Frithjof Schuon: Non (Page 2)

Frithjof Schuon était métaphysicien, théologien et philosophe suisse. Explorez des citations intéressantes sur non.
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“Maintes histoires koraniques nous proposent, avec plus d'insistance encore que la Bible, le schéma suivant : les prophètes prêchent et les peuples rejettent le message; Dieu les punit pour ce rejet; et Il récompense les hommes qui croient.

L'objection des agnostique et autres sceptique est des plus faciles : les peuples sont psychologiquement excusables de ne pas accepter les Messages; les païens arabes avaient humainement et traditionnellement le droit de croire à la réalité de leurs divinités et à l'efficacité de leurs idoles; ils n'avaient pas de motif de croire le prophète à l'encontre de leurs traditions et de leurs moeurs. […] l'excuse des moderne, - facile de la part de gens qui ne croient à rien et à qui la nature plénière de l'homme échappe, - cette excuse disons-nous, ne tient pas compte du facteur suivant : si les Mecquois et les Bédouins dans leur majorité tenaient obstinément à leur coutumes, ce fut, non a priori pour des raison sincères et logiques, mais fondamentalement parce que leur soi-disant religion, qui ne leur enseignait même pas les vérités eschatologiques indispensables, au contraire flattait leur attachement passioné à l'ici bas et leur amour désordonné et même exclusif des biens terrestres(*).

* "Quand Nos versets (le Koran) sont récitées devant lui (le païen arabe), il dit : conte des anciens!" (Sourate du Calame, 15) Cette information, que le Koran fournit à plusieurs reprises, prouve que la religion des Arabe païens fut une hérésie à l'égard de leur propres traditions, que les païens rejetaient, précisément, comme étant des "conte des anciens" (el-awwalîn = "des primordiaux"). De nombreux passage du Koran indiquent également que ces Arabes ne croyaient ni à l'immortalité de l'âme ni à la résurrection, alors que leurs ancêtre y croyaient.”

From the Divine to the Human: A New Translation with Selected Letters

“Les « preuves » philosophiques, ou plus particulièrement celles qui sont censées se prouver elles-mêmes en objectivant illusoirement le « point de départ » ou la « présupposition initiale », ne prouvent qu’une chose, à savoir la fausseté radicale du point de vue dont elles dérivent; cette tentative de la pensée formelle et finie de saisir, par ses propres moyens, sa racine transcendante, donc supra-formelle et infinie, est aussi absurde que serait l’essai d’un œil de se voir lui-même; dans les deux cas, il y a contradiction foncière. Les « théoriciens de la connaissance » sont évidemment les premiers à affirmer que la sagesse traditionnelle n’est pas arrivée à « résoudre » les « grands problèmes » de l’« esprit humain »; en réalité, il n’y a pas de problèmes pour elle et elle n’a donc jamais eu à en résoudre; son rôle consiste, sur le plan doctrinal tout au moins, à exprimer des vérités, et non pas à répondre arbitrairement à des questions mal posées. Au demeurant, rien n’est plus commode ni plus consolant, lorsqu’on se trouve dans un cercle vicieux, que de prétendre, soit que les autres s’y trouvent également, soit qu’ils sont incapables de s’y trouver; d’aucuns iront même jusqu’à rejeter la responsabilité de leur impuissance sur l’intelligence même, et l’aboutissement d’une telle attitude sera cette philosophie grossièrement imaginative, prétendument « concrète » et souvent effrontément « lyrique » dans laquelle nombre de « penseurs » croient découvrir des consonances « archaïques » autant que du génie; c’est la faiblesse intellectuelle qui, conformément d’ailleurs aux tendances générales de notre époque, se pose en art et en mystique.”

“Que signifie qu’il n’y pas une continuation de l’œuvre de René Guénon par consensus? Je ne sais ce que font les Maçons guénoniens, mais je sais que le groupe soufique de Vâlsan correspond pleinement à tout ce que désirait Guénon; quant à moi l’œuvre de Guénon en tant qu’ensemble indivisible ne me concerne pas puisque je n’en accepte pas tous les axiomes, et on ne peut en bonne logique me reprocher de ne pas avoir réalisé un programme que je n’ai jamais eu l’intention de réaliser. »

