“La culture, depuis peu, s'écrit avec un « C » majuscule — ce n'est pas bon signe — on parle de Culture et Communication — on pense Culture et Propagande. La culture est devenue un grand mot et une préoccupation médiocre. Quand j'entends parler de culture, je sors mon carnet de chèques. Disons d'abord — ce sera plus court — ce que la culture n'est pas. Elle n'est pas un devoir. Elle n'est pas une obligation. Elle n'est pas un dîner de gala. Elle n'a rien à voir avec le gouvernement. Elle serait plus proche d'une façon d'être, d'un coup de foudre, d'une fête toujours inachevée du bonheur — ou peut-être de joie. Elle est une longue patience et une tâche infinie — comme l'amour chez Proust, elle est l'espace et le temps rendus sensibles au cœur. Elle est plus orgueilleuse et plus modeste que tout ce que l'on pourrait imaginer.” Jean d'Ormesson (1925–2017) écrivain, chroniqueur, éditorialiste, acteur et philosophe français Presse communication , temps , patience , pensée
“La méthode du carnet de notes est hautement recommandable. On y inscrit toute phrase, toute expression. On s'enrichit à l'épargne des vérités de quatre sous.” Georg Christoph Lichtenberg (1742–1799) écrivain et physicien allemand Aphorismes vérité
“Je sais aussi que quand votre fils de cinq mois se réveille à deux heures du matin et pleure avec persistance sans raison apparente vous ne l'aimez pas beaucoup à ce moment-là. Soyez tranquille, il a une raison pour pleurer, même si vous ne la découvrez pas immédiatement. Si vous êtes irrité, tâchez de ne pas le montrer. La voix d'un homme est plus terrifiante pour un enfant que celle d'une femme et vous ne savez pas quelle peur permanente vous pouvez laisser s'infiltrer dans un bébé un criant très fort au mauvais moment."Ne prenez pas le bébé dans votre lit", dit le manuel d'instructions aux parents. Oubliez-le. Donnez à votre bébé autant de baisers et de caresses que vous pouvez.Ne vous servez pas de vos enfants pour vous enorgueillir. Soyez aussi prudent pour louer que pour blâmer. C'est mauvais de chanter les louanges d'un enfant en sa présence. Oui, bien sûr, Mary travaille très bien. Première de sa classe ce mois-ci. C'est une enfant intelligente. Non pas que vous ne devez pas faire d'éloges à votre enfant. Il est bon de dire à votre fils : "C'est un bien joli cerf-volant que tu as fait là", mais les éloges au service des autres sont inutiles. Les jeunes oies dressent le cou aussi bien que les cygnes quand on les admire. Par contre, si votre enfant ne réussit pas ce qu'il fait, n'enfoncez pas le couteau dans la plaie. Même si le carnet de notes n'est pas bon, ne dites rien. Et si Billy rentre en pleurant parce qu'il a été vaincu dans une bataille avec les copains, ne lui dites pas qu'il est une mauviette.Si jamais vous dites "Quand j'avais ton âge…" vous faites une grande erreur. En somme, acceptez votre enfant tel qu'il est et retenez-vous d'essayer de le faire vous ressembler.Ma devise pour la maison, en toute circonstance, c'est Pour l'amour du ciel, laissez les gens vivre leur vie. C'est une attitude qui sied à toutes les situations.C'est la seule attitude qui encourage la tolérance. On apprend aux enfants à être tolérants en leur montrant de la tolérance. (p. 168-169)” Alexander Sutherland Neill livre Libres enfants de Summerhill Summerhill: A Radical Approach to Child Rearing
“L'amour se fait sans capote. Le sida est là, pourtant. On lui donne même sa véritable identité, désormais. On ne l'appelle plus le cancer gay. Il est là mais nous nous pensons à l'abri de lui, nous ne savons rien de la grande décimation qui va suivre, qui nous privera de nos meilleurs amis, de nos anciens amants, qui nous obligera à nous réunir dans des cimetières, à rayer des noms dans nos carnets d'adresses, qui nous fera enrager de tant d'absences. Il est là mais il ne nous fait pas encore peur. Et puis nous nous croyons protégés par notre extrême jeunesse. Nous avons dix-sept ans. On ne meurt pas quand on a dix-sept ans.” Philippe Besson (1967) écrivain français « Arrête avec tes mensonges »
“L'année 1936, dans ses Carnets, Camus écrit à propos d'une conversation qu'il eut avec son ancien professeur de philosophie, Jean Grenier, à propos du communisme: "Toute la question est celle-ci: pour un idéal de justice, faut-il souscrire à des sottises? On peut répondre oui: c'est beau. Non: c'est honnête". De 1935 à 1937, l'auteur de Noces a choisi la beauté; ensuite, et jusqu'à la fin de sa brève existence en janvier 1960, le philosophe de L'Homme révolté a opté pour l'honnêteté - ce qui, somme toute, ne manquait pas de beauté.” Michel Onfray (1959) philosophe français L'ordre libertaire: la vie philosophique d'Albert Camus
