“Il vida son bain en perçant un trou dans le fond de la baignoire. Le sol de la salle de bains, dallé de grès cérame jaune clair, était en pente et orientait l'eau vers un orifice situé juste au-dessus du bureau du locataire de l'étage inférieur. Depuis peu, sans prévenir Colin, celui-ci avait changé son bureau de place. Maintenant, l'eau tombait sur son garde-manger.” Boris Vian livre L'Écume des jours L'Écume des jours, 1947 eau , changement
“Il avait suffi, pour ne pas l'effrayer, d'être avec lui ce que Jérôme aurait voulu que fût l'humanité pour lui, ce que fût l'humanité. Un instinct de vie si pur, une âme si dégagée des liens qui l'enserrent dès sa naissance, que le mot liberté reprenait sens à sa vue. Jérôme respectait d'ailleurs en son compagnon, comme il l'avait encouragée en soi-même, cette impossibilité de supporter la moindre question, le moindre contrôle; mais, alors qu'il n'avait ressenti que très tard, après la guerre, et comme une révolte, comme un schisme, l'impuissance à vivre cette vie plus faite de la vie des autres que de la sienne propre, les mêmes sentiments dans l'enfant étaient si aisés, si proches de la nature et du bon sens qu'on imaginait très bien une humanité soumise à cette façon d'être humaine. Une humanité où chaque homme aurait été distinct des autres, dans son âme comme dans son corps, comme un astre et des astres. Où les rapports entres les êtres n'auraient jamais été que des flexions, des consentements, des transparences, et où seul le silence aurait été un bien et un plaisir commun. (…) Où chaque homme n'eût pas été un administrateur-délégué de la race entière des hommes, responsable jusque dans sa façon de cracher ou de faire l'amour… Une humanité, sans lois sociales et esthétiques, aussi libérée de ses codes multiples que de ces tics qui ont créé le grès flambé ou le cuir de Cordoue… Plus belle aussi… Où l'âge ne déposerait pas sur chacun de vos doigts, à chaque phalange, un triste nombril.” Jean Giraudoux livre Aventures de Jérôme Bardini Aventures de Jérôme Bardini, 1930 âme , naissance , nature , liberté
“A la consécration, l'homme fit comme tout le monde et se leva, mais il ne communia pas. La bénédiction le trouva assis, et assis, il demeura tandis que la maigre foule s'écoulait dans le tumulte final des orgues. Il partit avec les derniers, mais au lieu de sortir se glissa derrière un pilier et gagna sans être vu la plus proche chapelle latérale où il attendit, dissimulé dans un recoin obscur. Il entendit qu'on fermait les portes. Les lumières, une à une, s'éteignirent. Pour s'assurer qu'il était bien seul, l'homme patienta un long moment, immobile, guettant le moindre bruit dans la nuit. Ses yeux s'habituaient peu à peu à la pénombre. Les hauts vitraux se devinaient, éclairés par une lune d'hiver, et les arcades de grès rouge ressemblaient à d'immenses ailes déployées pour le protéger.Et la paix se répandit en lui. quittant alors son refuge, il s'avança par l'allée centrale et marcha, les mains jointes, vers l'autel.” Jean Raspail livre L'Anneau du pêcheur L'anneau du pêcheur, 1995 lumière , hiver , nuit , hommes