Frithjof Schuon: Ni~

Frithjof Schuon était métaphysicien, théologien et philosophe suisse. Explorez des citations intéressantes sur ni~.
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“Se convertir d’une religion à une autre, c’est non seulement changer de concepts et de moyen, mais aussi remplacer une sentimentalité par une autre. Qui dit sentimentalité, dit limitation : la marge sentimentale qui enveloppe chacune des religions historiques prouve à sa manière la limite de tout exotérisme et par conséquent la limite des revendications exotériques. Intérieurement ou substantiellement, la revendication religieuse est absolue, mais extérieurement ou formellement, donc sur le plan de la contingence humaine, elle est forcément relative; si la métaphysique ne suffisait pas pour le prouver, les faits eux-mêmes le prouveraient.

Plaçons-nous maintenant, à titre d’exemple, au point de vue de l’Islam exotérique, donc totalitaire : aux débuts de l’expansion musulmane, les circonstances étaient telles que la revendication doctrinale de l’Islam s’imposait d’une façon absolue; mais plus tard, la relativité propre à toute expression formelle devait apparaître nécessairement. Si la revendication exotérique — non ésotérique — de l’Islam était absolue et non relative, aucun homme de bonne volonté ne pourrait résister à cette revendication ou à cet « impératif catégorique » : tout homme qui lui résisterait serait foncièrement mauvais, comme c’était le cas aux débuts de l’Islam, où on ne pouvait pas sans perversité préférer les idoles magiques au pur Dieu d’Abraham. Saint-Jean Damascène avait une fonction élevée à la cour du calife de Damas (4); il ne s’est pas converti à l’Islam, pas plus que ne le fit Saint-François d’Assise en Tunisie ni saint Louis en Egypte, ni saint Grégoire Palamas en Turquie (5). Or, il n’y a que deux conclusions possibles : ou bien ces saints étaient des hommes foncièrement mauvais, — supposition absurde puisque c’étaient des saints, — ou bien la revendication de l’Islam comporte, comme celle de toute religion, un aspect de relativité; ce qui est métaphysiquement évident puisque toute forme a des limites et que toute religion est extrinsèquement une forme, l’absoluité ne lui appartenant que dans son essence intrinsèque et supraformelle. La tradition rapporte que le soufi Ibrāhīm ben Adham eut pour maître occasionnel un ermite chrétien, sans que l’un des deux se convertît à la religion de l’autre; de même la tradition rapporte que Seyyid Alī Hamadānī, qui joua un rôle décisif dans la conversion du Cachemire à l’Islam, connaissait Lallā Yōgīshwari, la yōginī nue de la vallée, et que les deux saints avaient un profond respect l’un pour l’autre, malgré la différence de religion et au point qu’on a parlé d’influences réciproques (6). Tout ceci montre que l’absoluité de toute religion est dans la dimension intérieure, et que la relativité de la dimension extérieure devient forcément apparente au contact avec d’autres grandes religions ou de leurs saints.
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(4) C’est là que le saint écrivit et publia, avec l’acquiescement du calife, son célèbre traité à la défense des images, prohibées par l’empereur iconoclaste Léon III.
(5) Prisonnier des Turcs pendant un an, il eut des discussions amicales avec le fils de l’émir, mais ne se convertit point, pas plus que le prince turc ne devint chrétien
(6) De nos jours encore, les musulmans du Cachemire vénèrent Lallā, la Shivaïte dansante, à l’égal d’une sainte de l’Islam, à côté de Seyyid Alī; les hindous partagent ce double culte. La doctrine de la sainte se trouve condensée dans un de ses chants : « Mon gourou ne m’a donné qu’un seul précepte. Il m’a dit : du dehors entre dans ta partie la plus intérieure. Ceci est devenu pour moi une règle; et c’est pour cela que, nue, je danse » (Lallā Vākyāni, 94)”

