“Lorsque j’essaye de faire revivre dans ma pensée ces grandioses édifices, lorsque je vois ces portiques aux colonnes de marbre ou de porphyre poli, ces taureaux bicéphales dont les cornes, les pieds, les yeux et les colliers devaient être revêtus d’une mince feuille d’or, les poutres et les solives de cèdre de l’entablement et des plafonds, les mosaïques de briques semblables à de lourdes dentelles jetées en revêtement sur les murs, ces corniches couvertes de plaques d’émaux bleu turquoise que termine un trait de lumière accroché à l’arête saillante des larmiers d’or et d’argent; lorsque je considère les draperies suspendues au devant des portes, les fines découpures des moucharabiés, les épaisses couches de tapis jetées sur les dallages, je me demande parfois si les monuments religieux de l’Égypte, si les temples de la Grèce eux-mêmes devaient produire sur l’imagination du visiteur une impression aussi saisissante que les palais du grand roi.” Marcel Dieulafoy (1844–1920) Issu de L'Art antique de la Perse de Marcel Dieulafoy. Citation lumière , pensée , argent
“À cette heure, édifié par les subtils génies du Feu, un temple nouveau s’élevait là même où, dans le crépuscule, on avait cru voir un neptunien palais d’argent dont l’architecture imitait les torsions des conques marines. C’était, agrandi, un de ces labyrinthes construits sur le fer des landiers, demeures aux cent portes habitées par les présages ambigus; un de ces fragiles châteaux vermeils aux mille fenêtres, où se montrent un moment les princesses salamandres qui rient voluptueusement au poète charmé. Rose comme une lune naissante rayonnait sur la triple loggia la sphère de la Fortune, supportée par les épaules des Atlantes; et ses reflets engendraient un cycle de satellites. Du quai des Esclavons, de la Giudecca, de San Giorgio, avec un crépitement continu, des faisceaux de tiges enflammées convergeaient au zénith et s’y épanouissaient en roses, en lis, en palmes, formant un jardin aérien qui se détruisait et se renouvelait sans cesse par des floraisons de plus en plus riches et étranges. C’était une rapide succession de printemps et d’automnes à travers l’empyrée. Une immense pluie scintillante de pétales et de feuillages tombait des dissolutions célestes et enveloppait toutes choses d’un tremblement d’or. Au loin, vers la lagune, par les déchirures ouvertes dans cet or mobile, on voyait s’avancer une flotte pavoisée : une escadre de galères semblables peut-être à celles qui naviguent dans le rêve du luxurieux dormant son dernier sommeil sur un lit imprégné de parfums mortels. Comme celles-là peut-être, elles avaient des cordages composés avec les chevelures tordues des esclaves capturées dans les villes conquises, ruisselants encore d’une huile suave; comme celles-là, elles avaient leurs cales chargées de myrrhe, de nard, de benjoin, d’éléomiel, de cinnamome, de tous les aromates, et de santal, de cèdre, de térébinthe, de tous les bois odoriférants accumulés en plusieurs couches. Les indescriptibles couleurs des flammes dont elles apparaissaient pavoisées évoquaient les parfums et les épices. Bleues, vertes, glauques, safranées, violacées, de nuances indistinctes, ces flammes semblaient jaillir d’un incendie intérieur et se colorer de volatilisations inconnues. Ainsi sans doute flamboyèrent, dans les antiques fureurs du saccage, les profonds réservoirs d’essences qui servaient à macérer les épouses des princes syriens. Telle maintenant, sur l’eau parsemée des matières en fusion qui gémissaient le long des carènes, la flotte magnifique et perdue s’avançait vers le bassin, lentement, comme si des rêves ivres eussent été ses pilotes et qu’ils l’eussent conduite se consumer en face du Lion stylite, gigantesque bûcher votif dont l’âme de Venise resterait parfumée et stupéfiée pour l’éternité.” Gabriele d'Annunzio livre Le Feu Romans, Le Feu, 1900 argent , rêves , couleur , âme
“Des gazelles bondissent et pâturent sur les montagnes. Des lacs proches. Au bord des lacs, les ombres noires à la file des plantations de cèdres. Un arome s'exhale, une véhémente chevelure de résine. L'orient se consume, le ciel de saphir est barré par le vol de bronze des aigles. Sous lui s'étend la femmecité, nudité, blancheur, luxe, fraîcheur, calme et volupté. Une fontaine murmure parmi les roses de Damas. Des roses géantes murmurent de vignes pourpres. Un vin de honte, de luxure et de sang filtre avec un murmure étrange.” James Joyce livre Ulysse Ulysse, 1922 montagne , vin , fille , vol