“Des pâtés de maisons entiers ont été rasés par les tanks et les bulldozers, sinon soufflés à la dynamite. À leur place s’articulent d’effroyables terrains vagues boursouflés de tas d’éboulis et de ferraille arthritique où des colonies de rats ont déployé leur camp en attendant de consolider leur empire. Les rangées de ruines racontent encore les rues d’autrefois réduites au silence en dressant leurs façades estropiées à la face du monde, les graffitis plus incisifs que les lézardes. Et partout, au détour des détritus, au milieu des carcasses de voitures broyées par les chars, parmi les palissades criblées de mitraille, sur les squares en souffrance – partout, le sentiment de revivre des horreurs que l’on croyait abolies avec, en prime, la quasi-certitude que les vieux démons sont devenus tellement attachants qu’aucun possédé ne voudrait s’en défaire.” Yasmina Khadra (1955) écrivain algérien L’Attentat, 2005 silence , monde , voiture , sentiment
“La Giralda fit entendre douze coups, frappés sur un airain si haut placé et dans un air si mince que les ondes se propagèrent jusqu'au fleuve; ils retentissaient sur deux tons, comme un battement et sa riposte, de sorte que ce minuit ressembla au ferraillement de deux épées.” Paul Morand (1888–1976) écrivain, diplomate et académicien français Le flagellant de Séville, 1951 sortie , sort
“L'acte de penser l'intéressait maintenant plus que les douteux produits de la pensée elle-même. (…) Toute sa vie, il s'était ébahi de cette faculté qu'ont les idées de s'agglomérer froidement comme des cristaux en d'étranges figures vaines, de croître comme des tumeurs dévorant la chair qui les a conçues, ou encore d'assumer monstrueusement certains linéaments de la personne humaine, comme ces masses inertes dont accouchent certaines femmes, et qui ne sont en somme que de la matière qui rêve. (…) D'autres notions, plus propres et plus nettes, forgées comme par un maître ouvrier, étaient de ces objets qui font illusion à distance; on ne se lassait pas d'admirer leurs angles et leurs parallèles; elles n'étaient néanmoins que les barreaux dans lesquels l'entendement s'enferme lui-même, et la rouille du faux mangeait déjà ces abstraites ferrailles. (…) Les notions mouraient comme les hommes: il avait vu au cours d'un demi-siècle plusieurs générations d'idées tomber en poussière.(L'abîme)” Marguerite Yourcenar livre L'Œuvre au noir L'Œuvre au noir
“Au loin, dans le hall des pas perdus, les gens se croisaient, filaient, s’arrêtaient, levaient la tête vers les panneaux afficheurs, se remettaient en mouvement vers le quai n° 5 ou n° 8, tiraient leur valise, un chien ou un enfant fatigué, trop tôt sorti du lit, tous, lèvres closes, donnant l’illusion, pris sous cette cloche de verre et de ferraille, d’appartenir à une masse bruyante comme si l’idée même de quantité s’associait à celle de halètement venu d’une peine incommensurable.” Nadine Ribault (1964) écrivaine française Nouvelles, Cœur anxieux, 2004 chiens , chienne , idée , enfants