Michel Foucault: Tout (Page 2)

Michel Foucault était philosophe français. Explorez des citations intéressantes sur tout.
Michel Foucault: 192   citations 1   J'aime

“L'exclusion de la lèpre, c'était une pratique sociale qui comportait d'abord un partage rigoureux, une mise à distance, une règle de non-contact entre un individu (ou un groupe d'individus) et un autre. C'était, d'autre part, le rejet de ces individus dans un monde extérieur, confus, au-delà des murs de la ville, au-delà des limites de la communauté. Constitution, par conséquent, de deux masses étrangères l'une à l'autre. Et celle qui était rejetée, était rejetée au sens strict dans les ténèbres extérieures. Enfin, troisièmement, cette exclusion du lépreux impliquait la disqualification — peut-être pas exactement morale, mais en tout cas juridique et politique — des individus ainsi exclus et chassés. Ils entraient dans la mort, et vous savez que l'exclusion du lépreux s'accompagnait régulièrement d'une sorte de cérémonie funèbre, au cours de laquelle on déclarait morts (et, par conséquent, leurs biens transmissibles) les individus qui étaient déclarés lépreux, et qui allaient partir vers ce monde extérieur et étranger. Bref, c'était en effet des pratiques d'exclusion, des pratiques de rejet, des pratiques de « marginalisation », comme nous dirions maintenant. Or, c'est sous cette forme-là qu'on décrit, et je crois encore actuellement, la manière dont le pouvoir s'exerce sur les fous, sur les malades, sur les criminels, sur les déviants, sur les enfants, sur les pauvres.”

Les Anormaux — Cours au Collège de France, 1974-1975, Cours du 15 janvier 1975

“Il y aurait hypocrisie ou naïveté à croire que la loi est faite pour tout le monde au nom de tout le monde; […] il est plus prudent de reconnaître qu'elle est faite pour quelques-uns et qu'elle porte sur d'autres; qu'en principe elle oblige tous les citoyens, mais qu'elle s'adresse principalement aux classes les plus nombreuses et les moins éclairées”

Variante: Il y aurait hypocrisie ou naïveté à croire que la loi est faite pour tout le monde au nom de tout le monde; qu'il est plus prudent de reconnaître qu'elle est faite pour quelques-uns et qu'elle porte sur d'autres; qu'en principe elle oblige tous les citoyens, mais qu'elle s'adresse principalement aux classes les plus nombreuses et les moins éclairées

“Quant à l’oeuvre, les problèmes qu’elle soulève sont plus difficiles encore. En apparence pourtant, quoi de plus simple? Une somme de textes qui peuvent être dénotés par le signe d’un nom propre. Or cette dénotation (même si on laisse de côté les problèmes de l’attribution) n’est pas une fonction homogène : le nom d’un auteur dénote-t-il de la même façon un texte qu’il a lui-même publié sous son nom, un texte qu’il a présenté sous un pseudonyme, un autre qu’on aura retrouvé après sa mort à l’état d’ébauche, un autre encore qui n’est qu’un griffonnage, un carnet de notes, un « papier »? La constitution d’une oeuvre complète ou d’un opus suppose un certain nombre de choix qu’il n’est pas facile de justifier ni même de formuler : suffit-il d’ajouter aux textes publiés par l’auteur ceux qu’il projetait de donner à l’impression, et qui ne sont restés inachevés quer par le fait de la mort? Faut-il intégrer aussi tout ce qui est brouillon, fait de la mort? Faut-il intégrer aussi tout ce qui est brouillon, premier dessein, corrections et ratures des livres? Faut-il ajouter les esquisses abandonnées? Et quel status donner aux lettres, aux notes, aux conversations rapportées, aux propos transcrits par les auditeurs, bref à cet immense fourmillement de traces verbales qu’un individu laisse autour de lui au moment de mourir, et qui parlent dans un entrecroisement indéfini tant de langages différents? En tout cas le nom « Mallarmé » ne se réfère pas de la même façon aux thèmes anglais, aux trauctions d’Edgar Poe, aux poèmes, ou aux réponses à des enquêtes; de même, ce n’est pas le même rapport qui existe entre le nom de Nietzsche d’une part et d’autre par les autobiographies de jeunesse, les dissertations scolaires, les articles philologiques, Zarathoustra, Ecce Homo, les lettres, les dernières cartes postales signées par « Dionysos » ou « Kaiser Nietzsche », les innombrables carnets où s’enchevêtrent les notes de blanchisserie et les projets d’aphorismes. En fait, si on parle si volontiers et sans s’interroger davantage de l’« oeuvre » d’un auteur, c’est qu’on la suppose définie par une certaine fonction d’expression. On admet qu’il doit y avoir un niveau (aussi profond qu’il est nécessaire de l’imaginer) auquel l’oeuvre se révèle, en tous ses fragments, même les plus minuscules et les plus inessentiels, comme l’expression de la pensée, ou de l’expérience, ou de l’imagination, ou de l’inconscient de l’auteur, ou encore des déterminations historiques dans lesquelles il était pris. Mais on voit aussitôt qu’une pareille unité, loin d’être donné immédiatement, est constituée par une opération; que cette opération est interprétative (puisqu’elle déchiffre, dans le texte, la transcription de quelque chose qu’il cache et qu’il manifeste à la fois); qu’enfin l’opération qui détermine l’opus, en son unité, et par conséquent l’oeuvre elle-même ne sera pas la même s’il s’agit de l’auteur du Théâtre et son double ou de l’auteur du Tractatus et donc, qu’ici et là ce n’est pas dans le même sens qu’on parlera d’une « oeuvre ». L’oeuvre ne peut être considérée ni comme unité immédiate, ni comme une unité certaine, ni comme une unité homogène.”

The Archaeology of Knowledge & The Discourse on Language