarité, me changèrent beaucoup de tous ceux qui réduisaient leurs élèves à une masse commune et sans consistance, « cette classe », dont ils ne parlaient qu'au superlatif d'infériorité. Aux yeux de ceux-là nous étions toujours lap lus mauvaise quatrième, troisième, seconde, première ou terminale de leur carrière, ils n'avaient jamais eu de classe mois… si… On eût dit qu'ils s'adressaient d'année en année à un public de moins en moins digne de leur enseignement. Ils s'en plaignaient à la direction, aux conseils de classes, aux réunions de parents. Leurs jérémiades éveillaient en nous une férocité particulière, quelque chose comme la rage que mettrait le naufragé à entraîner dans sa noyade le capitaine pleutre qui a laissé le bateau s'empaler sur le récif. (Oui, enfin, c'est une image… Disons qu'ils étaient surtout nos coupables idéaux comme nous étions les leurs; leur dépression routinière entretenait chez nous une méchanceté de confort.) (p. 262-263)” Daniel Pennac livre Chagrin d'école Chagrin d'école