« On peut ironiser sur des « excommunications réciproques » quand il s’agit d’une secte intrinsèquement hétérodoxe, donc d’une caricature, – de mormons, de béhaïstes, d’anthroposophes – mais non quand il s’agit d’un milieu normal et honorable se référant à des vérités spirituelles; dans ce dernier cas, même les anathèmes peuvent être honorables, et il y eut dans tous les climats, dans les premiers siècles du Christianisme aussi bien qu’aux débuts de l’Islam, et jusque dans les ordres monastiques et les confréries. « Les divergences des sages sont une bénédiction » disait le Prophète. Les guénoniens, dans leur ensemble sont des hommes respectables, et il faut respecter même leur divergences, lesquelles ne peuvent prêter au ridicule, ou plutôt au mépris, que dans les cas où un individu se mêle sottement ou effrontément des choses qui le dépassent; or je revendique la plus rigoureuse honorabilité non seulement pour moi-même, mais aussi pour mon ancien adversaire Vâlsan, dont j’ai toujours respecté la position – ce fut celle de Guénon – et avec lequel j’ai eu de bons rapports jusqu’à sa mort, malgré nos divergences. Mais il va sans dire que je ne saurais revendiquer cette honorabilité pour des personnes, guénoniennes ou non, qui n’ont ni vertu ni bonne foi. »

« Vâlsan me disait une fois qu’il y a peu d’hommes intelligents parmi les guénoniens, quelqu’en puisse être la raison; il parlait évidemment, non d’un groupe, mais de tous les guénoniens; et il avait une certaine expérience de leur moyenne, comme je l’ai moi-même. Une des raisons de cet état de choses est la suivante : l’ésotérisme attire, non seulement les hommes d’élite mais aussi les médiocres souffrant de sentiments d’infériorité qu’ils cherchent à compenser par quelque sublimation; et il y a ausi des psychopathes à la recherche soit d’un espace de rêve, soit d’un abri donnant un sentiment de sécurité. On ne peut pas empêcher que de tels hommes existent, mais ce n’est pas une raison pour être dupe de leur « orthodoxie », ni surtout de leur mythomanie. »

« J’ajouterai que Vâlsan fut la personnification du guénonisme intégral et inflexible, qu’il fut – lui seul – le « dauphin » de Guénon; qu’il fut un homme fort intelligent et profondément spirituel, en sorte qu’il me fut possible d’avoir avec lui les meilleurs rapports, malgré nos divergences. C’est d’ailleurs sa paix avec moi, et son désir de m’avoir comme collaborateur à la revue, qui est le principal chef d’accusation de la part des sectaires de Turin; »

[Frithjof Schuon – Lettre à Jean-Pierre Laurant (Pully avril 1976)]”

“Dans la critique de la preuve ontologique de Dieu, l'erreur consiste à ne pas voir qu'imaginer un objet quelconque n'est nullement la même chose que concevoir de l'absolu, ou l'Absolu en soi : car ce qui prime ici, ce n'est pas le jeu subjectif de notre esprit, c'est essentiellement l'Objet absolu qui le détermine et qui constitue même, en dernière analyse, la raison d'être de l'intelligence humaine. Sans un Dieu réel, point d'homme possible.
En parlant de l'argument ontologique, nous pensons à la thèse essentielle et non aux raisonnements en partie problématiques qui sont censés l'étayer. Au fond, la base de l'argument est l'analogie entre le méta-macrocosme et le microcosme, ou entre Dieu et l'âme : sous un certain rapport, nous somme ce qui est et par conséquent nous pouvons connaître tout ce qui est, donc l'Être en soi; car s'il y a le rapport d'incommensurabilité, il y a aussi celui d'analogie et même celui d'identité, sans quoi nous serions le néant pur et simple. Le principe de connaissance n'implique par lui-même aucune limitation; connaître, c'est connaître tout le connaissable, et celui-ci coincide avec le réel étant donné qu'a priori et dans l'Absolu le sujet et l'objet se confondent : connaître c'est être, et inversement. Ce qui nous ramène à la sentence arabe : « Qui connaît son âme, connaît son Seigneur. »; sans oublier la formule du sanctuaire de Delphe : « Connais-toi toi-même »… Si l'on nous dit que l'Absolu est inconnaissable, cela se rapporte non à notre faculté intellective de principe mais à telle modalité de facto de cette faculté; à telle écorce, non à la substance.”

