“Et cependant toute grandeur, toute puissance, toute subordination repose sur l'exécuteur. : il est l'horreur et le lien de l'association humaine. Ôtez du monde cet agent incompréhensible; dans l'instant même l'ordre fait place au chaos, les trônes s'abîment et la société disparaît.” Joseph de Maistre (1753–1821) philosophe, écrivain, juriste et diplomate savoyard Les Soirées de Saint-Pétersbourg, 1821
“L'histoire de la France depuis la Révolution française est incompréhensible sans la prise en compte de sa dimension arabe… L'un des enjeux essentiels de la reformulation actuelle de l'histoire de France est la prise en compte à l'intérieur du roman national de la diversité dont la dimension arabe. Il ne faut pas forcer l'histoire en imposant artificiellement des éléments étrangers, mais reconnaitre l'ampleur des apports qui constituent la société d'aujourd'hui, car toute histoire est avant tout rétrospection par nécessité de comprendre le présent.” Henry Laurens (1954) historien français
“Ce sont toujours ceux qui se font le moins de scrupules à violenter les croyances des autres qui sont les plus sensibles à toutes contradiction. Aussi est-ce une chose incompréhensible pour Calvin que le monde se permette de discuter l'exécution de Servet, au lieu de la célébrer avec enthousiasme comme un acte pieux et agréable à Dieu. Cet homme, qui en fait mourir un autre par le feu à cause d'un simple désaccord sur des principes, demande très sérieusement qu'on s'apitoie sur lui et non sur la victime.” Stefan Zweig (1881–1942) écrivain autrichien Conscience contre violence ou Castellion contre Calvin, 1936
“Peu à peu la science avance vers de nouveaux sommets dans sa découverte progressive de la nature profonde, difficilement déchiffrable, du monde où nous vivons.Lors de nouvelles expérience la nature répond toujours à nos interrogations, mais elle paraît trop souvent répondre comme le faisait l'oracle de Delphes. Ses réponses en effet ne nous apparaissent pas toujours très clairement, non pas tellement parce qu'elle seraient réellement ambiguës et incompréhensibles, mais parce que nous sommes trop souvent emprisonnés par des idées toutes faites, par des idées préconçues, et par des vérités établies, qui nous empêchent de les comprendre.” Maurice Allais (1911–2010) économiste français L'Anisotropie de l'Espace
“Plus nous nous efforçons d'expliquer rationnellement ces phénomènes historiques, plus ils nous apparaissent dénués de sens et incompréhensibles.Tout homme vit pour soi, profite de sa liberté pour atteindre ses buts personnels et sent de tout son être qu'il peut à chaque instant accomplir ou ne pas accomplir tel acte; mais une fois qu'il l'aura accompli, cet acte accompli à un moment précis du temps deviendra irrévocable et appartiendra à l'histoire qui, de libre qu'il était, le rend nécessaire. (…) L'homme consciemment vit pour soi, mais il sert inconsciemment d'instrument à des fins historiques et sociales. (…) a tort et raison celui qui prétend que c'est le dernier coup de pioche qui a fait s'écrouler la colline que l'on creusait. (Guerre et Paix, livre troisième, 1ère partie, ch. I)” Léon Tolstoï (1828–1910) écrivain russe
“Les hommes travaillent généralement trop pour pouvoir encore rester eux-mêmes. Le travail : une malédiction que l’homme a transformée en volupté. Œuvrer de toutes ses forces pour le seul amour du travail, tirer de la joie d’un effort qui ne mène qu’à des accomplissements sans valeur, estimer qu’on ne peut se réaliser autrement que par le labeur incessant — voilà une chose révoltante et incompréhensible. Le travail permanent et soutenu abrutit, banalise et rend impersonnel. Le centre d’intérêt de l’individu se déplace de son milieu subjectif vers une fade objectivité; l’homme se désintéresse alors de son propre destin, de son évolution intérieure, pour s’attacher à n’importe quoi : l’œuvre véritable, qui devrait être une activité de permanente transfiguration, est devenue un moyen d’extériorisation qui lui fait quitter l’intime de son être. Il est significatif que le travail en soit venu à désigner une activité purement extérieure : aussi l’homme ne s’y réalise-t-il pas — il réalise.” Emil Cioran (1911–1995) philosophe et écrivain roumain, d'expression roumaine initialement, puis française Sur le travail
“Mais, monsieur, en étant persuadés par la foi, des choses qui paraissent absurdes à notre intelligence, c'est-à-dire, en croyant ce que nous ne croyons pas, gardons-nous de faire ce sacrifice de notre raison dans la conduite de la vie. Il y a eu des gens qui ont dit autrefois: Vous croyez des choses incompréhensibles, contradictoires, impossibles, parce que nous vous l’avons ordonné; faites donc des choses injustes parce que nous vous l’ordonnons. Ces gens-là raisonnaient à merveille. Certainement qui est en droit de vous rendre absurde est en droit de vous rendre injuste. Si vous n’opposez point aux ordres de croire l’impossible l’intelligence que Dieu a mise dans votre esprit, vous ne devez point opposer aux ordres de malfaire la justice que Dieu a mise dans votre coeur. Une faculté de votre âme étant une fois tyrannisée, toutes les autres facultés doivent l’être également. Et c’est là ce qui a produit tous les crimes religieux dont la terre a été inondée.” Voltaire (1694–1778) écrivain et philosophe français
