“Voilà pourquoi, à mon tour, cédant à la vanité de laisser quelque œuvre à la postérité — je ne voulais pas être le seul à me priver de la liberté d'affabuler — je me suis adonné au mensonge, bien plus loyalement que les autres : je serai véridique au moins sur un point, en déclarant que je mens. Je crois qu'ainsi je pourrai échapper à la critique, en reconnaissant spontanément que je ne dis rien de vrai. J'écris donc sur des choses que je n'ai pas vues, que je n'ai pas vécues, que je n'ai point apprises de tiers, et qui en outre n'existent absolument pas et ne peuvent pas le moins du monde se produire. Voilà pourquoi les lecteurs ne doivent en aucune façon y croire.Je partis un jour des colonnes d'Hercule et, gagnant l'Océan du couchant, je naviguais par vent favorable. La raison et le motif de mon voyage étaient mon esprit curieux et mon envie d'aventures nouvelles, mon désir de connaître les limites de l'Océan et les êtres qui habitent au-delà.” Lucien de Samosate livre Histoires vraies Fin du prologue et début du récit proprement dit des Histoires vraies. Histoires vraies liberté , mensonge , monde , voyages
“On raconte que Til Ulespiègle, ayant été engagé comme peintre à la cour d’un prince, présente à l’assistance une toile vide en déclarant : «Qui n’est pas l’enfant de parents honnêtes, ne verra rien sur cette toile.» Or, aucun des seigneurs rassemblés ne voulut avouer qu’il ne voyait rien : chacun feignit d’admirer la toile vide. Il fut un temps où cette histoire pouvait passer pour une plaisanterie; nul n’osait prévoir qu’elle entrerait un jour dans les mœurs du «monde civilisé». De nos jours, n’importe qui peut nous montrer n’importe quoi au nom de «l’art pour l’art», et si nous protestons au nom de la vérité et de l’intelligence, on nous répond que nous ne comprenons rien, comme si nous avions une lacune mystérieuse nous empêchant de comprendre, non l’art chinois ou aztèque sans doute, mais le gribouillage quelconque d’un Européen qui vit à côté de nous. Selon un abus de langage fort répandu de nos jours, «comprendre» veut dire «accepter»; refuser, c’est ne pas comprendre; comme s’il n’arrivait jamais qu’on refuse une chose précisément parce qu’on la comprend, ou au contraire qu’on l’accepte parce qu’on ne la comprend pas!” Frithjof Schuon (1907–1998) métaphysicien, théologien et philosophe suisse Caste e Razze