“De ce paysage passionné qui se retirera un jour prochain avec la mer, si je ne dois enlever que toi aux fantasmagories de l'écume verte, je saurai recréer cette musique sur nos pas. Ces pas bordent à l'infini le pré qu'il nous faut traverser pour revenir, le pré magique qui cerne l'empire du figuier. Je ne découvre en moi d'autre trésor que la clé qui m'ouvre ce pré sans limites depuis que je te connais, ce pré fait de la répétition d'une seule plante toujours plus haute, dont le balancier d'amplitude toujours plus grande me conduira jusqu'à la mort. La mort, d'où l'horloge à fleurs des campagnes, belle comme ma pierre tombale dressée, se remettra en marche sur la pointe des pieds pour chanter les heures qui ne passent pas. Car une femme et un homme qui, jusqu'à la fin des temps, doivent être toi et moi, glisseront à leur tour sans se retourner jamais jusqu'à perte de sentier, dans la lueur oblique, aux confins de la vie et de l'oubli de la vie, dans l'herbe fine qui court devant nous à l'arborescence. Elle est, cette herbe dentelée, faite des mille liens invisibles, intranchables, qui se sont trouvés unir ton système nerveux au mien dans la nuit profonde de la connaissance.” André Breton livre L'Amour fou 119, L'Amour fou/Gallimard-Folio Récit, L'Amour fou, 1937 connaissance , herbe , passion , faute
“La lune ressemblait à un poisson mort dans l'étang, elle flottait le ventre en l'air. Sa lumière sans pardon éclairait durement des pensées qu'au fond de soi il aurait voulu voir encore assoupies; il douta de la sécurité de son foyer paisible. Cette lune menaçante annonçait l'éternel changement. Vaguement il se dit que les révolutions humaines doivent être, elles aussi, des marées obéissant à la lune, parfaitement réglées comme celles de l'océan, mais d'une si vaste amplitude que nous n'en apercevons pas la récurrence…” Paul Morand (1888–1976) écrivain, diplomate et académicien français Le flagellant de Séville, 1951 pardon , poisson , lumière , changement
“Je suis un jour entré dans un lien où chaque parole de l’un était recueillie sans faute par l’autre. Il en allait de même pour chaque silence. Ce n’était pas cette fusion que connaissent les amants à leurs débuts et qui est un état irréel et destructeur. Il y avait dans l’amplitude de ce lien quelque chose de musical et nous y étions tout à la fois ensemble et séparés, comme les deux ailes diaphanes d’une libellule. Pour avoir connu cette plénitude, je sais que l’amour n’a rien à voir avec la sentimentalité qui traîne dans les chansons et qu’il n’est pas non plus du côté de la sexualité dont le monde fait sa marchandise première — celle qui permet de vendre toutes les autres. L’amour est le miracle d’être un jour entendu jusque dans nos silences, et d’entendre en retour avec la même délicatesse : la vie à l’état pur, aussi fine que l’air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse.” Christian Bobin (1951) écrivain français Ressusciter, 2001 silence , faute , danse , amour