“Le rapport d’analogie entre les intellections et les formes matérielles explique comment l’ésotérisme a pu se greffer sur l’exercice des métiers, et notamment sur l’art architectural; les cathédrales que les initiés chrétiens ont laissées derrière eux apportent le témoignage le plus explicite et aussi le plus éclatant de l’élévation spirituelle du moyen âge (2). Nous touchons ici à un aspect fort important de la question qui nous préoccupe : l’action de l’ésotérisme sur l’exotérisme moyennant les formes sensibles dont la production est précisément l’apanage de l’initiation artisanale; par ces formes, véritables véhicules de la doctrine traditionnelle intégrale, et qui grâce à leur symbolisme transmettent cette doctrine en un langage immédiat et universel, l’ésotérisme infuse à la portion proprement religieuse de la tradition une qualité intellectuelle et par là un équilibre dont l’absence entraînerait finalement la dissolution de toute la civilisation, comme cela s’est produit dans le monde chrétien. L’abandon de l’art sacré enleva à l’ésotérisme son moyen d’action le plus direct; la tradition extérieure insista de plus en plus sur ce qu’elle a de particulier, donc de limitatif; enfin, l’absence du courant d’universalité qui, lui, avait vivifié et stabilisé la civilisation religieuse par le langage des formes, occasionna des réactions en sens inverse; c’est-à-dire que les limitations formelles, au lieu d’être compensées, et par là stabilisées, par les interférences supra-formelles de l’ésotérisme, suscitèrent, par leur « opacité » ou « massivité » même, des négations pour ainsi dire infra-formelles, puisque venant de l’arbitraire individuel, et celui-ci, loin d’être une forme de la vérité, n’est qu’un chaos informe d’opinions et de fantaisies.

(2) Devant une cathédrale, on se sent réellement situé au centre du monde; devant une église en style Renaissance, baroque ou rococo, on ne se sent qu’en Europe”

The Transcendent Unity of Religions

Dernière mise à jour 22 mai 2020. L'histoire

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“Comment cela a t il pu advenir, là n'est plus la question, l'erreur est humaine, là n'est pas la réponse.”

Oxmo Puccino (1974) rappeur franco-malien

L'amour est mort mets...

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“Un certain groupe de métiers — se caractérisant par l’usage qu’ils font du feu pour transformer ou ennoblir des matières comme le métal ou les minéraux dont on fait du verre et des émaux — sert de base à une tradition spirituelle qui se rattache à Hermès Trismégiste dont le nom égyptien est Thot et que beaucoup de musulmans comptent au nombre des anciens prophètes. L’art hermétiste par excellence, c’est l’alchimie; le plus souvent mal comprise, parce que la transmutation qui est son but et qu’elle traduit en termes artisanaux, se situe en réalité au niveau de l’âme. Que l’alchimie ait été pratiquée par beaucoup d’artisans du feu, ne fait aucun doute; son emblème, le couple de dragons entrelacés — forme médiévale du caducée — orne de nombreux récipients en céramique ou en métal.
Nombre d’artisans ou d’artistes, qu’ils aient reçu ou non une initiation correspondant à leur entrée dans une corporation professionnelle, adhéraient ou adhèrent encore à un Ordre soufi (…) on peut également dire que le soufisme se situe là où l’amour et la connaissance convergent. Or, l’objet ultime et commun de l’amour comme de la connaissance n’est autre que la Beauté divine. On comprendra dès lors comment l’art, dans une civilisation théocentrique comme celle de l’Islam, se rattache à l’ésotérisme, dimension la plus intérieure de la tradition.
Art et contemplation : l’art a pour objet la beauté formelle, alors que l’objet de la contemplation est la beauté au-delà de la forme qui révèle qualitativement l’ordre formel, tout en le dépassant infiniment. Dans la mesure où l’art s’apparente à la contemplation, il est connaissance, la beauté étant un aspect de la Réalité, au sens absolu du terme.
Cela nous ramène au phénomène de scission entre art et artisanat, d’une part, et art et science, d’autre part, phénomène qui a profondément marqué la civilisation européenne moderne : si l’art n’est plus considéré comme une science, c’est-à-dire comme une connaissance, c’est que la beauté, objet de contemplation à divers degrés, n’est plus reconnue comme un aspect du réel. En fait, l’ordre normal des choses a été renversé à un point tel qu’on identifie volontiers la laideur à la réalité, la beauté n’étant plus que l'objet d’un esthétisme aux contours parfaitement subjectifs et changeants.
Les conséquences de cette dichotomie de l’expérience du réel sont des plus graves : car c’est finalement la beauté — subtilement rattachée à l’origine même des choses — qui jugera de la valeur ou de la futilité d’un monde.
Ainsi que le Prophète l’a dit :
« Dieu est beau et II aime la beauté. » p. 296-298”

Titus Burckhardt (1908–1984)

Art Of Islam: Language And Meaning

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