Titus Burckhardt: Tout

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“En effet, l'Eglise n'a pas condamné la théorie de Copernic, qui s'appuyait lui-même sur Icetus de Syracuse, jusqu'à ce que Galilée, quatre-vingts ans plus tard, sans apporter de preuve décisive à l'appui de la nouvelle théorie, décide de placer sur le plan théologique la querelle de l'ordre géocentrique ou héliocentrique du monde, en défiant la Curie par de violentes attaques de prendre positions sur le problème. Le pape Urbain VIII proposa de définir le système héliocentrique comme une thèse mathématique possible, mais pas nécessairement comme celle qui garantissait la vérité définitive. Loin de se ranger à cette suggestion, Galilée répliqua en publiant son Dialogo sui Massimi Sistemi, dans lequel il présentait le pape comme un simple d'esprit. D'où ce procès tristement célèbre, au cours duquel Galilée ne prononça nullement son fameux "Eppur si muove" (Et pourtant, elle se meut), mais abjura toutes ses déclarations pour avoir le droit de continuer à vivre en paix et dans l'honneur. La postérité littéraire de Galilée pris comme héros a fait naître chez plusieurs dignitaires de l'Eglise une sorte de sentiment de culpabilité qui les rend étrangement désarmés devant les théories scientifiques modernes même lorsque celles-ci sont en contradiction flagrante avec les vérités de la foi et de l'entendement. On a l'habitude de dire que l'Eglise n'a pas à se mêler de problèmes scientifiques; le cas même de Galilée prouve justement que la nouvelle science rationaliste de la Renaissance prétendait à la vérité absolue et se présentait donc comme une seconde religion. p135”

Science moderne et Sagesse traditionnelle

“Un certain groupe de métiers — se caractérisant par l’usage qu’ils font du feu pour transformer ou ennoblir des matières comme le métal ou les minéraux dont on fait du verre et des émaux — sert de base à une tradition spirituelle qui se rattache à Hermès Trismégiste dont le nom égyptien est Thot et que beaucoup de musulmans comptent au nombre des anciens prophètes. L’art hermétiste par excellence, c’est l’alchimie; le plus souvent mal comprise, parce que la transmutation qui est son but et qu’elle traduit en termes artisanaux, se situe en réalité au niveau de l’âme. Que l’alchimie ait été pratiquée par beaucoup d’artisans du feu, ne fait aucun doute; son emblème, le couple de dragons entrelacés — forme médiévale du caducée — orne de nombreux récipients en céramique ou en métal.
Nombre d’artisans ou d’artistes, qu’ils aient reçu ou non une initiation correspondant à leur entrée dans une corporation professionnelle, adhéraient ou adhèrent encore à un Ordre soufi (…) on peut également dire que le soufisme se situe là où l’amour et la connaissance convergent. Or, l’objet ultime et commun de l’amour comme de la connaissance n’est autre que la Beauté divine. On comprendra dès lors comment l’art, dans une civilisation théocentrique comme celle de l’Islam, se rattache à l’ésotérisme, dimension la plus intérieure de la tradition.
Art et contemplation : l’art a pour objet la beauté formelle, alors que l’objet de la contemplation est la beauté au-delà de la forme qui révèle qualitativement l’ordre formel, tout en le dépassant infiniment. Dans la mesure où l’art s’apparente à la contemplation, il est connaissance, la beauté étant un aspect de la Réalité, au sens absolu du terme.
Cela nous ramène au phénomène de scission entre art et artisanat, d’une part, et art et science, d’autre part, phénomène qui a profondément marqué la civilisation européenne moderne : si l’art n’est plus considéré comme une science, c’est-à-dire comme une connaissance, c’est que la beauté, objet de contemplation à divers degrés, n’est plus reconnue comme un aspect du réel. En fait, l’ordre normal des choses a été renversé à un point tel qu’on identifie volontiers la laideur à la réalité, la beauté n’étant plus que l'objet d’un esthétisme aux contours parfaitement subjectifs et changeants.
Les conséquences de cette dichotomie de l’expérience du réel sont des plus graves : car c’est finalement la beauté — subtilement rattachée à l’origine même des choses — qui jugera de la valeur ou de la futilité d’un monde.
Ainsi que le Prophète l’a dit :
« Dieu est beau et II aime la beauté. » p. 296-298”

Art Of Islam: Language And Meaning

“La liberté étant partout ce qu'elle est, c'est-à-dire sans contrainte interne, on peut dire que l'homme est libre de se damner, de même qu'il est libre de se jeter dans un abîme, s'il le veut; cependant, dès que l'homme passe à l'action, la liberté devient illusoire dans la mesure où elle va contre la vérité : celui qui se jette volontairement dans un abîme se prive par là même de sa liberté d'agir.
Il en va de même pour l'homme à tendance infernale : il devient l'esclave de son choix, tandis que l'homme à tendance spirituelle s'élève vers une plus grande liberté.
d'autre part, puisque la réalité de l'enfer est faites d'illusion, - car l'éloignement de Dieu ne peut être qu'illusoire -, l'enfer ne saurait exister éternellement à coté de la Béatitude, bien que, selon sa propre vision, sa fin ne puisse pas se concevoir; c'est là l'éternité à rebours des états de damnation. Ce n'est donc pas sans raison que les Soufis insistent sur la relativité de toute chose créée, et affirment que le feu de l'enfer se refroidira après une durée indéfinie; tous les êtres seront finalement résorbés en Dieu.
Quoi qu'en pensent certains philosophes modernes, la liberté et l'arbitraire se contredisent; l'homme est libre de choisir l'absurde, mais il n'est pas libre en tant qu'il le choisit; la liberté (dans ce cas là) et l'acte ne coïncident pas dans la Créature”