“Quant à l’oeuvre, les problèmes qu’elle soulève sont plus difficiles encore. En apparence pourtant, quoi de plus simple? Une somme de textes qui peuvent être dénotés par le signe d’un nom propre. Or cette dénotation (même si on laisse de côté les problèmes de l’attribution) n’est pas une fonction homogène : le nom d’un auteur dénote-t-il de la même façon un texte qu’il a lui-même publié sous son nom, un texte qu’il a présenté sous un pseudonyme, un autre qu’on aura retrouvé après sa mort à l’état d’ébauche, un autre encore qui n’est qu’un griffonnage, un carnet de notes, un « papier »? La constitution d’une oeuvre complète ou d’un opus suppose un certain nombre de choix qu’il n’est pas facile de justifier ni même de formuler : suffit-il d’ajouter aux textes publiés par l’auteur ceux qu’il projetait de donner à l’impression, et qui ne sont restés inachevés quer par le fait de la mort? Faut-il intégrer aussi tout ce qui est brouillon, fait de la mort? Faut-il intégrer aussi tout ce qui est brouillon, premier dessein, corrections et ratures des livres? Faut-il ajouter les esquisses abandonnées? Et quel status donner aux lettres, aux notes, aux conversations rapportées, aux propos transcrits par les auditeurs, bref à cet immense fourmillement de traces verbales qu’un individu laisse autour de lui au moment de mourir, et qui parlent dans un entrecroisement indéfini tant de langages différents? En tout cas le nom « Mallarmé » ne se réfère pas de la même façon aux thèmes anglais, aux trauctions d’Edgar Poe, aux poèmes, ou aux réponses à des enquêtes; de même, ce n’est pas le même rapport qui existe entre le nom de Nietzsche d’une part et d’autre par les autobiographies de jeunesse, les dissertations scolaires, les articles philologiques, Zarathoustra, Ecce Homo, les lettres, les dernières cartes postales signées par « Dionysos » ou « Kaiser Nietzsche », les innombrables carnets où s’enchevêtrent les notes de blanchisserie et les projets d’aphorismes. En fait, si on parle si volontiers et sans s’interroger davantage de l’« oeuvre » d’un auteur, c’est qu’on la suppose définie par une certaine fonction d’expression. On admet qu’il doit y avoir un niveau (aussi profond qu’il est nécessaire de l’imaginer) auquel l’oeuvre se révèle, en tous ses fragments, même les plus minuscules et les plus inessentiels, comme l’expression de la pensée, ou de l’expérience, ou de l’imagination, ou de l’inconscient de l’auteur, ou encore des déterminations historiques dans lesquelles il était pris. Mais on voit aussitôt qu’une pareille unité, loin d’être donné immédiatement, est constituée par une opération; que cette opération est interprétative (puisqu’elle déchiffre, dans le texte, la transcription de quelque chose qu’il cache et qu’il manifeste à la fois); qu’enfin l’opération qui détermine l’opus, en son unité, et par conséquent l’oeuvre elle-même ne sera pas la même s’il s’agit de l’auteur du Théâtre et son double ou de l’auteur du Tractatus et donc, qu’ici et là ce n’est pas dans le même sens qu’on parlera d’une « oeuvre ». L’oeuvre ne peut être considérée ni comme unité immédiate, ni comme une unité certaine, ni comme une unité homogène.” Michel Foucault (1926–1984) philosophe français The Archaeology of Knowledge & The Discourse on Language Loin
“Face à la mer, l’air me paraît toujours plus respirable. Depuis que j’avais écrit mes précédents carnets, les êtres d’exception qu’avaient été, à mes yeux, Leonora Carrington, Radovan Ivsic, Jorge Camacho, Jaime Semprun, Dorothea Tanning étaient morts, dans une indifférence presque totale. Il y avait eu l’accident nucléaire de Fukushima et le quotidien désastreux de ce monde. Yasukuni Uwabe, Tomoyuki Furusawa et Yasutoshi Masuda avaient été pendus, à Tôkyô, Hiroshima et Fukuoka. On avait établi des lois pour interdire aux hommes de tuer des hommes et quand un homme tuait un homme, avec un sens de la logique confondant, on le tuait et s’en lavait les mains. Dans la nuit, l’immonde frelon apocalyptique de l’extrémisme de droite rôdait, réunissant ses forces. L’Europe entière retournait à ses mensonges et à sa puanteur esclavagiste.” Nadine Ribault (1964) écrivaine française Carnets, Carnets de la Côte d’Opale – L’infini arrive pieds nus sur cette terre, Point d’Appui 4, 2016 loi , mer , Sens , nuit