Form and Substance in the Religions

“Le "vitalisme" philosophique dissimule lui aussi sous les traits d'une logique impeccable une pensée fallacieuse et proprement infra-humaine. Les adorateurs de la "vie", pour lesquels la religion - ou la sagesse - n'est qu'un trouble-fête inintelligible, factice et morbide, oublient avant tout les vérités suivantes : que l'intelligence humaine est capable d'objectiver la vie et de s'y opposer d'une certaine manière, ce qui ne peut pas être dépourvu de sens, toute chose ayant sa raison d'être; que c'est par capacité d'objectivation et d'opposition au subjectif que l'homme est homme, la vie et le plaisir étant communs aussi à toutes les créatures infra-humaines; qu'il n'y a pas de la vie, mais aussi la mort, et qu'il n'y a pas que le plaisir, mais aussi la douleur, ce dont l'homme seul peut se rendre compte a priori; que l'homme doit suivre sa nature comme les animaux suivent la leur, et qu'en la suivant pleinement il est porté à transcender les apparences et à leur donner une signification qui dépasse leur plan mouvant et qui les unit à une même réalité stable et universelle. Car l'homme, c'est l'intelligence, et l'intelligence, c'est le dépassement des formes et la réalisation de l'invisible Essence; qui dit intelligence humaine, dit absoluité et transcendance.

De toutes les créatures terrestres, l'homme seul sait : premièrement, que le plaisir est contingent et éphémère; et deuxièmement, qu'il n'est pas partagé par tous, c'est-à-dire que d'autres ego ne jouissent pas du plaisir de "notre ego", et qu'il y a toujours - quelle que soit notre jouissance - d'autres créatures qui souffrent, et inversement; ce qui prouve que le plaisir n'est pas tout, ni la vie. La religion ou la métaphysique surgissent bien plus profondément de la nature spécifiquement humaine - "nature surnaturelle" précisément dans ses profondeurs - que les caractères que l'homme partage avec l'animal et la plante.

Réfuter l'erreur n'est pas ignorer que son existence est nécessaire; les deux choses se situent sur des plans différents. Nous n'acceptions pas l'erreur, mais nous acceptons son existence, puisqu'"il faut qu'il y ait du scandale"..”

The Transfiguration of Man

“Le génie véritable peut développer sans innover : il atteint la perfection, la profondeur et la puissance d'expression, d'une manière presque imperceptible, moyennant les impondérables de vérité et de beauté qui mûrissent dans l'humilité, sans laquelle il n'y a pas de vraie grandeur. Au point de vue l'art sacré ou simplement traditionnel, on ne se préoccupe pas de la question de savoir si une oeuvre est "originale" ou "copiée" : dans une série de copies d'un modèle canonique, telle copie – peut être moins "originale" qu'une autre – est une oeuvre géniale, par un concours de conditions précieuses qui n'ont rien à voir avec une affectation d'originalité ou quelque autre crispation de l'ego.

Et ceci nous permet de dégager une double erreur fondamentale sans laquelle les prétentions de soi-disant artistes seraient inconcevables : à savoir qu'une originalité contraire aux normes collectives héréditaires soit psychologiquement possible en dehors des cas d'aliénation mentale, et qu'un homme puisse produire une vraie oeuvre d'art qui ne soit comprise à aucun degré par nombre d'hommes intelligents et cultivés appartenant à la même civilisation, à la même race et à la même époque que le soi-disant artiste. En réalité, les prémisses d'une telle originalité ou singularité n'existent point dans l'âme humaine normale, ni à plus forte raison dans l'intelligence pure; les singularités modernes, loin de relever de quelque "mystère" de la création artistique, ne sont qu'erreur philosophique et déformation mentale. Chacun se croit obligé d'être un grand homme; la nouveauté est prise pour de l'originalité, l'introspection morbide pour de la profondeur, le cynisme pour de la sincérité, la prétention pour du génie, si bien qu'on finit par prendre un schéma d'anatomie ou une peau de zèbre pour de la peinture; on fait de la "sincérité" un critère absolu, comme si une oeuvre ne pouvait pas être psychologiquement "sincère", mais spirituellement fausse ou artistiquement nulle. La grande erreur de ces artistes est d'ignorer délibérément la valeur objective et qualitative des formes et des couleurs et de se croire à l'abri dans un subjectivisme qu'ils estiment intéressant et impénétrable, alors qu'il n'est que banal et ridicule; leur erreur même les oblige à recourir, dans le monde des formes, aux possibilités les plus inférieures, comme Satan qui, voulant être aussi "original" que Dieu, n'avait plus d'autre choix que l'horreur.”