Introduction to Sufism: The Mystical Dimension of Islam

“[…] un art sacré n’est pas nécessairement fait d’images, même pas au sens le plus large du terme. Il peut n’être que l’extériorisation pour ainsi dire muette d’un état contemplatif et, dans ce cas ou sous ce rapport, il ne reflétera pas des idées mais il transformera l’environnement qualitativement, en le faisant participer à un équilibre dont le centre de gravité est l’invisible. Il est facile de constater que telle est la nature de l’art islamique : son objet est avant tout l’environnement de l’homme – d’où le rôle dominant de l’architecture – et sa qualité est essentiellement contemplative. L’aniconisme n’amoindrit pas cette qualité, bien au contraire, car en excluant toute image qui invite l’homme à fixer son esprit sur quelque chose en dehors de lui-même, à projeter son âme en une forme « individualisante », il crée un vide. A cet égard, la fonction de l’art islamique est analogue à celle de la nature vierge – notamment du désert – qui favorise aussi la contemplation bien que, sous un autre angle, l’ordre créé par l’art s’oppose au chaos du paysage désertique.
La prolifération de l’ornement dans l’art musulman ne contredit pas cette qualité de vide contemplatif. Au contraire, l’ornement à formes abstraites la corrobore par son rythme continu ou son caractère de tissage sans fin : au lieu de capter l’esprit et de l’entraîner dans quelque monde imaginaire, il dissout les « fixations » mentales, de même que la contemplation d’un cours d’eau, d’une flamme ou d’un feuillage frémissant dans le vent peut détacher la conscience de ses « idoles » intérieures.”

Art Of Islam: Language And Meaning

“L’homme sait aujourd’hui que la terre n’est qu’une boule animée d’un mouvement multiforme et vertigineux qui court sur un abîme insondable, attirée et dominée par les forces qu’exercent sur elle d’autres corps célestes, incomparablement plus grands et situés à des distances inimaginables; il sait que la terre où il vit n’est qu’un grain de poussière par rapport au soleil, et que le soleil lui-même n’est qu’un grain au milieu de myriades d’autres astres incandescents; il sait aussi que tout cela bouge. Une simple irrégularité dans cet enchaînement de mouvements sidéraux, l’interférence d’un astre étranger dans le système planétaire, une déviation de la trajectoire normale du soleil, ou tout autre incident cosmique, suffirait pour faire vaciller la terre au cours de sa révolution, pour troubler la succession des saisons, modifier l’atmosphère et détruire l’humanité. L’homme aujourd’hui sait par ailleurs que le moindre atome renferme des forces qui, si elles étaient déchaînées, pourraient provoquer sur terre une conflagration planétaire presque instantanée. Tout cela, l’“infiniment petit” et l’“infiniment grand”, apparaît, du point de vue de la science moderne, comme un mécanisme d’une complexité inimaginable, dont le fonctionnement est dû à des forces aveugles.

Et pourtant, l’homme d’aujourd’hui vit et agit comme si le déroulement normal et habituel des rythmes de la nature lui était garanti. Il ne pense, en effet, ni aux abîmes du monde intersidéral, ni aux forces terribles que renferme chaque corpuscule de matière. Avec des yeux d’enfant, il regarde au-dessus de lui la voûte céleste avec le soleil et les étoiles, mais le souvenir des théories astronomiques l’empêche d’y voir des signes de Dieu. Le ciel a cessé de représenter pour lui la manifestation naturelle de l’esprit qui englobe le monde et l’éclaire. Le savoir universitaire s’est substitué en lui à cette vision “naïve” et profonde des choses. Non qu’il ait maintenant conscience d’un ordre cosmique supérieur, dont l’homme serait aussi partie intégrante. Non. Il se sent comme abandonné, privé d’appui solide face à ces abîmes qui n’ont plus aucune commune mesure avec lui-même. Car rien ne lui rappelle plus désormais que tout l’univers, en définitive, est contenu en lui-même, non pas dans son être individuel, certes, mais dans l’esprit qui est en lui et qui, en même temps, le dépasse, lui et tout l’univers visible.”

Science moderne et Sagesse traditionnelle

“Lorsque la demeure islamique se remplit d’images et d’objets distrayants, et que l’on marche avec des souliers sur les tapis et les nattes, qui normalement sont réservés à la prière, l’unité de la vie islamique est rompue, et il en va de même quand les vêtements que l’on porte dans la vie courante ne sont plus adaptés aux rites de la shariah.
A ce propos, il faut remarquer que l’art islamique ayant pour fonction essentielle de créer un cadre pour l’homme qui prie, le vêtement y occupe un rang qui n’est pas négligeable, comme le rappelle ce verset : « O fils d’Adam, revêtez vos parures (zeynatakum) en vous approchant d’une mosquée » (Coran, VII, 31). Le costume masculin des peuples de l’Islam comprend une multitude de formes, mais il exprime toujours le double rôle que cette tradition impose à l’homme : celui de représentant et de serviteur de Dieu. De ce fait, il est à la fois digne et sobre, nous dirions même majestueux et pauvre en même temps. Il recouvre l’animalité de l’homme, rehausse ses traits, tempère ses mouvements, et facilite les différentes postures de la prière. Le vêtement européen moderne, au contraire, ne fait que souligner le rang social de l’individu, tout en niant la dignité primordiale de l’homme, celle qui lui fut octroyée par Dieu.
"Valeurs pérennes de l’art islamique”

Mirror of the Intellect: Essays on the Traditional Science and Sacred Art