“Que l'invention du montage puisse être l'objet d'entreprises perverses ou folles, dont témoigne la violence religieuse et politique dans l'humanité, cela ne change rien au fond de l'affaire : l'organisation de tout système normatif passe par la fabrique d'une métaphore de base, dont relève l'effet normatif qu'en occident nous appelons le Droit. Or cette fabrique ne peut être qu'un lieu de discours, aujourd'hui multiples et entrecroisés, qui énoncent ce à quoi il est licite de croire. La Science et la Démocratie n'échappent pas à ce mécanisme social de la représentation. Dans cette perspective je dirai : tout discours qui contribue à la représentation de la causalité contribue à fabriquer la métaphore de base; à ce titre, il prend statut dogmatique, comme producteur symbolique - producteur du lien à la Référence. D'emblée se trouve posée, mais d'un point de vue bien différent de celui qui retenait Max Weber, le problème de la non-séparation contemporaine de la Science et du Politique.”

Leçons VI Les enfants du Texte. Étude sur la fonction parentale des États

Adopté de Wikiquote. Dernière mise à jour 21 mai 2020. L'histoire

Citations similaires

“(…) dogmatique est le discours occupant la place mythique de la vérité et, de ce fait, servant de fondement aux images identificatoires, pour la société en tant que telle et pour tout sujet ressortissant de cette représentation. Or, de nos jours, le discours dogmatique capable d’accueillir la croyance aux images et de fonder la représentation ne peut être mis en scène, si j’ose ainsi m’exprimer, que sous le chapeau de la Science et coiffé par la Démocratie gestionnaire, ou par tout autre signifiant socialement emblématique, c'est-à-dire politiquement plausible. Le Droit est donc refoulé dans la culture, essentiellement parce que la Science lui a ravi, au cours de l’histoire du système normatif européen, la place mythique, le Science ayant pris statut de fondement des lois, à l’instar du divin, avec lequel le Droit civil, nous le verrons plus loin, est directement lié. On observera que l’idée même de dogmaticité fait horreur aujourd'hui et à bon escient, car le présupposé d’après lequel l’objet-Science échappe au statut dogmatique du discours des images (le Droit lui-même cessant d’être pensé comme dogmatique) est nécessaire au montage social d’idéalisation normative de la Science, comme il est nécessaire que le Droit soit présenté, non comme manœuvre fondatrice du vivant (auquel cas la Science en tant qu’idéal religieux s’en trouverait détrônée) –du vivant parlant, c'est-à-dire du sujet-, mais comme anecdote sociale et simple technique de régulation gestionnaire. À voir la panique qui saisit juristes et psys à la perspective de parler dogmes, au sens que mes travaux donnent à ce terme, on ne s’étonne pas de cette nouvelle peur de penser : la crainte de trahir la Science paralyse la réflexion sur les montages institutionnels, dès lors qu’une telle réflexion touche au rite moderne d’entrée dans la légalité, c'est-à-dire au fin fond de ce qui nous porte hors de l’abîme indicible, nos représentations de l’Au nom de, l’inaugural que j’appelle aussi discours de la Référence, tout aussi divin aujourd'hui que l’ancien, en ce qu’il est lui aussi intouchable et sacré.”

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“Un mythe cesse d’opérer c'est-à-dire de produire ses effets normatifs, s’il se sait être un mythe.”

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“La science fabrique de l'idéologie, c'est même son principal déchet (…)”

Tobie Nathan (1948) psychologue, professeur d'université et écrivain français

français
613 (1993)

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“Avec quoi fabrique-t-on le papier? Le plus souvent avec du bois.”

Odile Limousin (1945) écrivain français

L'Histoire de la feuille de papier (1984)

“Croire au progrès technique sur fond de conviction scientiste, dès le dernier tiers du [XIX], c'était croire au progrès de l'espèce humaine. C'était plus précisément croire que le progrès technique allait assurer le plus grand progrès possible de l'humanité vers la liberté et le bonheur. Il faut en effet tenir compte d'un clivage dans le champs des fins du progrès explicitement conceptualisées par les penseurs progressistes : d'une part, les finalités de l'ordre de la liberté, de la libération ou de l'émancipation (dont la condition nécessaire est le progrès du savoir); d'autre part, les finalités d'un tout autre ordre, résumable par le mot « bonheur », dont les conditions de possibilité (sécurité dans la paix et pleine satisfaction des besoins, d'où bien-être, plaisir, etc.) sont imaginées comme des effets de la maîtrise rationnelle ou théorico-pratique (par la science et la technique) de la nature (d'où l'éloge saint-simonien de l'exploitation sans limite de la terre), mais aussi de la société, d'où le souci commun à Saint-Simon, à Comte, à Renan et à Marx, de l'organisation et de la réorganisation de l'ordre social. L'humanité cesse d'être conçue « à l'image de Dieu », elle devient Dieu lui-même, elle s'y substitue en un sens, pour devenir le sujet de l'histoire universelle, dont le « progrès » est le moteur.”

Pierre-André Taguieff (1946) philosophe et politologue français

Essais, Les Contre-réactionnaires, 2007

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