Caste e Razze

“Maintes histoires koraniques nous proposent, avec plus d'insistance encore que la Bible, le schéma suivant : les prophètes prêchent et les peuples rejettent le message; Dieu les punit pour ce rejet; et Il récompense les hommes qui croient.

L'objection des agnostique et autres sceptique est des plus faciles : les peuples sont psychologiquement excusables de ne pas accepter les Messages; les païens arabes avaient humainement et traditionnellement le droit de croire à la réalité de leurs divinités et à l'efficacité de leurs idoles; ils n'avaient pas de motif de croire le prophète à l'encontre de leurs traditions et de leurs moeurs. […] l'excuse des moderne, - facile de la part de gens qui ne croient à rien et à qui la nature plénière de l'homme échappe, - cette excuse disons-nous, ne tient pas compte du facteur suivant : si les Mecquois et les Bédouins dans leur majorité tenaient obstinément à leur coutumes, ce fut, non a priori pour des raison sincères et logiques, mais fondamentalement parce que leur soi-disant religion, qui ne leur enseignait même pas les vérités eschatologiques indispensables, au contraire flattait leur attachement passioné à l'ici bas et leur amour désordonné et même exclusif des biens terrestres(*).

* "Quand Nos versets (le Koran) sont récitées devant lui (le païen arabe), il dit : conte des anciens!" (Sourate du Calame, 15) Cette information, que le Koran fournit à plusieurs reprises, prouve que la religion des Arabe païens fut une hérésie à l'égard de leur propres traditions, que les païens rejetaient, précisément, comme étant des "conte des anciens" (el-awwalîn = "des primordiaux"). De nombreux passage du Koran indiquent également que ces Arabes ne croyaient ni à l'immortalité de l'âme ni à la résurrection, alors que leurs ancêtre y croyaient.”

From the Divine to the Human: A New Translation with Selected Letters

“Les « preuves » philosophiques, ou plus particulièrement celles qui sont censées se prouver elles-mêmes en objectivant illusoirement le « point de départ » ou la « présupposition initiale », ne prouvent qu’une chose, à savoir la fausseté radicale du point de vue dont elles dérivent; cette tentative de la pensée formelle et finie de saisir, par ses propres moyens, sa racine transcendante, donc supra-formelle et infinie, est aussi absurde que serait l’essai d’un œil de se voir lui-même; dans les deux cas, il y a contradiction foncière. Les « théoriciens de la connaissance » sont évidemment les premiers à affirmer que la sagesse traditionnelle n’est pas arrivée à « résoudre » les « grands problèmes » de l’« esprit humain »; en réalité, il n’y a pas de problèmes pour elle et elle n’a donc jamais eu à en résoudre; son rôle consiste, sur le plan doctrinal tout au moins, à exprimer des vérités, et non pas à répondre arbitrairement à des questions mal posées. Au demeurant, rien n’est plus commode ni plus consolant, lorsqu’on se trouve dans un cercle vicieux, que de prétendre, soit que les autres s’y trouvent également, soit qu’ils sont incapables de s’y trouver; d’aucuns iront même jusqu’à rejeter la responsabilité de leur impuissance sur l’intelligence même, et l’aboutissement d’une telle attitude sera cette philosophie grossièrement imaginative, prétendument « concrète » et souvent effrontément « lyrique » dans laquelle nombre de « penseurs » croient découvrir des consonances « archaïques » autant que du génie; c’est la faiblesse intellectuelle qui, conformément d’ailleurs aux tendances générales de notre époque, se pose en art et en mystique.”

