“Le ciel du couchant se déploya ce soir-là comme une queue de paon, comme un étang ocellé de nymphéas. Les superstitieux y virent un présage, ils ne savaient pas de quoi.
Des nuages couleur de craie, de crevette, de nacre et même bleu cru y naviguaient comme des nacelles à la fête foraine, s'y entrechoquaient silencieusement, émettaient des flocons de vapeur blanche, ou, telles des seiches, des jets d'ancre. Sur un fond qui se dégradait de saumoné en taupe, des barres rouges et noires verrouillaient l'horizon. Au zénith, traversant l'un après l'autre ces paysages divers, circulait un point incandescent.[...]
– Voilà le bon Dieu qui a jeté son mégot.
Pepito, le petit frère, dix ans, accroupi aux pieds de l'Antéchrist entre les boites à ordures, jouait avec un merle unijambiste auquel il avait confectionné une patte de rechange au moyen d'une allumette fixée par un élastique au moignon.
– Sariel, fit-il, les yeux fixés sur la comète rouge, ça me fait mal quand tu parles du bon Dieu comme ça.
Il était le seul à appeler son grand frère par son prénom.
– Toi, Pepito ,quand je t'aurais écrasé ton oiseau...
L'Antéchrist sourit dans le noir de toutes ses petites dents de loutre, anticipant sur le plaisir de faire craquer la carcasse vivante et jouissant déjà de l'angoisse qu'il créait.”