“Quelle est la première chose que je faisais quand, retour d'une plongée dans la géhenne du Bengla-Desh, je rentrais souffler un peu, dans l'autre Bengale, à Calcutta? Je fonçais au siège du Times of India pour voir, dans les éditions du journal que j'avais manquées, les cartes indiquant les mouvements de troupe, donc le sens de la bataille que j'avais vécue de l'intérieur et à laquelle j'avais l'impression de n'avoir, du coup, rien compris.(…) Stendhal a raison. le point de vue de Fabrice est un point de vue partiel, en effet. Obtus. Inintelligent. Mais voilà. C'est le seul. Il n'y en a pas d'autre. Il n'y a rien de plus à voir dans la réalité des guerres que cet enfer absurde où l'on se demande en permanence où l'on est, où l'on va, d'où viennent les obus, qui les tire et ce que sont devenues les belles vertus héroïques chantées par la littérature de guerre. Fabrice n'a peut-être rien compris. Mais c'est tout ce qu'il y avait à comprendre. C'est l'essence même de la guerre que de donner ce sentiment d'incompréhensible chaos, d'absurdité, de juxtaposition de points de vue idiots, aveugles, fermés les uns sur les autres.(ch. 43 Le théorème de Stendhal)” Bernard-Henri Lévy (1948) écrivain français War, Evil and the End of History
“En ce qui concerne les impasses de la théologie — auxquelles les incroyants ont le droit d'être sensibles — nous devons avoir recours à la métaphysique afin d'élucider le fond du problème. Les apparentes "absurdités" qu'impliquent certaines formulations s'expliquent avant tout par la tendance volontariste et simplificatrice inhérente à la piété monothéiste, d'où a priori la réduction des mystères suprêmes — relevant du Principe divin suprapersonnel — au Principe divin personnel. C'est la distinction entre le Sur-Être et l'Être, ou entre la « Divinité » et « Dieu » (Gottheit et Cott) en termes eckhartiens; ou encore, en termes védantins : entre le Brahma « suprême » (Para-Brahtm) et le Brahnia « non-suprême » (Apara-Brahma). Or en théologie sémitique monothéiste, le Dieu personnel n'est pas conçu comme la projection du pur Absolu; au contraire, le pur Absolu est considéré — dans la mesure où on le pressent — comme l'Essence de cet Absolu déjà relatif qu'est le Dieu personnel; c'est toujours celui-ci qui est mis en relief et qui est au centre et au sommet. Il en résulte des difficultés graves au point de vue de la logique des choses, mais « inaperçues » au point de vue de la crainte et de l'amour de Dieu : ainsi, la Toute-Possibilité et la Toute-Puissance appartiennent en réalité au Sur-Être; elles n'appartiennent à l'Être que par participation et d'une façon relative et unilatérale, ce qui décharge le Principe-Être d'une certaine « responsabilité » cosmologique. En parlant, plus haut, d'apparentes « absurdités », nous avions en vue surtout l'idée d'un Dieu à la fois infiniment puissant et infiniment bon qui crée un monde rempli d'imperfections et de calamités, y compris un Enfer éternel; seule la métaphysique peut résoudre ces énigmes que la foi impose au croyant, et qu'il accepte parce qu'il accepte Dieu; non par naïveté, mais grâce à un certain instinct de l'essentiel et du surnaturel. C'est précisément la perte de cet instinct qui a permis au rationalisme d'éclore et de se répandre; la piété s'affaiblissant, l'impiété pouvait s'affirmer. Et si d'une part le monde de la foi comporte incontestablement de la naïveté, d'autre part le monde de la raison manque totalement d'intuition intellectuelle et spirituelle, ce qui est autrement grave; c'est la perte du sacré et la mort de l'esprit. Au lieu de discuter vainement sur ce que Dieu « veut » ou ne « veut pas », les théologiens répondent volontiers, et avec raison, par une fin de non-recevoir : qui es-tu, homme, pour vouloir sonder les motivations de ton Créateur? Dieu est incompréhensible, et incompréhensibles sont ses volontés; ce qui, au point de vue de la mâyâ terrestre, est la stricte vérité, et la seule vérité que l'humanité à laquelle le Message religieux s'adresse, soit capable d'assimiler avec fruit. Assimilation plus morale qu'intellectuelle; on ne prêche pas le platonisme aux pécheurs en danger de perdition, pour lesquels la réalité, c'est le monde « tel qu'il est ».” Frithjof Schuon livre La Transfiguration de l’Homme (1995). The Transfiguration of Man
“Tout ce qui est rouge est jolitout ce qui est nouveau est beautout ce qui est habituel est amertout ce qui est absent est sucré” Nicolas Bouvier livre Journal d'Aran et d'autres lieux Extrait de La Maladie de Chûchulainn cité par Nicolas Bouvier en exergue de son Journal d'Aran. Journal d'Aran et d'autres lieux, 1990