“Notre entreprise inspirait de l'intérêt, et aussi de la curiosité à l'égard du petit pavillon tricolore qui flottait à l'arrière de nos canots. Dans nombre de ces bourgades du bord de l'eau, en cet immédiat après-guerre, on n'avait jamais vu de « Français de France », ni lorsque nous fûmes aux États-Unis, entendu parler leur langue. Nous représentions une sorte de préhistoire, ce qui fut et qui n'est plus : l'Amérique française. Nous étions quelque chose comme des explorateurs posthumes, des découvreurs d'un monde disparu venus l'espace d'un court moment réveiller de très anciens souvenirs et aussitôt les emportant avec eux dans le sillage de leurs canots.” Jean Raspail livre En canot sur les chemins d'eau du roi En canot sur les chemins d'eau du roi, 2005 sortie , eau , sort , guerre
“Mais qu’un marchand de chameaux excite une sédition dans sa bourgade; qu’associé à quelques malheureux coracites il leur persuade qu’il s’entretient avec l’ange Gabriel; qu’il se vante d’avoir été ravi au ciel, et d’y avoir reçu une partie de ce livre inintelligible qui fait frémir le sens commun à chaque page; que, pour faire respecter ce livre, il porte dans sa patrie le fer et la flamme; qu’il égorge les pères, qu’il ravisse les filles, qu’il donne aux vaincus le choix de sa religion ou de la mort, c’est assurément ce que nul homme ne peut excuser, à moins qu’il ne soit né Turc, et que la superstition n’étouffe en lui toute lumière naturelle.” Voltaire (1694–1778) écrivain et philosophe français religion , ange , Sens , lumière
“Mon cœur se contracte au spectacle qui s’offre à moi… Janin… C’était la grande cité de mon enfance. Les terres tribales se trouvant à une trentaine de kilomètres de là, j’accompagnais souvent mon père quand il se rendait en ville proposer ses toiles à de louches marchands d’art. À cette époque, Janin me paraissait aussi mystérieuse que Babylone, et j’aimais à prendre ses nattes pour des tapis volants. Puis, lorsque la puberté me rendit plus attentif au déhanchement des femmes, j’appris à m’y rendre seul comme un grand. Janin, c’était la ville rêvée des anges délurés, avec ses petites manières de grosse bourgade singeant les grandes villes, sa cohue incessante qui rappelle le souk un jour de ramadan, ses boutiques aux allures de caverne d’Ali Baba où les babioles s’évertuaient à minimiser l’ombre des pénuries, ses ruelles parfumées où les galopins évoquaient des princes aux pieds nus; mais aussi son côté pittoresque qui fascinait les pèlerins dans une vie antérieure, l’odeur de son pain que je n’ai retrouvée nulle part ailleurs et sa bonhomie toujours vivace malgré tant d’infortunes… Où sont donc passées les petites touches qui faisaient son charme et sa griffe, qui rendaient la pudeur de ses filles aussi mortelle que leur effronterie et les vieillards vénérables en dépit de leur caractère impossible? Le règne de l’absurde a ravagé jusqu’aux joies des enfants. Tout a sombré dans une grisaille malsaine. On se croirait sur une aile oubliée des limbes, hantée d’âmes avachies, d’êtres brisés, mi-spectres mi-damnés, confits dans les vicissitudes tels des moucherons dans une coulée de vernis, le faciès décomposé, le regard révulsé, tourné vers la nuit, si malheureux que même le grand soleil d’As-Samirah ne parvient pas à l’éclairer.Janin n’est plus qu’une ville sinistrée, un immense gâchis; elle ne dit rien qui vaille et a l’air aussi insondable que le sourire de ses martyrs dont les portraits sont placardés à chaque coin de la rue. Défigurée par les multiples incursions de l’armée israélienne, tour à tour clouée au pilori et ressuscitée pour faire durer le plaisir, elle gît dans ses malédictions, à bout de souffle et à court d’incantations…” Yasmina Khadra (1955) écrivain algérien L’Attentat, 2005 Cœur , vie , femmes , enfants
“Un hiver, je rendis visite, à pied bien entendu, à mon frère qui séjournait alors dans une petite bourgade campagnarde où il était chargé de décorer à fresque une salle de bal. Malgré la saison froide, j'avais choisi une tenue toute mince et légère; m'encombrer peureusement d'étoffes lourdes et épaisses m'eût paru une gêne désagréable, une peine superflue.” Robert Walser (1878–1956) écrivain suisse Saison