“Mario avait parlé d'une voix sourde et son regard s'était éteint. Je le contemplai avec stupeur. Le domaine était magnifique. Luzerne et maïs poussaient en abondance. Des nénuphars énormes et des papyrus gardaient les abords du lac Naivasha. Il y avait à la fois dans cette plantation des collines toutes sauvages et un système d'irrigation admirable. Et une piscine. Et des pur sang. Et Mario commençait, sur une grande échelle à cultiver la ramie, plante miracle importée de Chine.– Que faut-il encore ? demandai-je.Mon ami secoua sa tête aux drus cheveux blancs avec passion et désespoir.– L'aventure est finie, dit-il.” Joseph Kessel (1898–1979) aventurier, journaliste grand-reporter et romancier français La piste fauve, 1954 foi
“Puis il réfléchit: la réalité ne coïncide habituellement pas avec les prévisions; avec une logique perverse, il en déduisit que prévoir un détail circonstanciel, c'est empêcher que celui-ci se réalise. Fidèle à cette faible magie, il inventait, pour les empêcher de se réaliser, des péripéties atroces; naturellement, il finit par craindre que ces péripéties ne fussent prophétiques. Misérable dans la nuit, il essayait de s'affirmer en quelque sorte dans la substance fugitive du temps. Il savait que celui-ci se précipitait vers l'aube du 29; il raisonnait à haute voix; je suis maintenant dans la nuit du 22; tant que durera cette nuit (et six nuits de plus) je suis invulnérable, immortel. Il pensait que les nuits de sommeil étaient des piscines profondes et sombres dans lesquels il pouvait se plonger. Il souhaitait parfois avec impatience la décharge définitive qui le libérerait tant bien que mal de son vain travail d'imagination.” Jorge Luis Borges livre Fictions Ficciones