“Ce sont les sophistes, Protagoras en tête, qui sont les véritables précurseurs de la pensée moderne; ce sont eux les « penseurs » proprement dits, en ce sens qu'ils se bornaient à ratiociner et ne se souciaient guère de « percevoir » et de rendre compte de ce qui « est ». Et c'est à tort qu'on a vu en Socrate, Platon et Aristote les pères du rationalisme, voire de la pensée moderne en général; sans doute, ils raisonnent — Shankara et Râmânuja en font autant — mais ils n'ont jamais dit que le raisonnement est l'alpha et l'oméga de l'intelligence et de la vérité, ni a fortiori que nos expériences ou nos goûts déterminent la pensée et priment l'intuition intellectuelle et la logique, quod absit.
Somme toute, la philosophie moderne est la codification d'une infirmité acquise; l'atrophie intellectuelle de l'homme marqué par la « chute » avait pour conséquence une hypertrophie de l'intelligence pratique, d'où en fin de compte l'explosion des sciences physiques et l'apparition de pseudo-sciences telles que la psychologie et la sociologie (1).
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que le rationalisme bénéficie de circonstances atténuantes en face de la religion, dans la mesure où il se fait le porte-parole des besoins de causalité légitimes que suscitent certains dogmes, du moins quand on les prend à la lettre comme l'exige la théologie (2). D'une manière tout à fait générale, il va de soi qu'un rationaliste peut avoir raison sur le plan des observations et des expériences; l'homme n'est pas un système clos, bien qu'il puisse s'efforcer de l'être. Mais même en dehors de toute question de rationalisme et de dogmatisme, on ne peut en vouloir à personne d'être scandalisé par les sottises et les crimes perpétrés au nom de la religion, ou même simplement par les antinomies entre les différents credos; toutefois, comme les horreurs ne sont certes pas l'apanage de la religion — les prédicateurs de la « déesse raison » en fournissent la preuve —, il faut nous arrêter à la constatation que les excès et les abus sont dans la nature humaine. S'il est absurde et choquant que des crimes se réclament du Saint-Esprit, il n'est pas moins illogique et scandaleux qu'ils aient lieu à l'ombre d'un idéal de rationalité et de justice. […]”

The Transfiguration of Man

“Que signifie qu’il n’y pas une continuation de l’œuvre de René Guénon par consensus? Je ne sais ce que font les Maçons guénoniens, mais je sais que le groupe soufique de Vâlsan correspond pleinement à tout ce que désirait Guénon; quant à moi l’œuvre de Guénon en tant qu’ensemble indivisible ne me concerne pas puisque je n’en accepte pas tous les axiomes, et on ne peut en bonne logique me reprocher de ne pas avoir réalisé un programme que je n’ai jamais eu l’intention de réaliser. »

« On peut ironiser sur des « excommunications réciproques » quand il s’agit d’une secte intrinsèquement hétérodoxe, donc d’une caricature, – de mormons, de béhaïstes, d’anthroposophes – mais non quand il s’agit d’un milieu normal et honorable se référant à des vérités spirituelles; dans ce dernier cas, même les anathèmes peuvent être honorables, et il y eut dans tous les climats, dans les premiers siècles du Christianisme aussi bien qu’aux débuts de l’Islam, et jusque dans les ordres monastiques et les confréries. « Les divergences des sages sont une bénédiction » disait le Prophète. Les guénoniens, dans leur ensemble sont des hommes respectables, et il faut respecter même leur divergences, lesquelles ne peuvent prêter au ridicule, ou plutôt au mépris, que dans les cas où un individu se mêle sottement ou effrontément des choses qui le dépassent; or je revendique la plus rigoureuse honorabilité non seulement pour moi-même, mais aussi pour mon ancien adversaire Vâlsan, dont j’ai toujours respecté la position – ce fut celle de Guénon – et avec lequel j’ai eu de bons rapports jusqu’à sa mort, malgré nos divergences. Mais il va sans dire que je ne saurais revendiquer cette honorabilité pour des personnes, guénoniennes ou non, qui n’ont ni vertu ni bonne foi. »

« Vâlsan me disait une fois qu’il y a peu d’hommes intelligents parmi les guénoniens, quelqu’en puisse être la raison; il parlait évidemment, non d’un groupe, mais de tous les guénoniens; et il avait une certaine expérience de leur moyenne, comme je l’ai moi-même. Une des raisons de cet état de choses est la suivante : l’ésotérisme attire, non seulement les hommes d’élite mais aussi les médiocres souffrant de sentiments d’infériorité qu’ils cherchent à compenser par quelque sublimation; et il y a ausi des psychopathes à la recherche soit d’un espace de rêve, soit d’un abri donnant un sentiment de sécurité. On ne peut pas empêcher que de tels hommes existent, mais ce n’est pas une raison pour être dupe de leur « orthodoxie », ni surtout de leur mythomanie. »