To Have a Center

“Les deux exemples suivants témoignent du même état d’esprit : tel croyant demande à Dieu diverses faveurs, non parce qu’il désire les obtenir, mais « pour obéir à l’ordre divin » exprimé par le Koran; comme si Dieu, en ordonnant ou en permettant la prière personnelle, n’avait pas en vue le but de cette prière, et comme si Dieu pouvait apprécier une obéissance dédaigneuse de la raison suffisante de l’acte ordonné ou permis! Dans le cas présent, « ordre » est d’ailleurs un bien grand mot; en réalité, Dieu ne nous ordonne pas d’avoir des besoins ni de lui adresser des demandes, mais il nous invite par miséricorde à lui demander ce qui nous manque; nous pouvons prier pour notre pain quotidien ou pour une guérison comme nous pouvons prier pour des grâces intérieures, mais il n’est pas question de prier pour prier parce que Dieu a ordonné pour ordonner. Le deuxième exemple que nous avons en vue est le suivant : inversement tel autre croyant, partant de l’idée que tout est prédestiné, s’abstient de formuler des prières - malgré « l’ordre divin » cette fois-ci! - car « tout ce qui doit arriver, arrive de toutes façons »; comme si Dieu se donnait la peine d’ordonner, ou de permettre, des attitudes superflues, et comme si la prière n’était pas prédestinée elle aussi! Certes, l’homme est le « serviteur » (abd), et la servitude (ubûdiyah) comporte l’obéissance; mais elle n’est pas de « l’art pour l’art », elle n’est que par ses contenus, d’autant que l’homme est « fait à l’image de Dieu »; l’oublier, c’est vider la notion même de l’homme de toute sa substance.”

Logic and Transcendence

“En ce qui concerne les impasses de la théologie — auxquelles les incroyants ont le droit d'être sensibles — nous devons avoir recours à la métaphysique afin d'élucider le fond du problème. Les apparentes "absurdités" qu'impliquent certaines formulations s'expliquent avant tout par la tendance volontariste et simplificatrice inhérente à la piété monothéiste, d'où a priori la réduction des mystères suprêmes — relevant du Principe divin suprapersonnel — au Principe divin personnel. C'est la distinction entre le Sur-Être et l'Être, ou entre la « Divinité » et « Dieu » (Gottheit et Cott) en termes eckhartiens; ou encore, en termes védantins : entre le Brahma « suprême » (Para-Brahtm) et le Brahnia « non-suprême » (Apara-Brahma). Or en théologie sémitique monothéiste, le Dieu personnel n'est pas conçu comme la projection du pur Absolu; au contraire, le pur Absolu est considéré — dans la mesure où on le pressent — comme l'Essence de cet Absolu déjà relatif qu'est le Dieu personnel; c'est toujours celui-ci qui est mis en relief et qui est au centre et au sommet. Il en résulte des difficultés graves au point de vue de la logique des choses, mais « inaperçues » au point de vue de la crainte et de l'amour de Dieu : ainsi, la Toute-Possibilité et la Toute-Puissance appartiennent en réalité au Sur-Être; elles n'appartiennent à l'Être que par participation et d'une façon relative et unilatérale, ce qui décharge le Principe-Être d'une certaine « responsabilité » cosmologique. En parlant, plus haut, d'apparentes « absurdités », nous avions en vue surtout l'idée d'un Dieu à la fois infiniment puissant et infiniment bon qui crée un monde rempli d'imperfections et de calamités, y compris un Enfer éternel; seule la métaphysique peut résoudre ces énigmes que la foi impose au croyant, et qu'il accepte parce qu'il accepte Dieu; non par naïveté, mais grâce à un certain instinct de l'essentiel et du surnaturel. C'est précisément la perte de cet instinct qui a permis au rationalisme d'éclore et de se répandre; la piété s'affaiblissant, l'impiété pouvait s'affirmer. Et si d'une part le monde de la foi comporte incontestablement de la naïveté, d'autre part le monde de la raison manque totalement d'intuition intellectuelle et spirituelle, ce qui est autrement grave; c'est la perte du sacré et la mort de l'esprit. Au lieu de discuter vainement sur ce que Dieu « veut » ou ne « veut pas », les théologiens répondent volontiers, et avec raison, par une fin de non-recevoir : qui es-tu, homme, pour vouloir sonder les motivations de ton Créateur? Dieu est incompréhensible, et incompréhensibles sont ses volontés; ce qui, au point de vue de la mâyâ terrestre, est la stricte vérité, et la seule vérité que l'humanité à laquelle le Message religieux s'adresse, soit capable d'assimiler avec fruit. Assimilation plus morale qu'intellectuelle; on ne prêche pas le platonisme aux pécheurs en danger de perdition, pour lesquels la réalité, c'est le monde « tel qu'il est ».”

The Transfiguration of Man