« J’ajouterai que Vâlsan fut la personnification du guénonisme intégral et inflexible, qu’il fut – lui seul – le « dauphin » de Guénon; qu’il fut un homme fort intelligent et profondément spirituel, en sorte qu’il me fut possible d’avoir avec lui les meilleurs rapports, malgré nos divergences. C’est d’ailleurs sa paix avec moi, et son désir de m’avoir comme collaborateur à la revue, qui est le principal chef d’accusation de la part des sectaires de Turin; »

[Frithjof Schuon – Lettre à Jean-Pierre Laurant (Pully avril 1976)]”

“La primauté de l’intention divine — donc du message — dans l’ordre des apparences, implique une conséquence fort paradoxale, mais néanmoins pertinente, à savoir l’existence d’une « double réalité » qui fait penser à la « double vérité » des scolastiques. C’est-à-dire qu'il faut distinguer, dans certains cas, entre une « réalité de fait » et une « réalité d’apparence » : que la terre soit ronde et qu’elle tourne autour du soleil, c’est un fait, mais qu’elle soit plate et que le soleil voyage d'un horizon à l’autre, n’en est pas moins, dans l’intention divine, une réalité pour nous; sans quoi l’expérience de l’homme — créature centrale et partant « omnisciente » — ne se bornerait pas, a priori et « naturellement », à ces constatations physiquement illusoires mais symboliquement pleines de sens. Encore que l’illusion physique soit relative, à un certain point de vue, car la terre, pour l’homme, est incontestablement faite de régions plates dont seulement la somme — imperceptible aux créatures terrestres — constitue une sphère; si bien qu’on devrait dire que la terre est plate et ronde à la fois. Quant au symbolisme traditionnel, il implique une portée morale, ce qui nous permet de conclure que l’homme n’a droit, en principe et a priori, qu’à une connaissance qu’il supporte, c’est-à-dire qu’il est capable d’assimiler; donc d’intégrer dans la connaissance totale et spirituelle qu’il est censé posséder en sa qualité d’homo sapiens (19)".

19. Incontestablement, la science moderne regorge de connaissances, mais la preuve est faite que l’homme ne les supporte pas, ni intellectuellement ni moralement. Ce n’est pas pour rien que les Écritures sacrées sont volontiers aussi naïves que possible, ce qui excite sans doute la moquerie des sceptiques mais n’empêche ni les simples ni les sages de dormir tranquilles.”

To Have a Center

“Les deux exemples suivants témoignent du même état d’esprit : tel croyant demande à Dieu diverses faveurs, non parce qu’il désire les obtenir, mais « pour obéir à l’ordre divin » exprimé par le Koran; comme si Dieu, en ordonnant ou en permettant la prière personnelle, n’avait pas en vue le but de cette prière, et comme si Dieu pouvait apprécier une obéissance dédaigneuse de la raison suffisante de l’acte ordonné ou permis! Dans le cas présent, « ordre » est d’ailleurs un bien grand mot; en réalité, Dieu ne nous ordonne pas d’avoir des besoins ni de lui adresser des demandes, mais il nous invite par miséricorde à lui demander ce qui nous manque; nous pouvons prier pour notre pain quotidien ou pour une guérison comme nous pouvons prier pour des grâces intérieures, mais il n’est pas question de prier pour prier parce que Dieu a ordonné pour ordonner. Le deuxième exemple que nous avons en vue est le suivant : inversement tel autre croyant, partant de l’idée que tout est prédestiné, s’abstient de formuler des prières - malgré « l’ordre divin » cette fois-ci! - car « tout ce qui doit arriver, arrive de toutes façons »; comme si Dieu se donnait la peine d’ordonner, ou de permettre, des attitudes superflues, et comme si la prière n’était pas prédestinée elle aussi! Certes, l’homme est le « serviteur » (abd), et la servitude (ubûdiyah) comporte l’obéissance; mais elle n’est pas de « l’art pour l’art », elle n’est que par ses contenus, d’autant que l’homme est « fait à l’image de Dieu »; l’oublier, c’est vider la notion même de l’homme de toute sa substance.”

Logic and Transcendence